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21/06/2024 | FRANCE | N°22NT03814

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 21 juin 2024, 22NT03814


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... et Mme E... D... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions de l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) refusant de délivrer à Mme D... C... et à l'enfant A... D... C... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.



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n jugement n° 2204586 du 28 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... et Mme E... D... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions de l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) refusant de délivrer à Mme D... C... et à l'enfant A... D... C... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2204586 du 28 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 26 août 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme D... C... et à l'enfant A... D... C... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. D... C... et Mme E... D... C... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la condition relative à l'âge du demandeur de visa doit s'apprécier à la date de dépôt de la demande de visa ; à la date du 26 août 2019, Mme E... D... C... était âgée de plus de 19 ans ; en outre, le réunifiant a fait état d'une date de naissance de la demandeuse de visa à une date plus ancienne que celle du 6 juin 2000, à savoir la date du 6 juin 1998 ; elle n'est donc pas éligible à la procédure de réunification familiale ;

- l'enfant A... D... C..., petite-fille de M. D... C..., n'est pas éligible en cette qualité à la procédure de réunification familiale.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 janvier 2023 et 19 mars 2024, M. D... C... et Mme E... D... C..., agissant en son nom et en qualité de représentante légale de l'enfant A... D... C..., représentés par Me Pollono, concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à titre principal, de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, à titre subsidiaire, de réexaminer les demandes de visas dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros hors taxe en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Mme E... D... C... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Montes-Derouet,

- et les observations de Me Pavy substituant Me Pollono, pour M. D... C... et Mme E... D... C....

Considérant ce qui suit :

1. M. D... C..., ressortissant érythréen s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié en 2016. Des demandes de visa de long séjour au titre de la réunification familiale ont été déposées pour sa fille, Mme D... C..., née le 6 juin 2000, ainsi que pour la fille de cette dernière, l'enfant A... D... C..., née le 15 mars 2015. Ces demandes ont été rejetées par des décisions du 26 août 2019 de l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan). Le recours formé contre ces décisions de refus devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 26 août 2021. Par un jugement du 28 novembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D... C... et de Mme E... D... C..., la décision du 26 août 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme D... C... et à l'enfant A... D... C... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes des dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...). / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite ". Aux termes des dispositions de l'article L. 561-5 de ce code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / (...) ". Aux termes de l'article R. 561-1 du même code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. Elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident ces personnes ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard.

4. Doit être regardée comme date de présentation de la demande de visa, la date à laquelle le demandeur effectue auprès de l'administration toute première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale.

5. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que Mme E... D... C..., âgée de plus de 19 ans le jour où elle a déposé sa demande de visa, n'est pas éligible à la procédure de réunification familiale et, d'autre part, de ce que le lien familial allégué entre l'enfant A... D... C... et le réunifiant ne correspond à aucun des cas permettant d'obtenir un visa dans le cadre de cette même procédure.

En ce qui concerne Mme D... C... :

6. Il ressort des pièces du dossier que, par courriel du 2 décembre 2017, réitéré les 17 avril 2018 et 12 février 2019, des demandes de rendez-vous ont été adressées par le réunifiant, M. D... C..., auprès des services consulaires de Khartoum où résidaient Mme D... C... et sa fille, A... D... C..., pour la présentation par ces dernières de demandes de visa, sans que le ministre n'allègue que ces demandes ne seraient pas parvenues aux services consulaires concernés. Il ressort également des pièces du dossier qu'à ces trois dates, Mme D... C..., née le 6 juin 2000, était âgée de moins de 19 ans. Si le ministre fait valoir le doute qui existerait quant à la date de naissance de Mme D... C... au motif que, lors de la demande d'asile, M. D... C... a mentionné, dans le formulaire de demande d'asile, une date de naissance de Mme D... C... au 6 juin 1998, cette seule circonstance ne suffit pas à remettre en cause les mentions portées dans le certificat de naissance de l'intéressée, établi suivant enregistrement de sa naissance le 18 juillet 2000, selon lesquelles Mme E... D... C... est née le 6 juin 2000. Il s'ensuit, et alors que la date d'enregistrement de la demande est sans incidence sur la date à laquelle est appréciée la condition d'âge prévue par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi qu'il a été dit au point 3, que Mme D... C..., dont l'identité et le lien de filiation à l'égard de M. D... C... ne sont pas contestés par le ministre, n'avait pas dépassé son dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle ont été effectuées les premières démarches en vue de l'obtention d'un visa au titre de la réunification familiale. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur de droit en refusant de délivrer à Mme D... C... le visa de long séjour qu'elle sollicitait en qualité d'enfant d'une personne réfugiée, au motif qu'elle était âgée de plus de dix-neuf ans à la date de dépôt de sa demande de visa.

En ce qui concerne l'enfant A... D... C... :

7. Aux termes des stipulations du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

8. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 que Mme D... C... a vocation à rejoindre ses parents en France. Il s'ensuit que l'enfant A... D... C..., âgée de 6 ans à la date de la décision contestée et dont le lien de filiation à l'égard de Mme D... C... n'est pas contesté, se trouverait isolée au Soudan après le départ de sa mère. L'intérêt supérieur de l'enfant A... D... C... commande dès lors qu'elle accompagne sa mère, Mme D... C..., en France. Dans ces conditions, la commission a méconnu les stipulations précitées du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 26 août 2021 de la commission de recours et lui a enjoint de délivrer à Mme D... C... et à l'enfant A... D... C... les visas de long séjour sollicités.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Le tribunal a enjoint de délivrer à Mme D... C... et à l'enfant A... D... C... les visas sollicités. Les conclusions présentées, de nouveau, à cette fin par les intéressées devant la cour sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono de la somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. D... C... et Mme E... D... C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. D... C... et à Mme E... D... C....

Délibéré après l'audience du 4 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juin 2024.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03814


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03814
Date de la décision : 21/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-21;22nt03814 ?
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