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18/06/2024 | FRANCE | N°22NT04045

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 18 juin 2024, 22NT04045


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... E... G..., M. C... F... E... et Mme D... F... H... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 avril 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à M. F... E... et à Mme F... H... des visas de long séjour au titre de la réunifica

tion familiale.



Par un jugement n° 2202275 du 21 octobre 2022, le tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... G..., M. C... F... E... et Mme D... F... H... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 7 avril 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à M. F... E... et à Mme F... H... des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2202275 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision en tant qu'elle concerne Mme D... F... H... et a rejeté le surplus des conclusions de la demande concernant M. C... F... E....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 décembre 2022, 9 mars 2023 et 20 octobre 2023, Mme E... G... et M. C... F... E..., représentés par Me Leudet, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il concerne M. F... E... ;

2°) d'annuler la décision du 7 avril 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle concerne M. F... E... ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'il y a lieu d'écarter l'application des dispositions de l'article R. 561-1 du même code lequel est illégal et inconventionnel ; l'enfant était âgé de moins de 19 ans à la date du dépôt de sa demande d'asile par sa mère et de sa demande de réunification familiale faite le 9 décembre 2016 ; l'administration met les appelants dans l'impossibilité de prouver leur démarches pour obtenir un rendez-vous afin de déposer la demande de visa ; la première demande de visa doit seule être prise en compte pour apprécier l'âge et elle est nécessairement antérieure à la date d'enregistrement de sa demande de visa ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont méconnues.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 et 10 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les appelants ne sont pas fondés.

Mme E... G... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive (CE) 2003/86 du Conseil du 22 septembre 2003 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Leudet, représentant Mme E... G... et M. F... E....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... G..., ressortissante de la République démocratique du Congo (RDC), née en 1977, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 22 décembre 2015. Le 2 octobre 2019, une demande de visa de long séjour a été déposée au titre de la réunification familiale, par son fils, M. C... F... E... et par Mme D... H... F..., qu'elle présente comme sa fille. Ces demandes ont été rejetées par les autorités consulaires françaises à Kinshasa (RDC). Leur recours formé devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 7 avril 2021. Par un jugement du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 7 avril 2021 en ce qu'elle concerne Mme H... F... et a rejeté la demande en tant qu'elle concerner M. F... E.... Mme E... G... et M. F... E... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il concerne la situation de ce dernier.

2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article R. 561-1 de ce code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. (...) ".

3. La décision de refus de visa opposée par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France à la demande de visa déposée par M. C... F... E..., né le 18 juillet 1998, au titre de la réunification familiale est motivée par le fait que l'intéressé était âgé de plus de 19 ans à la date où il a déposé sa demande de visa.

4. Selon l'article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial : " Les États membres autorisent l'entrée et le séjour, conformément à la présente directive (...) des membres de la famille suivants : / (...) c) les enfants mineurs, y compris les enfants adoptés, du regroupant, lorsque celui-ci a le droit de garde et en a la charge. Les États membres peuvent autoriser le regroupement des enfants dont la garde est partagée, à condition que l'autre titulaire du droit de garde ait donné son accord (...) ". Lues conjointement avec celles des articles 7 et 12 de la même directive, ces dispositions ont pour objet de permettre à un réfugié d'être rejoint, au titre du regroupement familial, par ses enfants mineurs sans que le bénéfice de ce droit ne soit soumis aux conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du regroupement familial de droit commun des étrangers.

5. Dans son arrêt du 16 juillet 2020, État belge (Regroupement familial - Enfant mineur), (A... 133/19, C 136/19 et C 137/19), la Cour de justice de l'Union européenne a relevé que, pour la mise en œuvre du droit au regroupement familial à l'égard des enfants du réfugié, s'il est laissé à la discrétion des États membres le soin de déterminer l'âge de la majorité légale, aucune marge de manœuvre ne saurait en revanche leur être accordée quant à la fixation du moment auquel il convient de se référer pour apprécier cet âge. Elle a également précisé que cette fixation doit permettre d'assurer que l'intérêt de l'enfant demeure, en toutes circonstances, une considération primordiale pour les États membres et de garantir, conformément aux principes d'égalité de traitement et de sécurité juridique, un traitement identique et prévisible à tous les demandeurs se trouvant chronologiquement dans la même situation sans faire dépendre le succès de la demande de regroupement familial principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales, en particulier de la plus ou moins grande célérité avec laquelle la demande est traitée ou il est statué sur un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande, et non pas de circonstances imputables au demandeur. En conséquence, elle a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride non marié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, est celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins du regroupement familial pour enfants mineurs, et non celle à laquelle il est statué sur cette demande par les autorités compétentes de cet État membre, le cas échéant après un recours dirigé contre une décision de rejet d'une telle demande.

6. En outre, par un arrêt du 1er août 2022, Bundesrepublik Deutschland (Regroupement familial d'un enfant devenu majeur), (C-279/20), la Cour de justice de l'Union européenne, saisie par la juridiction de renvoi d'une question trouvant son origine " dans les circonstances particulières de l'affaire au principal ", dans laquelle l'enfant concerné par la demande de regroupement familial était mineur lorsque son père avait présenté sa demande d'asile mais était devenu majeur avant que celui-ci ait obtenu le statut de réfugié et alors que la demande d'asile avait été initialement rejetée par les autorités compétentes, a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant d'un regroupant ayant obtenu le statut de réfugié est un enfant mineur, au sens de cette disposition, dans une situation où cet enfant est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent regroupant et avant l'introduction de la demande de regroupement familial, est celle à laquelle le parent regroupant a présenté sa demande d'asile en vue d'obtenir le statut de réfugié. Elle a également dit pour droit que ce principe s'appliquait à condition qu'une demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant la reconnaissance du statut de réfugié au parent regroupant.

7. Il résulte ainsi du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive 2003/86/CE, tel qu'interprété par les arrêts précités de la Cour de justice de l'Union européenne des 16 juillet 2020 et 1er août 2022, que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur au sens de cette disposition est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. Il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales.

8. Il résulte des dispositions citées au point 2 que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard. Par ailleurs, lorsqu'une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l'âge de l'enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande.

9. Doit être regardée comme date de présentation de la demande de visa, la date à laquelle le demandeur effectue auprès de l'administration toute première démarche tendant à obtenir un visa au titre de la réunification familiale.

10. Il ressort tout d'abord des pièces du dossier que si M. F... E... a déposé deux demandes de visa pour la France, les 4 août 2017 et 2 octobre 2019, à cette dernière date le refus qui lui avait été opposé le 11 octobre 2017 à sa première demande n'était pas devenu définitif. Il n'a acquis ce caractère qu'avec l'arrêt n° 19NT01460 de la cour administrative d'appel de Nantes du 24 novembre 2020 rejetant la requête de Mme E... G.... En conséquence, il convient, pour les motifs exposés au point 8, d'apprécier l'âge de M. F... E... à la date de sa première demande de visa.

11. Il ressort des pièces du dossier que la première demande de visa présentée par M. F... E... au titre de la réunification familiale a été présentée par l'intéressé le 14 août 2017, date à laquelle il avait plus de dix-neuf ans, ainsi qu'il résulte d'une copie de son formulaire de demande de visa. Il n'est pas établi, sans que cela puisse être imputé à l'administration, que l'intéressé aurait sollicité un rendez-vous à l'ambassade à cette fin alors qu'il avait moins de dix-neuf ans. Si Mme E... G... produit également la photographie d'un courrier du 9 décembre 2016 qu'elle a signé mentionnant sa volonté de faire venir M. F... E... en France au titre de la réunification familiale, ce document ne comporte pas de mention de son destinataire, il n'est pas ailleurs pas justifié de son envoi, et en tout état de cause, il ne s'analyse pas comme une démarche tendant à obtenir un visa. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. F... E... pour le motif précité.

12. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

13. Mme E... G... et M. F... E... font valoir que ce dernier serait isolé en RDC du fait du départ de sa mère pour la France en 2014, puis de celui de sa sœur cadette, Mme F... H... née en 2002, en conséquence du jugement du tribunal administratif de Nantes du 21 octobre 2022. Toutefois, il n'est pas établi que M. F... E..., qui est majeur, serait isolé en RDC alors qu'il n'est pas établi que sa sœur ainée, née en 1997, et son frère cadet, né en 2000, ne seraient plus en RDC. Il n'est ainsi apporté aucun élément ou précision sur la disparition alléguée de ces derniers. De même, il n'a pas été présenté d'éléments établissant que la fratrie, ou à tout le moins M. F... E... et Mme F... H..., auraient vécu ensemble depuis le départ de leur mère en 2014. Dans ces conditions, la décision contestée n'a pas porté au droit de M. F... E... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... G... et M. F... E... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 7 avril 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, en ce qu'elle concerne M. F... E.... Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme E... G... et de M. F... E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... G..., à M. C... F... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 juin 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT04045


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT04045
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : LEUDET

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;22nt04045 ?
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