La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2024 | FRANCE | N°24NT00340

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 14 juin 2024, 24NT00340


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé de la transférer aux autorités portugaises en vue de l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2306750 du 21 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 7 février 2024, Mme A..., représentée par Me Delilaj, demande à la cour :



1°) d'an...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé de la transférer aux autorités portugaises en vue de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2306750 du 21 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 février 2024, Mme A..., représentée par Me Delilaj, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée du tribunal administratif de Rennes du 21 décembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 novembre 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant transfert au Portugal ;

3°) de lui permettre de saisir l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) d'une demande d'asile dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté contesté n'est pas suffisamment motivé ;

- elle n'a pas bénéficié d'un entretien dans les conditions prévues à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dès lors qu'il n'est pas possible de vérifier que la personne ayant conduit l'entretien était qualifiée en vertu du droit national ;

- l'arrêté contesté est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et a méconnu les dispositions de l'article L. 522-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'arrêté méconnaît l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

La requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 janvier 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante angolaise née le 28 août 1997, est entrée en France le 30 mai 2023 et a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile le 13 juin 2023. La consultation du fichier " Visabio " a révélé qu'elle détenait un visa de court séjour en cours de validité délivré par les autorités portugaises. Une attestation de demande d'asile en procédure Dublin lui a été remise. Le préfet a sollicité, sur le fondement du b) de l'article 12.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités portugaises, le 7 septembre 2023. Ces dernières ont fait connaître leur accord le 26 octobre suivant, sur le fondement du d) de l'article 12.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. À la suite de cet accord, le préfet d'Ille-et-Vilaine a, par arrêté du 14 novembre 2023, décidé de transférer Mme A... aux autorités portugaises en vue de l'examen de sa demande d'asile. Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes l'annulation de cet arrêté. Par un jugement du 21 décembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Mme A... fait appel de ce jugement.

2. En premier lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge, d'écarter les moyens tirés de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté et du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressée, que Mme A... reprend en appel sans apporter d'éléments nouveaux excepté ceux mentionnés ci-après. La seule circonstance que l'arrêté comporte une erreur matérielle dans sa date, du 14 novembre 2023, alors qu'il mentionne une transmission de documents du 28 novembre 2023, n'est pas de nature à entacher l'arrêté d'une insuffisance de motivation. Enfin l'arrêté contesté vise le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et mentionne dans ses motifs l'enfant mineur de Mme A.... Ainsi, alors même qu'il ne mentionne pas l'absence d'atteinte portée à l'intérêt supérieur de l'enfant, cet examen ayant eu lieu implicitement, le moyen tiré de l'insuffisante motivation doit être écarté. Si l'arrêté mentionne, à tort, que Mme A... est entrée irrégulièrement en France alors qu'elle était titulaire d'un visa de court séjour délivré par les autorités portugaises et l'autorisant à circuler dans les Etats de l'espace Schengen, cette circonstance ne suffit pas à entacher l'arrêté d'un défaut d'examen particulier de sa demande. Enfin, il n'est pas établi que les documents médicaux transmis le 28 novembre 2023 n'auraient pas été consultés par le préfet. Par conséquent, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressée doit être écarté.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

4. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par Mme A... qu'elle a bénéficié le 13 juin 2023, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. La seule circonstance que l'agent qui a conduit cet entretien est seulement identifié par un cachet de la préfecture d'Ille-et-Vilaine et ses initiales manuscrites ne permet pas de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

6. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

7. Si la requérante fait état de la présence au Portugal de son ex-compagnon qui lui aurait fait subir des violences en Angola, elle n'établit ni la présence de ce dernier au Portugal ni a fortiori qu'il la chercherait dans ce pays. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le suivi psychologique dont bénéficie Mme A... ne pourrait pas se poursuivre au Portugal, pays dans lequel elle n'a pas de souvenirs traumatiques. Ainsi les éléments précités ne suffisent pas à la placer dans une situation d'exceptionnelle vulnérabilité justifiant que sa demande d'asile soit instruite en France. Par conséquent, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de ce que le préfet de Maine-et-Loire, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée doivent être écartés.

8. En quatrième et dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le suivi psychologique dont bénéficie la fille de Mme A... et sa scolarité ne pourraient pas se poursuivre au Portugal. Par conséquent, alors même qu'elle était scolarisée en France en classe de petite section à l'école maternelle, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président-assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00340


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00340
Date de la décision : 14/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : DELILAJ

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-14;24nt00340 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award