Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 15 janvier 2024 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités espagnoles, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 2401773 du 22 février 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 15 janvier 2024 portant transfert aux autorités espagnoles (article 1er), a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement (article 2), a mis à la charge de l'Etat une somme de 700 euros au titre des frais liés au litige (article 3) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 4).
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 24NT00886 le 21 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour d'annuler le jugement du 22 février 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes.
Il soutient qu'il n'a pas méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et qu'il reprend l'ensemble de ses écritures de première instance s'agissant des autres moyens soulevés par Mme A... devant le premier juge.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2024, Mme A..., représentée par Me Toutaou, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer sa situation administrative dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que le moyen soulevé par le préfet n'est pas fondé et qu'elle reprend les moyens qu'elle a soulevé en première instance.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 avril 2024.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 24NT00887 le 21 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 22 février 2024 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes.
Il soutient qu'il n'a pas méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2024, Mme A..., représentée par Me Toutaou, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer sa situation administrative dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que le moyen soulevé par le préfet n'est pas fondé.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 avril 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Chollet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 22 novembre 1980 à Conakry (Guinée), déclare être entrée en France le 14 décembre 2023. Elle a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique, qui a été enregistrée le 19 décembre 2023. Les recherches conduites par la préfecture dans le fichier Eurodac ont fait apparaître que Mme A... a sollicité l'asile auprès des autorités espagnoles préalablement au dépôt de sa demande d'asile en France. Les autorités espagnoles, saisies le 22 décembre 2023 en application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ayant donné leur accord explicite le 4 janvier 2024 à la prise en charge de Mme A..., le préfet de Maine-et-Loire a pris le 15 janvier 2024 un arrêté portant transfert de l'intéressée aux autorités espagnoles. Le préfet de Maine-et-Loire, dont les deux requêtes doivent être jointes dès lors qu'elles sont dirigées contre le même jugement, relève appel et demande le sursis à exécution du jugement du 22 février 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 15 janvier 2024, lui a enjoint de réexaminer la situation de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat une somme de 700 euros au titre des frais liés au litige.
Sur le moyen retenu par le premier juge :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque : a) le demandeur a pris la fuite ; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".
3. S'il ne résulte ni des dispositions citées au point 2 ni d'aucun principe que devrait figurer sur le compte-rendu de l'entretien individuel la mention de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien, il appartient à l'autorité administrative, en cas de contestation sur ce point, d'établir par tous moyens que l'entretien a bien, en application des dispositions précitées de l'article 5.5 du règlement du 26 juin 2013, été " mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a bénéficié de l'entretien individuel mentionné à l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui s'est déroulé le 19 décembre 2023 à la préfecture de la Loire-Atlantique, mené en français. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant la confidentialité et par une personne qualifiée en vertu du droit national, dès lors que son compte-rendu porte les initiales d'un agent habilité. Par ailleurs, il ressort du compte rendu d'entretien, signé par l'intéressée, que Mme A... a été interrogée de manière approfondie sur sa situation personnelle, notamment médicale et familiale, ainsi que sur son parcours migratoire et a ainsi eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.
5. Il en résulte que le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 15 janvier 2024 par lequel il a décidé le transfert de Mme A... aux autorités espagnoles, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a estimé qu'il avait méconnu l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
6. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Sur les autres moyens de la requête :
7. En premier lieu, par un arrêté du 26 septembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire a donné délégation à Mme C... E... cheffe du pôle régional Dublin et signataire de l'arrêté contesté, à l'effet de signer les décisions relevant de la compétence de son bureau, en cas d'absence ou d'empêchement de M. D..., directeur de l'immigration et des relations avec les usagers, dont il n'est pas soutenu qu'il n'aurait pas été absent ou empêché. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit être écarté.
8. En deuxième lieu, l'arrêté portant transfert aux autorités espagnoles mentionne les éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et est ainsi suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
10. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
11. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... s'est vue remettre, le 19 décembre 2023, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressée le 19 décembre 2023, sont rédigés en français, langue qu'elle a déclaré comprendre, comme en témoignent les cases cochées sur le compte-rendu d'entretien individuel par Mme A..., qui a ainsi déclaré avoir compris les informations communiquées concernant la procédure de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile et a reconnu que l'ensemble de ces informations lui ont été communiquées oralement. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être dès le début de la procédure. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.
12. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme A... et des conséquences de son transfert en Espagne au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ".
14. Mme A... fait valoir qu'elle est éprouvée moralement et physiquement par son exil et qu'elle a pris un rendez-vous médical auprès du CHU de Nantes pour effectuer des analyses. Toutefois, elle n'apporte aucun élément à l'appui de cette allégation et n'établit ni la gravité exceptionnelle de son état de santé ni qu'elle ne pourrait pas être prise en charge, si nécessaire, en Espagne.
15. Mme A... fait également valoir qu'elle vit chez sa cousine en France, qui subvient à ses besoins. Toutefois, cette seule circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas à démontrer que Mme A... se trouverait, pour l'application des règles déterminant l'Etat responsable de l'instruction de sa demande d'asile, dans une situation de vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France alors, au surplus, qu'au sens et pour l'application de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, il ne s'agit pas d'un membre de la famille du demandeur d'asile.
16. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.
17. En dernier lieu, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 15, la décision contestée n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. Il résulte de tout ce qui précède, que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 15 janvier 2024 et lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation administrative de Mme A... dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par Mme A... ainsi que celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
19. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel du préfet de Maine-et-Loire contre le jugement du 22 février 2024. Par suite, les conclusions de la requête n° 24NT00887 aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NT00887.
Article 2 : Les articles 1 à 3 du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes du 22 février 2024 sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par Mme B... A... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Touatou et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24NT00886,24NT00887