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12/06/2024 | FRANCE | N°23NT01088

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 12 juin 2024, 23NT01088


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Pigeon TP Loire Anjou a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 013 567 euros TTC, sous déduction des acomptes déjà versés, au titre du décompte de résiliation du marché de réalisation d'un échangeur sur la RN 137 à Grandchamp-des-Fontaines, la somme de 840 857,71 euros au titre des intérêts échus au 1er août 2019 assortie de la capitalisation des intérêts, ainsi que les intérêts sur ces sommes au taux

de 7% à compter du 2 août 2019.

Par un jugement nos 2006106, 2006257 du 15 février 2023,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Pigeon TP Loire Anjou a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 013 567 euros TTC, sous déduction des acomptes déjà versés, au titre du décompte de résiliation du marché de réalisation d'un échangeur sur la RN 137 à Grandchamp-des-Fontaines, la somme de 840 857,71 euros au titre des intérêts échus au 1er août 2019 assortie de la capitalisation des intérêts, ainsi que les intérêts sur ces sommes au taux de 7% à compter du 2 août 2019.

Par un jugement nos 2006106, 2006257 du 15 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à la société Pigeon TP Loire Anjou la somme de 39 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2019 et de la capitalisation des intérêts.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 13 avril et 20 décembre 2023, la société Pigeon TP Loire Anjou, représentée par Me Henrion, demande à la cour :

1°) d'ordonner avant dire droit une expertise afin d'examiner la pertinence de ses demandes indemnitaires et de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ;

2°) en toute hypothèse, de réformer le jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il n'a pas condamné l'Etat à lui verser une somme totale de 3 013 567 euros au titre du décompte de résiliation du marché de réalisation d'un échangeur sur la RN 137 à Grandchamp-des-Fontaines, assortie des intérêts de retard et des intérêts au taux de 7% ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 3 013 567 euros, sous déduction des acomptes déjà versés, au titre du décompte de résiliation du marché de réalisation d'un échangeur sur la RN 137 à Grandchamp-des-Fontaines, la somme de 840 857,71 euros au titre des intérêts échus au 1er août 2019 assortie de la capitalisation des intérêts, ainsi que les intérêts sur ces sommes au taux de 7% à compter du 2 août 2019 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'indemnisation due au titre de l'indemnité forfaitaire de résiliation doit être fixée à la somme de 347 605,28 euros HT dès lors que le marché résilié doit être soldé suivant la procédure des articles 13 et 47 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux ; la somme de 170 446,51 euros, versée au titre d'un " acompte n°1 ", qui ne correspond pas à des prestations reçues et à des prix du marché, ne peut être déduite de l'assiette de calcul de l'indemnité ; ce paiement ne peut être qualifié d'acompte au sens de l'article 3.2.1 du CCAG ; en tout état de cause, les acomptes reçus doivent être mis au débit du titulaire et donc réintégrés dans l'assiette avant de calculer l'indemnité forfaitaire de 5% prévue contractuellement ;

- l'indemnisation due au titre des frais et investissements doit comprendre les prestations effectuées au cours de la période de préparation, y compris les prestations au titre de la réalisation du plan d'assurance qualité (PAQ) pour un montant de 39 360 euros HT et du plan d'assurance d'environnement (PAE) pour un montant de 19 920 euros HT ; au terme de cette période de préparation, aucun ordre de service de démarrage des travaux n'a été notifié et le maître d'ouvrage a maintenu le groupement dans l'incertitude s'agissant du démarrage ou non des travaux ; le titulaire doit être considéré comme ayant maintenu ses moyens mobilisés et doit être indemnisé de la perte d'amortissement de ses frais généraux au titre de cette période transitoire, soit de la somme de 42 735 euros sur le fondement de l'alinéa 2 de l'article 46.4 du CCAG travaux ; elle justifie de ces sommes par la production du sous-détail des prix validés par la maîtrise d'œuvre et la maîtrise d'ouvrage et remis avec l'offre ;

- elle doit être indemnisée des frais d'amené, d'évacuation et de stockage des matériaux d'apport déposés provisoirement à proximité du chantier dans l'attente de son démarrage à hauteur de 1 219 398,39 euros HT ; à supposer qu'une partie de ces coûts ne soit pas directement consécutif à la décision de résiliation, ils engagent la responsabilité contractuelle ou délictuelle de l'Etat qui n'a pas respecté les dates prévues pour la réalisation des travaux et a différé sa décision de résiliation de plus de cinq ans ;

- elle doit être indemnisée des frais liés à l'immobilisation du matériel à hauteur de 273 422 euros HT, montant justifié par le sous-détail des prix ;

- elle doit être indemnisée de frais d'études au stade de la consultation à hauteur de 15 697,50 euros HT ;

- elle doit être indemnisée des frais liés au manque de chiffre d'affaires compte-tenu des reports successifs des dates annoncées pour le démarrage des travaux, à hauteur de 435 600 euros HT ;

- la responsabilité de l'Etat doit être engagée du fait des fautes qu'il a commis ; ainsi, l'Etat, bien qu'ayant notifié le marché et ordonné le démarrage de la période de préparation, n'était pas certain de mener l'opération à son terme ; il a décidé de résilier le marché 5 ans après sa passation alors que tous les obstacles juridiques avaient disparu ; la décision de résiliation a été notifiée avec retard ; l'Etat a entretenu les entreprises dans la perspective d'un démarrage prochain des travaux par des courriers répétitifs et des échanges informels et formels réguliers ; la société doit être indemnisée de l'indemnité forfaitaire prévue au CCAG et destinée à couvrir la perte de marge attendue ainsi que des frais et investissements engagés pour le marché ;

- la somme octroyée doit être assortie des intérêts moratoires au taux de 7% conformément au décret du 21 février 2002, à hauteur de 840 857,71 euros ;

- elle demande également la somme de 36 143 euros au titre des frais d'études liés à la période de préparation exposés par la société Marc SA, la somme de 124 688,7 euros au titre des frais de préparation, d'étude et d'immobilisation des équipements d'encadrement des sociétés Egetra TP et SRTP, la somme de 58 760 euros au titre des frais d'approvisionnement à proximité du chantier de blocs béton BT4 et des éléments de signalisation par les sociétés Egetra et SRTP, enfin la somme de 15 697,50 euros au titre des frais d'études au stade de la consultation par ces deux sociétés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Pigeon TP Loire Anjou ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

-le code des marchés publics ;

-l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

-le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Henrion, avocat représentant la société Pigeon TP Loire Anjou.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du projet d'aménagement d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, l'Etat a confié, le 2 octobre 2012, le marché de réalisation d'un échangeur sur la RN 137 à Grandchamp-des-Fontaines à un groupement solidaire constitué des sociétés Egetra TP, mandataire, SRTP et Marc SA, pour un montant de 8 314 718,24 euros TTC. Par un avenant signé le 22 mai 2018, la société Pigeon TP Loire Anjou s'est substituée à la société Egetra TP, mandataire du groupement. A la suite de l'abandon du projet d'aéroport, l'État a décidé, le 11 juin 2019, de résilier unilatéralement le marché de travaux pour motif d'intérêt général. Par une lettre du 26 juin 2019, la société Pigeon TP Loire Anjou a présenté une demande d'indemnisation d'un montant de 3 229 580,60 euros HT. L'État a notifié le 8 novembre 2019 le décompte de résiliation du marché pour un montant total de 543 903,25 euros, comprenant un état d'acompte n° 1 d'un montant de 204 820,30 euros TTC et une indemnité de résiliation d'un montant de 339 082,95 euros TTC. La société a retourné le 27 novembre 2019 le décompte signé avec réserves. Après rejet implicite de sa réclamation, la société a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'État à lui verser la somme de 3 013 567 euros TTC, sous déduction des acomptes déjà versés, au titre du décompte de résiliation du marché, la somme de 840 857,71 euros au titre des intérêts échus au 1er août 2019, assortie de la capitalisation des intérêts à compter de l'enregistrement de la requête et les intérêts sur les sommes en cause au taux de 7 % à compter du 2 août 2019. La société Pigeon TP Loire Anjou relève appel du jugement du 15 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 39 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2019 et de la capitalisation des intérêts au titre du décompte de résiliation du marché, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier un contrat, sous réserve des droits à indemnité du cocontractant. L'étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment d'une personne publique, une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le cocontractant, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé. Ce principe, découlant de l'interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, ne s'appliquant pas aux personnes privées, rien ne s'oppose en revanche à ce que ces stipulations prévoient une indemnisation inférieure au montant du préjudice subi par le cocontractant privé de l'administration.

3. Aux termes de l'article 46.4 du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicables aux marchés publics de travaux, auquel se réfère le marché en cause : " Résiliation pour motif d'intérêt général : / Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur résilie le marché pour motif d'intérêt général, le titulaire a droit à une indemnité de résiliation, obtenue en appliquant au montant initial hors taxes du marché, diminué du montant hors taxes non révisé des prestations reçues, un pourcentage fixé par les documents particuliers du marché ou, à défaut, de 5 %. / Le titulaire a droit, en outre, à être indemnisé de la part des frais et investissements, éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, qui n'aurait pas été prise en compte dans le montant des prestations payées. Il lui incombe d'apporter toutes les justifications nécessaires à la fixation de cette partie de l'indemnité, dans un délai de quinze jours après la notification de la résiliation du marché. / Le titulaire doit, à cet effet, présenter une demande écrite, dûment justifiée, dans le délai de deux mois compté à partir de la notification de la décision de résiliation. ".

4. Il résulte de ces stipulations qu'en cas de résiliation pour motif d'intérêt général, l'entrepreneur ne peut obtenir d'autre indemnité que celle correspondant à la part des frais et investissements éventuellement engagés pour le marché et strictement nécessaires à son exécution, à l'exception de l'indemnité forfaitaire correspondant à 5 % du montant total HT de ce marché.

5. En premier lieu, selon l'article 3-2.5 du cahier des clauses administratives particulières, il est dérogé aux 1.1, 1.7 et 3.1 de l'article 13 du cahier des clauses administratives générales pour le calcul des décomptes et acomptes, qui est effectué alors par le système de gestion automatisée des marchés publics (GAME) sur lequel le titulaire peut obtenir toutes informations souhaitées auprès du maître d'œuvre. Cet article précise que le projet de décompte mensuel GAME est établi par le titulaire avant la fin de chaque mois et accepté ou rectifié par le maître d'œuvre qui le transmet au système GAME qui édite, en application des clauses du marché, le décompte et l'état d'acompte.

6. Il résulte du premier alinéa de l'article 46.4 précité du CCAG que la société Pigeon TP Loire Anjou a droit au versement d'une somme représentant 5 % du montant HT des travaux diminué du montant des prestations payées par l'Etat. Le montant initial HT du marché s'établissait à la somme de 6 952 105,55 euros et le maître d'ouvrage a réglé à la société la somme de 170 446,51 euros HT au titre d'un état d'acompte n° 1 du 29 octobre 2019 portant sur les prestations exécutées au 14 février 2013. La société n'établit pas que le montant figurant sur cet état d'acompte résulterait " d'une appréciation unilatérale des frais exposés en pure perte par l'entreprise " alors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que le calcul des acomptes est effectué à l'aide du système GAME, pas davantage que cette somme " n'a pas fait l'objet d'une demande de paiement " de sa part. L'assiette de l'indemnité de résiliation due à cette dernière, qui correspond à la différence entre ces deux sommes, s'établit donc au montant de 339 082 euros, contrairement à ce qu'elle soutient.

7. En deuxième lieu, la société Pigeon TP Loire Anjou soutient qu'elle doit être indemnisée, sur le fondement du 2ème alinéa de l'article 46.4 du CCAG Travaux, au titre des frais et investissements, pour la réalisation du plan d'assurance qualité pour un montant de 39 360 euros HT et du plan d'assurance d'environnement pour un montant de 19 920 euros HT. Toutefois, d'une part, il est constant que l'état d'acompte n° 1 mentionné au décompte de résiliation comprend notamment les études des ouvrages définitifs pour un montant de 7 575 euros HT et l'installation du chantier, pour un montant de 104 111,50 euros HT tel qu'exécuté au 14 février 2013, qui couvrent en principe tous les frais propres à la phase de préparation du chantier. D'autre part, la société n'établit pas, par la production d'un compte-rendu de visite préalable environnement du 20 novembre 2012, d'un plan d'assurance qualité terrassement du 28 novembre 2012 et d'un " sous-détail des prix " que ces prestations n'auraient pas déjà été prises en compte.

8. En troisième lieu, la société Pigeon TP Loire Anjou soutient qu'elle doit être indemnisée, sur le fondement du 2ème alinéa de l'article 46.4 du CCAG Travaux, de " frais de préparation, d'étude et d'immobilisation des équipes d'encadrement ", pour la période de préparation et la période " intermédiaire ", qu'elle évalue dans un tableau récapitulatif aux sommes de 36 143 euros pour la société Marc SA, et de 124 688,75 pour les sociétés Egetra et SRTP. Elle précise qu'elle estime que l'Etat a maintenu le groupement dans l'incertitude s'agissant du démarrage ou non des travaux, que le titulaire doit être considéré comme ayant maintenu ses moyens mobilisés pendant la période dite " intermédiaire " et doit être indemnisé de la perte d'amortissement de ses frais généraux. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 7, la société ne justifie pas que les frais propres à la phase de préparation n'ont pas tous été indemnisés par le paiement d'un état d'acompte n° 1. S'agissant de la phase dite " intermédiaire ", la société n'établit pas que les frais généraux dont elle réclame le remboursement se rattachent au marché litigieux en produisant un mémoire financier, accompagné d'une attestation de témoignage de juin 2021 d'un salarié et de bulletins de paye d'un chef de secteur, d'un responsable " études des prix ", d'un technicien géomètre de la société Egetra TP, ni davantage par la production du " sous détail des prix " du marché arrêté au 5 juin 2012 et de celui arrêté au 26 juin 2020. En tout état de cause, par ces documents, la société n'établit pas que seraient restés à sa charge des frais et investissements engagés pour l'exécution du marché, strictement nécessaires à cette exécution et non déjà pris en compte dans le décompte établi par l'Etat.

9. En quatrième lieu, si la société Pigeon TP Loire Anjou sollicite la somme de 15 697,50 euros HT au titre de " frais d'études au stade de la consultation ", de tels frais ne peuvent être indemnisés par application du 2ème alinéa de l'article 46.4 du CCAG dès lors qu'ils sont antérieurs au contrat, auraient été exposés même si le marché n'avait pas été conclu, et ne concernent pas directement l'exécution même du marché.

10. En cinquième lieu, en ce qui concerne les frais d'amené, d'évacuation et de stockage des matériaux d'apport déposés provisoirement à proximité du chantier, la requérante soutient que le projet nécessitait l'approvisionnement et la mise en œuvre de 68 500 m³ de matériaux de remblai d'apport, qu'un stock provisoire de matériaux avait été constitué sur un terrain pris en location auprès d'une entreprise, à proximité immédiate du chantier, sur le territoire de la commune de Vigneux-de-Bretagne, que les relations avec la commune sont devenues conflictuelles, que la commune a notifié le 25 octobre 2013 un arrêté prononçant une amende de 20 000 euros et enjoignant à la société Egetra TP de procéder à l'enlèvement complet des matériaux stockés, sous astreinte de 1 500 euros par jour, que la société Egetra TP a dû évacuer tous les matériaux destinés au remblai avant le 31 janvier 2014 et régler une indemnité forfaitaire de 15 000 euros à la commune de Vigneux-de-Bretagne et qu'en contrepartie, la commune a renoncé à liquider l'astreinte, qui représentait à cette date près de 150 000 euros.

11. Il résulte de l'instruction que la société Egetra TP a pris à bail un terrain nu situé à Vigneux-de-Bretagne afin d'y stocker des matériaux de remblai dès le 1er juillet 2011, soit avant la conclusion du marché de réalisation d'un échangeur sur la RN 137 à Grandchamp-des-Fontaines signé le 2 octobre 2012. De plus, aucune disposition du CCAP n'obligeait la société Egetra TP à stocker des matériaux de remblai d'apport avant la phase de démarrage du chantier, alors que cette phase n'a en tout état de cause jamais fait l'objet d'un ordre de service et alors surtout que la société avait été informée expressément dès un courrier du 7 août 2013, en sa qualité de mandataire du groupement, qu'il ne fallait " engager aucune démarche susceptible de générer des frais sur cette affaire ". Dans ces conditions, la société Pigeon TP Loire Anjou ne justifie pas que les frais liés au déplacement des matériaux vers une autre zone proche du chantier avant résiliation du marché et à leur déplacement après résiliation vers un site de stockage définitif étaient engagés pour le marché et strictement nécessaire à son exécution au sens de l'article 46.4 du CCAG. Au demeurant, la société ne peut prétendre au remboursement de frais de décharge des matériaux qui restaient en sa possession après résiliation du marché dès lors qu'il s'agit d'une décision de gestion.

12. En outre, l'indemnité forfaitaire de 15 000 euros, résultant d'un protocole d'accord conclu entre la commune de Vigneux-de-Bretagne et la société Egetra TP, avait pour objet d'indemniser la commune notamment du fait de la détérioration de la voirie et des pollutions subséquentes. Ces dommages relèvent de la seule responsabilité de la société Egetra TP, ne peuvent être qualifiés de dépenses strictement nécessaires à l'exécution du marché et aucune somme n'est due à ce titre par le maître d'ouvrage.

13. Dans ces conditions, la société requérante ne justifie pas qu'elle doit être indemnisée pour un montant supérieur à la somme de 39 000 euros retenue par le tribunal administratif s'agissant des frais d'amené, d'évacuation et de stockage des matériaux d'apport.

14. En sixième lieu, la société n'établit pas que les frais " liés à l'immobilisation du matériel et du personnel " dont elle réclame le remboursement à hauteur de 2 733 422 euros se rattachent au marché litigieux, pas davantage qu'ils ont été engagés pour l'exécution du marché et sont strictement nécessaires à cette exécution.

15. En septième lieu, la société Pigeon TP Loire Anjou soutient qu'elle doit être indemnisée de frais généraux de structure liés au manque de chiffre d'affaires dès lors qu'elle a renoncé à répondre à de nombreuses consultations ou a répondu à celles-ci à des prix majorés pour prendre en compte les surcoûts d'externalisation du fait de l'immobilisation de ses installations pour le marché de réalisation d'un échangeur. Elle évalue ces frais généraux à 15 % du chiffre d'affaires non généré pour l'année 2013, soit la somme de 435 600 euros. Toutefois, de tels frais correspondant à des coûts internes à l'entreprise ne peuvent être regardés comme des frais et investissements strictement nécessaires à l'exécution du marché.

16. En huitième lieu, la société Pigeon TP Loire Anjou fait état de fautes de l'Etat de nature à engager sa responsabilité. Ainsi, elle soutient que l'État a ordonné le démarrage de la période de préparation du chantier sans décider ni lancer le démarrage des travaux ni l'informer de démobiliser les moyens prévus pour ce démarrage, que l'État a tardé pour prononcer la résiliation du marché, que la résiliation est intervenue alors que plus aucun obstacle juridique ne s'opposait à la réalisation du nouvel aéroport, que la résiliation du marché est intervenue près de 5 ans après la notification du démarrage de la période de préparation du chantier et que la mobilisation inutile de ses moyens ne lui a pas permis de répondre à d'autres commandes.

17. Toutefois, si le 17 janvier 2018 a été annoncée la décision du Gouvernement d'abandonner le projet de réalisation d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, le projet, ancien, avait suscité une forte opposition, tant sur place avec l'installation d'opposants, que par la multiplication des recours contentieux. C'est la raison pour laquelle l'Etat a régulièrement informé le groupement, notamment par lettres adressées le 7 août 2013, le 27 novembre 2015, le 20 décembre 2016 et le 20 juin 2017, du report du démarrage des travaux, demandant expressément au mandataire du groupement de " n'engager aucune démarche susceptible de générer des frais sur cette affaire ". Dans ces conditions, alors même que la résiliation est intervenue après que les recours contentieux aient été purgés et après un référendum favorable à la réalisation du projet, le retard global pour résilier le marché en cause ne paraît pas fautif. Seul le délai entre l'annonce, le 17 janvier 2018, de la décision du Gouvernement d'abandonner le projet, et la date de résiliation du marché, le 26 juin 2019, peut paraître excessif. Néanmoins la requérante ne justifie pas de l'existence d'un préjudice propre à cette période.

18. En dernier lieu, si la société Pigeon TP Loire Anjou invoque la responsabilité de l'État sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, la requérante étant liée à l'État par un contrat, elle ne peut exercer à son encontre en raison des préjudices dont elle demande réparation, d'autre action que celle procédant de ce contrat.

19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la société Pigeont TP Loire Anjou n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a seulement condamné l'Etat à lui verser la somme de 39 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2019 et de la capitalisation des intérêts, au titre du décompte de résiliation du marché. Ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Pigeon TP Loire Anjou est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Pigeon TP Loire Anjou et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 juin 2024.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01088


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01088
Date de la décision : 12/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CABINET HENRION

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-12;23nt01088 ?
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