Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B..., agissant en qualité de représentante légale de la jeune C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises au Kenya refusant de délivrer à la jeune C..., un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.
Mme A... B..., agissant en qualité de représentante légale de la jeune C..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 février 2023 par laquelle par le ministre de l'intérieur et des outre-mer a confirmé la décision de l'ambassade de France au Kenya ayant refusé de délivrer à la jeune C..., un visa de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement nos 2214626, 2303941 du 31 août 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 octobre 2023 et 6 mai 2024, Mme B..., représentée par Me Gaillot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 31 août 2023 du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision ministérielle du 15 février 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 15 février 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros à Me Gaillot sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle a présenté un jugement de délégation d'autorité parentale et le père de l'enfant est décédé le 2 août 2018 ;
- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que celles des articles 3 et 9 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante somalienne, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugiée en 2018. La jeune C..., se présentant comme sa fille, a alors sollicité auprès de l'ambassade de France au Kenya la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale, lequel lui a été refusé par les autorités consulaires françaises. Saisie d'un recours, reçu le 12 juillet 2022, contre cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, après avoir gardé le silence sur ce recours faisant naitre une décision de rejet, a recommandé au ministre de l'intérieur et des outre-mer, le 8 décembre 2022, de délivrer le visa sollicité. Par une décision du 15 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté le recours formé contre la décision consulaire. Mme B... relève appel du jugement du 31 août 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision ministérielle.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Et aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil.". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
5. Il ressort du courrier du 15 février 2023 que pour refuser le visa sollicité pour l'enfant C... le ministre de l'intérieur et des outre-mer a opposé le fait que " les déclarations incohérentes de Mme A... B..., notamment concernant le père de la jeune C..., conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de membre de famille de personne protégée. ".
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... B... s'est vu reconnaitre la qualité de réfugiée en France le 2 août 2018. Elle expose qu'elle a été mariée à un ressortissant somalien de 2011 à leur divorce le 15 juin 2017 et que de cette union est née en Somalie, le 2 mai 2012, l'enfant C.... Elle produit à cet égard un " certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état-civil " établi par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) mentionnant également le divorce prononcé en 2017 par un tribunal de Mogadiscio ainsi que le livret de famille établi par cet Office. Un certificat de divorce établi par un juge somalien le 15 juin 2017 précise également les conditions de ce divorce. Un certificat de décès établi par un médecin hospitalier d'un hôpital de Mogadiscio du 4 août 2018 atteste du décès de l'ancien conjoint de Mme A... B..., le 2 août 2018, des suites d'un attentat. Il ressort ainsi des pièces du dossier que l'intéressée est restée cohérente sur sa situation familiale depuis son entrée en France en 2018. Si Mme B... n'a pas déclaré le décès de son ancien conjoint lorsqu'elle a renseigné le 7 août 2018 sa fiche familiale de référence destinée à l'OFPRA, il n'est pas établi qu'elle avait alors connaissance de ce décès survenu seulement le 2 août précédent en Somalie et alors que le couple avait divorcé. Par ailleurs, il lui a été reproché de produire une attestation de tiers confirmant le consentement du père de l'enfant, avant son décès, à la garde de cette dernière par Mme A... B..., mentionnant une date d'enregistrement par un juge du tribunal de Waberi Mogadiscio le 15 novembre 2017, incohérente avec celle des autres documents mentionnant un décès survenu le 2 août suivant. L'intéressée produit cependant pour la première fois en appel un document du tribunal régional de Banadir du 15 novembre 2018 indiquant qu'il convenait de lire le 15 novembre 2018, au lieu du 15 novembre 2017 dans le document précédent. Dans ces conditions, en l'absence d'incohérences des déclarations successives de Mme A... B..., y compris au regard des documents produits, celle-ci est fondée à soutenir que c'est au terme d'une inexacte application des dispositions citées au point 2 que le ministre de l'intérieur et des outre-mer a rejeté son recours.
7. En second lieu, en première instance, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a également fait valoir, afin de fonder légalement la décision contestée, que les éléments présentés ne permettaient pas d'établir l'identité de la jeune C.... L'intéressée a néanmoins produit un certificat de naissance somalien établi le 15 octobre 2020 mentionnant l'identité de ses parents et son adresse, ainsi qu'un certificat de confirmation d'identité établi le même jour comportant également sa photographie et un relevé d'empreinte. Ces éléments sont cohérents avec ceux figurant dans les documents établis par l'OFPRA et ceux figurant sur le passeport somalien de l'intéressée. Par ailleurs, le ministre n'établit pas que la législation somalienne imposerait des mentions supplémentaires à celles figurant sur le certificat de naissance produit. Dans ces conditions, en estimant que l'identité de la demandeuse de visa, et partant, son lien familial avec Mme B... n'étaient pas établis, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2.
8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, et alors que la décision ministérielle censurée s'est totalement substituée à la décision des autorités consulaires françaises au Kenya, que Mme A... B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 15 février 2023 du ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer une astreinte.
Sur les frais d'instance :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme demandée par Me Gaillot, laquelle n'est pas partie à l'instance, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 2214626, 2303941 du 31 août 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé en ce qu'il rejette la demande d'annulation de la décision du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 15 février 2023 refusant de délivrer un visa à la jeune C....
Article 2 : La décision du ministre de l'intérieur et des outre-mer du 15 février 2023 refusant de délivrer un visa à la jeune C... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et de l'outre-mer de délivrer à la jeune C... un visa d'entrée et de long séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Gaillot, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03116