Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 27 janvier 2022 des autorités consulaires françaises à Rabat (Maroc) refusant de délivrer à Mme D... un visa de long séjour.
Par un jugement n° 2209690 du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de visa de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 3 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- Mme D... n'a pas présenté de demande au titre de la réunification familiale ;
- si sa demande devait être analysée sur ce fondement il y aurait lieu de refuser cette demande présentée plus d'un an après l'obtention de la protection subsidiaire par sa fille.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 5 juin 2023 et 9 avril 2024, Mme B... C... et Mme A... D..., représentées par Me Régent, demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité au titre de la réunification familiale dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'aide juridictionnelle en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Mme B... C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., ressortissante marocaine née le 14 mars 2002, est entrée irrégulièrement en France en 2019 et a été confiée à l'aide sociale à l'enfance et placée sous tutelle départementale par une décision du tribunal de grande instance de Rennes du 10 janvier 2020. Le 24 septembre 2020 il lui a été reconnu le bénéfice de la protection subsidiaire par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Le 19 novembre 2021, Mme C... a indiqué au bureau des familles de réfugiés qu'elle souhaitait être rejointe par sa mère, Mme D..., au titre de la réunification familiale. Cette dernière a ensuite sollicité, auprès des autorités consulaires françaises à Rabat (Maroc), la délivrance d'un visa de long séjour qui lui a été refusé. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours enregistré le 14 février 2022 formé contre la décision consulaire. A la demande de Mmes C... et D..., par un jugement du 3 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer la demande de visa de Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement et Mme D..., par des conclusions d'appel incident, demande de réformer la mesure d'injonction décidée par les premiers juges.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :
2. Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial, en qualité de visiteur, d'étudiant, de stagiaire ou au titre d'une activité professionnelle, et plus généralement tout type de séjour d'une durée supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24. ".
3. Il résulte des écritures du ministre de l'intérieur et des outre-mer que pour refuser implicitement le visa de long séjour sollicité par Mme D..., que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a analysé comme sollicité en qualité de visiteur, cette instance a opposé le fait que l'intéressée et sa fille ne disposaient pas des ressources et d'un logement suffisants pendant la durée du séjour envisagé par Mme D... en France et la circonstance que cette dernière ne justifiait pas de la nécessité de résider en France pour un séjour de plus de trois mois.
4. Il ressort des pièces du dossier que si Mme D... soutient avoir déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale, le seul formulaire de demande de visa signé par elle, alors même qu'elle indique être analphabète, porte sur une demande présentée non pas à titre d'établissement familial mais d'établissement privé/visiteur. Le document qu'elle présente comme étant le formulaire de demande de visa pour établissement familial qu'elle avait rempli préalablement au dépôt formel de sa demande de visa est incomplet et n'est pas celui qui a été renseigné et signé par Mme D... puis enregistré par les autorités consulaires françaises. Dans ces conditions, c'est sans se méprendre sur la portée de cette demande de visa ni commettre d'erreur de droit que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est estimée saisie d'un recours dirigé contre une décision consulaire de refus de visa de long séjour en qualité de visiteur.
5. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler le refus de visa en litige, sur le moyen tiré de " l'irrégularité " commise par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France dans l'analyse de la demande de visa dont l'administration avait été initialement saisie.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mmes C... et D... tant en première instance qu'en appel.
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mmes C... et D... :
7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., née le 14 mars 2002, est entrée en France alors qu'elle était âgée de 17 ans et qu'elle a obtenu peu après, le 24 septembre 2020, le bénéfice de la protection subsidiaire en raison d'un risque de mariage forcé, qu'elle est parvenue à contrer avec l'aide de sa mère, et de faits de violence à son encontre de la part d'un oncle. Du fait de son isolement et de sa qualité de mineure non accompagnée, elle a été placée sous la tutelle du département d'Ille-et-Vilaine. Il est également établi qu'en novembre 2021, elle a manifesté sa volonté d'être rejointe en France par sa mère, veuve depuis 2011, avec qui elle vivait avant son départ du Maroc, et que celle-ci a immédiatement présenté une demande de visa de long séjour. Dans ces conditions, et eu égard aux motifs de l'octroi de la protection subsidiaire accordée à Mme C... et à son jeune âge, la décision contestée a porté au droit de celle-ci au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par Mmes C... et D..., que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions d'appel incident à fin d'injonction et d'astreinte :
10. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
11. L'exécution du présent arrêt, eu égard à ses motifs, implique nécessairement qu'un visa d'entrée et de long séjour soit délivré à Mme D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa à l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer une astreinte.
Sur les frais d'instance :
12. Mme B... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Régent dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme D... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Régent une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de Mmes C... et D... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme B... C... et à Mme A... D....
Délibéré après l'audience du 16 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT00686