Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Veron Diet a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner la commune de La Remaudière à lui verser une somme de 10 710,97 euros TTC au titre des frais qu'elle a engagés dans le cadre du marché conclu avec cette commune pour la construction d'une salle de loisirs, ainsi qu'une somme de 539,51 euros au titre des bénéfices dont elle a été privée du fait de la nullité du contrat conclu avec cette commune pour cette construction, assorties des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts.
Par un jugement n° 2009204 du 21 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a condamné la commune de la Remaudière à verser à la société Veron Diet une somme de 437,58 euros HT, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts (article 1er) et a rejeté le surplus des conclusions des parties (article 2).
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 20 février, 27 juillet et 16 août 2023, la société Veron Diet, représentée par Me Patin, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du 21 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes en ce qu'il a limité le montant des condamnations qui lui ont été allouées à la somme de 437,58 euros HT ;
2°) de condamner la commune de La Remaudière à lui verser une somme de 10 710,97 euros au titre des fournitures acquises en vain, assortie des intérêts moratoires au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de rejeter l'appel incident de la commune de La Remaudière ;
4°) de mettre à la charge de la commune de La Remaudière une somme de
3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a droit au remboursement des dépenses qui ont été utiles à la commune mais aussi des autres dépenses exposées pour l'exécution du contrat et aux gains dont elle a été définitivement privée par la nullité du contrat ; la somme de 10 710,97 euros correspond au montant des fournitures acquises pour le marché annulé et il n'y a pas lieu de s'interroger sur l'utilité de ces dépenses pour l'ouvrage ;
- les moyens soulevés par la commune à l'appui de son appel incident ne sont pas fondés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 27 février et le 3 août 2023, la commune de La Remaudière, représentée par Me Plateaux, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la société Veron Diet ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 1er du jugement du
21 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes et de rejeter dans cette mesure la demande présentée par la société Veron Diet ;
3°) en tout état de cause, de prononcer un sursis à statuer et de désigner un expert ;
4°) de mettre à la charge de la société Veron Diet la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés en appel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la minute du jugement attaqué ne comporte pas les signatures requises par l'article R. 741-7 du code de justice administrative :
- les premiers juges ont méconnu le principe du contradictoire en raison de l'insuffisance du délai accordé pour répondre aux dernières écritures de la société ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé et entaché d'une omission d'examen s'agissant du moyen tiré de " l'exception d'imprudence fautive de la victime " ;
- les dépenses alléguées par la société Veron Diet ne présentent pas un caractère utile ; la commune démontre l'absence de matérialité des travaux invoqués et il appartient à la cour, en tout état de cause, de désigner un expert sur ce point ; le bâtiment n'a fait l'objet d'aucune réception de nature à garantir sa parfaite acquisition par la commune ; l'administration ne tire aucun profit de cet ouvrage inachevé, qui ne peut ouvrir au public pour des motifs de sécurité ; l'ouvrage n'est pas utilisé conformément à sa destination et il fera l'objet d'une démolition à brève échéance ;
- il n'existe pas de lien de causalité direct entre l'illégalité affectant les marchés publics de travaux conclus entre mai 2013 et mars 2014 et la perte de bénéfice alléguée par la société eu égard à l'objet illicite des marchés ;
- l'imprudence fautive de la société est de nature à atténuer la responsabilité de la commune ; elle ne pouvait ignorer qu'il s'agissait de construire un ouvrage public de grande ampleur, destiné à l'exercice de services publics secondaires, dans une commune de faible importance, sur la base d'un recours à l'emprunt et, en qualité de professionnelle, aurait dû alerter la commune.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet ;
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Papin, représentant la société Veron Diet, ainsi que les observations de Me Jouanneaux, substituant Me Plateaux, représentant la commune de la Remaudière.
Une note en délibéré, présentée pour la société Veron Diet, a été enregistrée le 15 mai 2024.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de La Remaudière a conclu seize marchés de travaux pour la construction d'un ensemble immobilier à usage de salle de loisirs, bibliothèque et salle de réunion. Ainsi, par acte d'engagement signé le 16 mai 2013, le lot n° 3 " charpente bardage bois " a été attribué à la société Veron Diet. Par jugement du 27 mars 2015, rendu sur déféré préfectoral, le tribunal administratif de Nantes a annulé ce marché sur le fondement de l'article 5 du code des marchés publics alors en vigueur, au motif que la commune avait commis une erreur manifeste dans l'appréciation de ses besoins. La société Veron Diet demande la réformation de ce jugement en tant qu'il a limité le montant des condamnations qui lui ont été allouées à la somme de 437,58 euros HT, sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle, tandis que la commune de La Remaudière demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation de l'article 1er de ce jugement et le rejet de la demande de la société.
Sur les conclusions d'appel principal :
2. L'entrepreneur dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une telle action.
3. Si la consistance des prestations fournies s'évalue au moment où elles ont été exécutées, leur utilité pour l'administration doit être appréciée par le juge administratif à la date à laquelle il statue en tenant compte éventuellement de l'évolution des travaux ou du projet depuis leur exécution. Les dépenses utiles comprennent, à l'exclusion de toute marge bénéficiaire, les dépenses qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l'administration.
4. Il résulte de l'instruction que le projet de construction d'une salle de loisirs a été abandonné par la commune en cours de travaux. La société Veron Diet demande l'indemnisation d'achats de fournitures qui lui ont été livrées pour un montant de
10 710,97 euros tout en précisant que ces fournitures correspondent à des " matériaux non mis en œuvre sur le chantier ", commandés avant l'arrêt du chantier. Toutefois, compte-tenu de ce qui a été dit aux points 2 et 3, ces frais ne sauraient être regardés comme ayant présenté un caractère utile à la commune. En tout état de cause, contrairement à ce qu'elle soutient, elle n'est pas fondée à demander le remboursement de ces dépenses exposées par elle pour l'exécution du contrat, en alléguant que les fournitures étaient destinées spécifiquement à ce chantier et ne peuvent être utilisées sur un autre.
5. Il résulte de ce qui précède que la société Veron Diet n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces conclusions.
Sur les conclusions d'appel incident, en ce qui concerne la responsabilité quasi-délictuelle de la commune de la Remaudière :
6. Lorsque le juge administratif prononce l'annulation d'un contrat en raison de vices entachant sa validité, cette circonstance n'implique pas, par elle-même, une absence de droit à indemnisation au bénéfice du cocontractant. Ce droit à indemnisation s'apprécie, conformément aux principes du droit des contrats administratifs, au regard des motifs de la décision juridictionnelle et, le cas échéant, des stipulations contractuelles applicables.
7. Si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice. Le lien de causalité entre l'irrégularité du contrat tenant en des manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur et le préjudice invoqué par l'attributaire résultant de l'annulation du contrat ne peut être regardé comme direct lorsque les manquements en cause ont eu une incidence déterminante sur l'attribution du contrat.
8. Par un jugement devenu définitif du 27 mars 2015, le tribunal administratif de Nantes a prononcé l'annulation des marchés relatifs aux seize lots de l'opération de construction de l'ensemble immobilier à usage de salle de loisirs, bibliothèque et salle de réunion, en retenant que ces contrats ont méconnu l'article 5 du code des marchés publics dès lors que la commune de La Remaudière a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de ses besoins. En particulier, le projet n'était pas en adéquation avec les capacités financières de la commune et les proportions du projet, consistant dans la construction d'un complexe de 1 000 m2, n'étaient pas en rapport avec les besoins réels de la commune dès lors qu'un tel équipement ne présentait pas un caractère indispensable pour le service public communal. Ce manquement constitue une faute de nature à engager la responsabilité quasi-délictuelle de la commune.
9. Toutefois, l'irrégularité commise par la commune, qui a justifié l'annulation du contrat a, compte-tenu de son objet et de son importance, eu une incidence déterminante sur l'attribution du contrat à la société Veron Diet dans le cadre de la procédure adaptée qui a été suivie pour la passation du marché. Dans ces conditions, dès lors qu'il résulte ainsi de l'instruction que le marché n'aurait pas été conclu en l'absence de l'illégalité sus-décrite, le lien entre la faute de la commune et le manque à gagner ou les dépenses exposées dont cette société entend obtenir réparation ne peut être regardé comme direct, ce qui exclut que la société puisse rechercher l'indemnisation des préjudices qu'elle invoque sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune maître d'ouvrage.
10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que la commune de La Remaudière est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes l'a condamnée à verser à la société Veron Diet une somme de 437,58 euros HT au titre de l'indemnisation des bénéfices dont elle a été privée du fait de la nullité du contrat conclu avec la commune de La Remaudière.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de La Remaudière soit condamnée à verser à la société Veron Diet une somme au titre de ces dispositions. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Veron Diet une somme à verser à ce titre à la commune.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Veron Diet est rejetée.
Article 2 : L'article 1er du jugement du 21 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la société Veron Diet devant le tribunal administratif de Nantes tendant au versement d'une somme de 539,51 euros au titre des bénéfices dont elle a été privée du fait de la nullité du contrat conclu avec la commune est rejetée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la commune de La Remaudière est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Remaudière et à la société Veron Diet.
Délibéré après l'audience du 14 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- Mme Picquet, première conseillère,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mai 2024.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
A. MARTIN
La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00460