La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/05/2024 | FRANCE | N°22NT01400

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 03 mai 2024, 22NT01400


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme J... A... et Mme H... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 8 mars 2021 de l'autorité consulaire française à Bangui refusant de délivrer aux enfants E... C... et B... A..., ainsi qu'à Mme H... D..., des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de la famille d'un

bénéficiaire de la protection subsidiaire.



Par un jugement n°s 2109651, 2109652 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme J... A... et Mme H... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 8 mars 2021 de l'autorité consulaire française à Bangui refusant de délivrer aux enfants E... C... et B... A..., ainsi qu'à Mme H... D..., des visas d'entrée et de long séjour en qualité de membres de la famille d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Par un jugement n°s 2109651, 2109652 et 2109653 du 7 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 mai 2022, Mme G... A..., Mme D... et Mme B... A..., devenue majeure, représentées par Me Saligari, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 30 juin 2021 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 30 juin 2021 est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur de droit en ce que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas examiné si la filiation alléguée était établie par possession d'état ;

- les liens de filiation allégués sont établis par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;

- la décision de la commission de recours méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 juin 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mas,

- et les observations de Me Obriot, substituant Me Saligari, pour I... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 7 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de I... et Mme D... tendant à l'annulation de la décision du 30 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Bangui refusant de délivrer des visas de long séjour aux jeunes E... C..., B... A... et H... D..., enfants allégués de, nées respectivement les 31 mai 2007, 3 février 2004 et 25 août 2002, en qualité de membres de la famille d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire. Mme G... A..., Mme D... et Mme B... A... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 30 juin 2021 comporte les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision ne peut dès lors qu'être écarté.

3. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision du 30 juin 2021 de la commission de recours que celle-ci a examiné les éléments de possession d'état produits au soutien de la demande et les a estimés insuffisants pour établir les liens de filiation allégués. Le moyen tiré de ce que la commission n'aurait pas procédé à un tel examen doit dès lors être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / II. Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, alors applicable : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. "

5. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

7. Pour rejeter les demandes de visas de long séjour, la commission de recours s'est fondée sur ce que l'identité et le lien de filiation des enfants avec Mme G... A... n'étaient pas établis.

8. La souche et une copie intégrale de l'acte de naissance, dressé le 5 mai 2020, produits pour justifier l'identité et le lien de filiation de la jeune H... D... avec Mme G... A... indiquent que cet acte aurait été établi suivant jugement supplétif n° 1451 du tribunal de premier degré de Bangui du 17 février 2020. Ce jugement supplétif n'a cependant pas été produit. Par ailleurs, il ressort d'un jugement de délégation d'autorité parentale rendu le 20 mai 2020 par le tribunal de grande instance de Bangui, produit à l'appui de leur demande de visa par les intéressées, que Mme G... A... n'est pas la mère mais la tante paternelle de la jeune H... D.... Enfin, il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance indique que le nom de l'enfant est " Kplapko " alors que la souche de cet acte de naissance indique le nom de " D... ". En estimant les actes d'état-civil produits irréguliers et donc non probants, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a dès lors pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

9. Pour justifier l'identité et le lien de filiation de la jeune B... A... avec Mme G... A... sont produits un jugement supplétif d'acte de naissance n° 10647 du tribunal de grande instance de Bangui du 29 novembre 2017, ainsi que la souche et deux copies intégrales de l'acte de naissance, dressé le 5 décembre 2017, établi en transcription de ce jugement. Le jugement supplétif du 29 novembre 2017 indique, de façon inexacte, que l'enfant B... A... est de sexe masculin et ne saurait, dès lors, établir l'identité et le lien de filiation de la demandeuse de visa. La première copie intégrale de l'acte de naissance, établie en 2018, indique également que l'enfant est de sexe masculin, tandis que la seconde copie intégrale, établie en 2020, indique que l'enfant est de sexe féminin, sans qu'aucune explication ne soit donnée sur la discordance entre deux copies intégrales du même acte et sans qu'aucune mention ne fasse apparaître une correction intervenue entre l'établissement des deux copies. La seconde copie indique que la naissance a été déclarée en 2007, et non 2017, comme l'indique la première copie. Le ministre de l'intérieur soutient en outre, sans être contredit, que les quatre premiers chiffres du numéro d'acte de naissance devraient correspondre à l'année de naissance de l'enfant, soit 2004, alors que l'acte de naissance portant un numéro commençant par 2007. Enfin, il ressort d'un jugement de délégation d'autorité parentale rendu le 20 mai 2020 par le tribunal de grande instance de Bangui, produit à l'appui de leur demande de visa par les intéressées, que Mme G... A... n'est pas la mère mais la tante paternelle de l'enfant B... A.... Dans ces conditions, le jugement supplétif du 29 novembre 2017 doit être regardé comme présentant un caractère frauduleux. Par suite, en estimant que l'identité et le lien de filiation de la jeune B... A... avec Mme G... A... n'étaient établis ni par ce jugement supplétif ni par les actes de naissance dressés sur la base de ce jugement, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

10. Pour justifier du lien de filiation de la jeune E... C... avec Mme G... A... sont produits un jugement supplétif d'acte de naissance n° 10648 rendu le 29 novembre 2017 par le tribunal de grande instance de Bangui, ainsi que la souche et deux copies intégrales d'un acte de naissance dressé en transcription de ce jugement le 5 décembre 2017. Le jugement supplétif indique que la naissance a eu lieu à la maternité des Castors à Bangui, alors que I... a indiqué, dans la demande de visa, avoir accouché à la maternité La Vertue. En outre, il ressort d'un jugement de délégation d'autorité parentale rendu le 20 mai 2020 par le tribunal de grande instance de Bangui, produit à l'appui de leur demande de visa par les intéressées, que Mme G... A... n'est pas la mère mais la tante paternelle de la jeune E... C.... Dans ces conditions, le jugement supplétif du 29 novembre 2017 doit être regardé comme présentant un caractère frauduleux. Par suite, en estimant que l'identité et le lien de filiation de la jeune de la jeune E... C... avec Mme G... A... n'étaient établis ni par ce jugement supplétif ni par les actes de naissance dressés sur la base de ce jugement, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

11. Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". Selon l'article 311-2 du même code : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. "

12. Pour établir la filiation avec ses trois enfants allégués par possession d'état, Mme G... A... produit le passeport et une attestation de scolarité des enfants B... A... et H... D.... Toutefois, ces documents ne comportent aucune mention quant à la filiation de ces enfants. Elle produit en outre quelques photographies récentes, une facture de téléphone détaillée de mars 2021, qui ne permet pas d'identifier l'identité des personnes appelées, des mandats attestant de versements, postérieurement à la demande de visa, de sommes d'argent à un tiers dont le lien de parenté avec les enfants n'est pas précisé, le justificatif d'un voyage qu'elle a effectué à Douala et une lettre non signée, datée du 27 mars 2022, qui émanerait de chacune des trois enfants. Ces éléments ne sont toutefois pas suffisants pour établir les liens de filiation allégués par une possession d'état continue, paisible, publique et non équivoque.

13. En quatrième lieu, le lien de filiation allégué n'étant pas établi, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... A..., Mme D... et Mme B... A... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme J... A... et de Mme H... D....

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les intéressées dans la requête, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte qu'elles présentent doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme G... A..., Mme D... et Mme B... K... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme G... A..., de Mme D... et de Mme B... K... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... A..., à Mme B... A..., à Mme H... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mai 2024.

Le rapporteur,

B. MASLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. F...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01400


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01400
Date de la décision : 03/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Benoît MAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : SALIGARI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-03;22nt01400 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award