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23/04/2024 | FRANCE | N°23NT00705

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 23 avril 2024, 23NT00705


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 10 novembre 2021 des autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) lui refusant la délivrance d'un visa long séjour au titre du regroupement familial.



Par un jugement n° 2206085 du 13 janvier 2023, le tribun

al administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 mars 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 10 novembre 2021 des autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) lui refusant la délivrance d'un visa long séjour au titre du regroupement familial.

Par un jugement n° 2206085 du 13 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 mars et 6 décembre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Louafi Ryndina, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 janvier 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 16 mars 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de lui délivrer le visa sollicité dans un délai 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier ; sa situation n'a pas été examinée dans son intégralité révélant une insuffisance de motivation du jugement en fait et en droit ;

- son identité et son lien marital sont établis par les éléments d'état-civil produits ainsi que par des éléments de possession d'état ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mars 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante sénégalaise, indique s'être mariée le 18 août 2014 au Sénégal avec un compatriote, M. D... C..., résidant régulièrement en France. Le 13 mars 2020, ce dernier a obtenu du préfet de la Seine-Saint-Denis une autorisation de regroupement familial au bénéfice de Mme A.... Cette dernière a alors sollicité un visa de long séjour au titre du regroupement familial auprès du consul général de France à Dakar (Sénégal). Par une décision du 10 novembre 2021, cette autorité a rejeté sa demande. Par une décision explicite du 16 mars 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 13 janvier 2023, dont Mme A... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 16 mars 2022.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. Mme A... se borne à soutenir de manière générale que les premiers juges n'ont pas examiné dans leur intégralité ses écritures, entachant ainsi leur jugement d'irrégularité au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative. Cette assertion générale n'est toutefois assortie d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué faute de motivation doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des engagements internationaux de la France ou du livre II, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire de l'un des documents de séjour suivants : / 1° Un visa de long séjour (...). ". Et aux termes de l'article L. 434-2 du même code : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans (...). ". Si la venue en France de ressortissants étrangers a été autorisée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'autorité consulaire use du pouvoir qui lui appartient de refuser leur entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.

5. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ", ce dernier disposant que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".

6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux, ou révélerait une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.

7. Il résulte de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 16 mars 2022 que pour refuser le visa sollicité par Mme A... au titre du regroupement familial, cette autorité lui a opposé le fait que l'acte de naissance établi le 20 août 2001, inauthentique, était dépourvu de caractère probant, et qu'en conséquence l'identité de la demanderesse de visa et son lien matrimonial avec M. C... n'étaient pas établis.

8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'afin d'établir son identité à l'appui de sa demande de visa Mme A... s'est prévalue d'un extrait d'acte de naissance n° 880 qui aurait été dressé à une date non déterminée dans les registres d'actes de naissance de la ville de Thiès (Sénégal) sur la base d'un jugement supplétif, nouvellement dénommé jugement d'autorisation d'inscription, n° 223 du 20 août 2001 du tribunal d'instance de Thiès. Cependant, l'intéressée n'a jamais produit ce jugement supplétif. Elle s'est bornée à communiquer un extrait des minutes du greffe de ce tribunal du 20 avril 2022 signé d'un greffier, doublé d'une attestation du même jour du même signataire indiquant qu' " après vérification effectuée au niveau des archives du Tribunal de céans, il nous a été donné de constater que le jugement d'autorisation de naissance n° 223 du 20 août 2001 concernant B... A... née le 15 février 1975 à Pout de Emmanuel et Thérèse Tine existe bel et bien dans nos registres" tout en ajoutant, sans autre explication cohérente, qu'il est néanmoins impossible d'en délivrer une copie " à cause d'une destruction partielle des minutes de l'année susvisée ". Par ailleurs, il n'est pas contesté que le numéro figurant sur l'extrait d'acte de naissance n° 880 est incohérent au regard de la législation sénégalaise avec le numéro personnel figurant sur le passeport établi le 30 juin 2020 dont Mme A... s'est prévalue à l'appui de sa demande de visa. Devant la cour, elle explique pour la première fois que ce passeport aurait été délivré au vu d'un acte de naissance distinct dont le numéro, 5784, est cohérent avec celui figurant sur son passeport de 2020 mais qu'elle n'a pas produit à l'appui de sa demande de visa. Elle explique ceci par le fait qu'elle était consciente du fait que cet acte de naissance, établi en 1993 sur la base d'un jugement supplétif du 26 octobre 1993, qu'elle n'a pas produit, n'avait jamais été enregistré à l'état-civil sénégalais. Pourtant, il résulte d'un jugement du tribunal d'instance de Thiès du 21 juin 2023, qu'elle produit également, qu'elle a obtenu par cette décision l'annulation de cet acte de naissance, après constat de l'inexistence du jugement du 26 octobre 1993, en expliquant à la justice sénégalaise que jusqu'en 2023 " elle a construit son identité autour de ce document et s'en est prévalue dans tous les actes de la vie civile " avant de se rendre compte du fait qu'il était juridiquement inopposable. Enfin, ainsi que le relève le ministre, alors que la loi sénégalaise impose de faire figurer sur les actes de naissance l'existence d'un mariage, aucun des extraits d'actes de naissance produits avant 2023 ne mentionne son union avec M. C..., qui serait intervenue en 2014 au Sénégal. Les éléments d'état-civil de M. C... antérieurs à 2023 sont également muets sur ce point. Enfin, Mme A... ne peut utilement se prévaloir d'éléments de possession d'état afin d'établir son identité s'agissant d'une demande de regroupement familial. Par suite, eu égard à la coexistence d'actes de naissance distincts dont Mme A... s'est prévalue concomitamment mais différemment selon ses interlocuteurs et au fait que le jugement supplétif d'acte de naissance de 2001 n'a jamais été produit, les éléments d'état-civil produits ne permettent pas d'établir l'identité de la demandeuse de visa. Par suite, le lien marital allégué avec M. C... n'est pas davantage établi. Aussi la commission de recours a pu, sans faire une inexacte application des dispositions citées aux points 4 et 5, rejeter la demande de visa litigieuse au motif que l'identité de Mme A... et son lien matrimonial avec M. C... n'étaient pas établis.

9. En second lieu, l'identité de la demandeuse de visa et, partant, son lien familial avec le regroupant n'étant pas établis, la décision contestée ne peut être regardée comme portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00705


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00705
Date de la décision : 23/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : LOUAFI RYNDINA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-23;23nt00705 ?
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