La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/04/2024 | FRANCE | N°23NT00691

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 23 avril 2024, 23NT00691


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... et M. B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée), refusant de délivrer à M. B... C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.



Par un jugement n° 2203604

du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.



Procédure dev...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... et M. B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 5 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée), refusant de délivrer à M. B... C... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2203604 du 2 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 mars et 26 avril 2023, Mme A... C... et M. B... C..., représentés par Me Pronost, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 2 décembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 5 novembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant dire droit, une expertise génétique afin d'établir le lien de filiation ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision est insuffisamment motivée ;

- l'identité du demandeur de visa et partant son lien familial avec la réunifiante sont établis ;

- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- une expertise génétique permettra d'établir le lien de filiation.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 avril et 3 mai 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés et se réfère à son mémoire de première instance dont il produit une copie.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport D... Dubost,

- les observations de Me Pronost, représentant M. et Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante guinéenne née le 14 mars 1983, a été admise au bénéfice du statut de réfugiée en 2008. Son fils allégué M. B... C..., né le 1er novembre 2003, a déposé une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale, auprès de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée), laquelle a rejeté cette demande. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 5 novembre 2021. Mme C... et M. C... ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Ils relèvent appel du jugement de ce tribunal du 2 décembre 2022 rejetant leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Conakry, sur la circonstance que l'identité et la filiation de M. C... ne pouvaient être tenues pour établies, dès lors que son acte de naissance était non conforme à l'article 182 du code civil guinéen, M. C... ayant déjà produit un acte apocryphe lors d'une précédente demande de visa.

3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. " Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. " Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

4. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Pour justifier de son identité, M. C... a produit un acte de naissance n° 2136 établi le 9 novembre 2003 par l'officier d'état civil de la commune de Matoto. Si la commission a fondé sa décision sur l'article 182 du code civil guinéen pour écarter le caractère régulier de l'extrait d'acte de naissance de M. C..., ni la décision contestée, ni le ministre ne précisent dans quelle mesure l'acte aurait été délivré en contradiction avec ces dispositions. Il n'est pas non plus justifié de ce que M. C... aurait déjà produit un acte apocryphe au soutien d'une précédente demande de visa. En outre, la circonstance que cet acte de naissance mentionne que la naissance de l'enfant constitue un " deuxième geste " ne permet pas, à elle seule, d'établir que l'intéressé ne serait pas le fils ainé D... Mme C..., comme celle-ci l'a déclaré de manière constante au cours de l'instruction de sa demande d'asile. Par ailleurs, si cet acte a été établi un dimanche, jour de repos hebdomadaire en Guinée selon l'article 152 du code civil guinéen, hors les dérogations prévues par les dispositions des articles 153 et 154 du même code, les requérants justifient de ce qu'une déclaration de naissance peut être réalisée le dimanche au sein de la commune de Matoto. Le requérant produit également pour la première fois en appel, pour justifier de son identité, un certificat de naissance biométrique, délivré le 6 janvier 2022. Enfin, les onzième, douzième et treizième numéros de ces deux documents correspondent aux trois derniers numéros de l'acte de naissance de M. C.... Dans ces conditions, en estimant que l'identité du demandeur de visa et partant son lien familial avec Mme C... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ni de prescrire une expertise génétique, que Mme C... et M. C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

7. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. B... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

8. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros hors taxe à Me Pronost dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2203604 du 2 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 5 novembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour M. B... C... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B... C... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Pronost une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à M. B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 avril 2024.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

S. DEGOMMIERLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

S. PIERODÉ

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00691


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00691
Date de la décision : 23/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : PRONOST

Origine de la décision
Date de l'import : 28/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-23;23nt00691 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award