Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 13 septembre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suédoises.
Par un jugement n° 2315983 du 14 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête n° 24NT00096, enregistrée le 12 janvier 2024, Mme B..., représentée par Me Neraudau, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes du 14 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 septembre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités suédoises ;
3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement litigieux est entaché d'erreur de fait en ce qu'il indique que la décision d'éloignement produite n'était pas accompagnée d'une traduction, d'une insuffisance de motivation sur le moyen tiré d'une insuffisance de réponse aux éléments apportés dans son courrier du 8 octobre 2023 et d'une omission à se prononcer sur le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 522-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet de Maine-et-Loire a méconnu les articles 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le préfet de Maine-et-Loire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ; il a méconnu l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il a méconnu l'article L. 522-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mars 2024, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 décembre 2023.
II. Par une requête n° 24NT00584, enregistrée le 23 février 2024, Mme B... demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du 14 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du 14 novembre 2023 risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables pour ses enfants et elle ;
- les moyens exposés dans son mémoire d'appel sont sérieux.
Le préfet de Maine-et-Loire a produit un mémoire en défense le 2 avril 2024, postérieurement à la clôture automatique de l'instruction.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mars 2024.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange,
- et les observations de Me Néraudau pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante somalienne, née le 18 septembre 2000, a résidé en Suède du 12 mars 2018 au 15 août 2023. Entrée en France à cette dernière date, elle a sollicité l'asile le 4 septembre 2023. Par un arrêté du 13 septembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités suédoises. Mme B... relève appel du jugement du 14 novembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par une requête distincte, elle demande à la cour de surseoir à l'exécution du même jugement.
2. Les requêtes enregistrées sous les numéros 24NT00096 et 24NT00584, présentées pour Mme B..., sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour se prononcer par un seul arrêt.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
4. D'une part, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes, qui n'était pas tenue de répondre à tous les arguments présentés par la requérante, y compris dans son courrier du 8 octobre 2023, a répondu avec la précision requise au point 5 du jugement attaqué au moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté. Dans ces conditions, le moyen relatif à l'irrégularité tirée de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.
5. D'autre part, aux termes de l'article L. 522-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'évaluation de la vulnérabilité vise, en particulier, à identifier les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes en situation de handicap, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes atteintes de maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, telles que des mutilations sexuelles féminines ".
6. Il ne ressort pas de ses écritures que Mme B... ait soulevé un moyen autonome relatif à la méconnaissance de l'article L. 522-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes aurait omis de se prononcer sur un tel moyen.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
9. Mme B... fait état de sa particulière vulnérabilité en tant que femme isolée avec deux enfants mineurs à charge, alors qu'elle a subi des violences physiques et psychologiques en Somalie puis lors de son parcours migratoire. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle a résidé pendant plus de cinq années en Suède, où vit sa sœur, et où elle a pu faire examiner sa demande d'asile et avoir ses deux enfants. Si elle fait état d'une mesure d'éloignement prise par la Suède à son encontre, qui ne serait pas susceptible d'appel, cette seule circonstance ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations, alors que la Suède est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les autres éléments présentés, en particulier à caractère médical, n'établissent pas qu'elle, ou son fils, se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France, ni d'ailleurs qu'ils ne pourraient pas être pris en charge, en tant que de besoin, en Suède. Par ailleurs, Mme B... ne peut utilement se prévaloir des risques auxquels elle serait exposée en Somalie, dès lors que l'arrêté litigieux n'a pas pour objet de l'éloigner vers ce pays. Enfin, il ressort des pièces du dossier que dès lors que la décision contestée ne tend pas à séparer Mme B... de ses enfants et, au surplus, a pour objet de la transférer dans un pays où vit sa sœur, le préfet de Maine-et-Loire n'a pas porté d'atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire aux articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi qu'à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du même règlement doivent être écartés.
10. En second lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 6-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement ". Il résulte de ces articles que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions les concernant.
11. Mme B... ne peut utilement se prévaloir des risques auxquels ses enfants seraient exposés en Somalie alors que la décision contestée n'a pas pour objet de les éloigner vers ce pays. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils ne pourraient pas poursuivre leur scolarisation en Suède alors que l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire n'implique pas leur séparation de leur mère et qu'ils sont nés dans ce pays, le 16 novembre 2016 et le 27 mars 2018, où ils ont vécu jusqu'à la date du 15 août 2023. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée aux fins d'injonction doivent être rejetées.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :
14. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel de Mme B... contre le jugement du 14 novembre 2023. Par suite, les conclusions de la requête n° 23NT00584 aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24NT00584 à fin de sursis à exécution du jugement du 14 novembre 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes.
Article 2 : La requête n° 24NT00096 de Mme B... est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié Mme A... B..., à Me Neraudau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 avril 2024.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 24NT00096,24NT00584