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16/04/2024 | FRANCE | N°23NT03325

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 1ère chambre, 16 avril 2024, 23NT03325


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du

6 janvier 2023 par lequel le préfet de la Vendée a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2301314

du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté et enjoint au préfet de la Vendée d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du

6 janvier 2023 par lequel le préfet de la Vendée a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2301314 du 18 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté et enjoint au préfet de la Vendée de réexaminer la demande de M. A... dans un délai de deux mois à compter du jugement et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 novembre 2023 et 5 mars 2024, le préfet de la Vendée demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif, pour annuler son arrêté contesté, s'est fondé sur le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant compte tenu de la situation des enfants de

M. A....

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2024, M. A..., représenté par

Me Neraudau, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il enjoint au préfet de la Vendée de délivrer un titre de séjour à la famille A... ou, à titre subsidiaire, de réexaminer la situation de M. A... et à la mise à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de la Vendée ne sont pas fondés.

Un mémoire présenté pour M. A... a été enregistré le 12 mars 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mars 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Geffray,

- et les observations de Me Neraudau, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la Vendée relève appel du jugement du 18 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 6 janvier 2023 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A..., de nationalité albanaise, né le 12 septembre 1976, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré et lui a interdit le retour sur le territoire pour une durée de deux ans et lui a enjoint de réexaminer la demande de M. A... dans un délai de deux mois à compter du jugement et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de quinze jours à compter du jugement.

2. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. Pour annuler l'arrêté contesté du préfet de la Vendée, le tribunal administratif s'est fondé sur la méconnaissance des stipulations précitées du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'aîné des enfants de M. A..., né en 2001, était majeur à la date de l'arrêté contesté. Si les deux autres enfants mineurs, nés en 2005 et 2012, sont scolarisés dans une école primaire et un établissement de formation en CAP, il ne ressort des pièces du dossier aucune circonstances faisant obstacle à ce qu'ils poursuivent leur scolarité ailleurs qu'en France et notamment en Albanie. Quant au dernier enfant, né en 2021, rien ne s'oppose à ce qu'il suive ses parents hors de France, sa mère ayant fait également l'objet le 5 mars 2019 d'une mesure d'éloignement, Ainsi, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé, pour annuler l'arrêté litigieux, sur le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations précitées.

4. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen invoqué par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes.

Sur les moyens communs dirigés contre l'ensemble des décisions contestées :

5. L'arrêté attaqué a été signé par Mme Anne Tagand, secrétaire générale de la préfecture de la Vendée. Par arrêté du 8 avril 2022 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet lui a donné délégation à l'effet de signer " tous arrêtés, décisions, notamment ceux relatifs à l'éloignement des étrangers pris dans le cadre du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige manque en fait et doit être écarté.

6. L'arrêté contesté, qui vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention internationale des droits de l'enfant et les articles du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il est fait application, précise les éléments de la situation médicale, personnelle et familiale de M. A.... De plus, la décision fixant le pays de destination précise la nationalité de M. A... et indique que celui-ci n'établit pas être exposé à des risques pour sa sécurité ou sa vie en cas de retour dans son pays d'origine. La décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire vise les dispositions sur lesquelles elle se fonde et mentionne que M. A... s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement. Dès lors, l'arrêté contesté est suffisamment motivé en fait et en droit et ce, dans toutes ses décisions qui la composent.

Sur la légalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour :

7. M. A... a sollicité le 8 juillet 2022 auprès du préfet de la Vendée la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit.

8. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. "

9. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié et effectif dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect du secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et d'établir l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi et de la possibilité pour l'intéressé d'y accéder effectivement.

10. Par un avis du 11 octobre 2022, le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, l'intéressé pouvait cependant bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine et voyager sans risque vers ce pays.

11. M. A..., qui a révélé l'existence d'une maladie cardiaque et qui se contente de produire une note générale d'une autorité canadienne, publiée en juin 2014, ne démontre pas l'impossibilité de bénéficier de soins et traitements et d'un accès effectif à une prise en charge médicale appropriée en Albanie. S'il conteste l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration en tant qu'il indique qu'il peut voyager sans risques vers ce pays, il n'apporte aucun élément à l'appui de cette contestation. Dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Vendée aurait, en estimant que M. A... ne remplissait pas les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

12. M. A... fait valoir une durée de présence en France depuis près de sept ans, la présence de toute sa famille en France, son rôle actif au sein de l'association " Restos du Cœur ", son suivi médical en France, l'existence d'une promesse d'embauche en France et les circonstances d'être toujours en danger en Albanie et de subir des discriminations en tant que membre de la communauté rom en Albanie. Toutefois, ces éléments de vie personnelle de

M. A... ne suffisent pas à caractériser une erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet de la Vendée au regard de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels au sens des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Le moyen tiré de ce que la décision refusant un titre de séjour méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui interdisent les peines ou traitements inhumains et dégradants, est inopérant dès lors que cette décision n'a ni pour objet ni pour effet de conférer ou de retirer au demandeur le droit de séjourner en France ni de fixer le pays de destination où l'intéressé devrait être reconduit.

14. Compte tenu de ce qui a été dit au point 3 en ce qui concerne ses enfants et la circonstance que sa conjointe a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français le

5 mars 2019, la décision contestée n'a pas porté au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la cellule familiale pourra se reconstituer dans son pays, malgré une durée de présence de M. A... en France depuis près de sept ans, son rôle actif au sein de l'association " Restos du Cœur ", son suivi médical en France et l'existence d'une promesse d'embauche en France.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français et celle fixant le pays de destination :

15. La circonstance que l'arrêté ne cite pas les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est sans incidence sur la légalité de ces deux décisions.

16. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Vendée n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... avant de prendre ces deux décisions.

17. Compte tenu de ce qui a été dit au point 11, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dispositions dont M. A... doit être regardé comme se prévalant de la méconnaissance en lieu et place de celles du 10° de l'article L. 511-4 du même code, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 721-4 du même code, dispositions dont M. A... doit être regardé comme se prévalant en lieu et place de celles de l'article L. 513-2 du même code désormais abrogées et le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de son état de santé doivent être écartés.

Sur la légalité refusant d'accorder un délai de départ volontaire :

18. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; (...) ".

19. En l'espèce, M. A... s'est soustrait à l'exécution d'une précédente obligation de quitter le territoire français décidée le 5 mars 2019. Ainsi, le préfet de la Vendée a pu, sans commettre une erreur d'appréciation, faire une exacte application des dispositions précitées.

20. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Vendée est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 6 janvier 2023. Par voie de conséquence, les conclusions de M. A... à fin d'injonction et celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 18 octobre 2023 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Vendée.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.

Le rapporteur

J.E. GEFFRAY

Le président de chambre

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 23NT0332502


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03325
Date de la décision : 16/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-16;23nt03325 ?
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