Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 15 juin 2022 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office à l'issue de ce délai.
Par un jugement n° 2115923 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 septembre 2023 et des mémoires enregistrés les
6 novembre et 7 décembre 2023, M. A..., représenté par Me Guilbaud demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 juin 2022 par lequel le préfet de la Loire-Atlantique a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque à l'issue de ce délai ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Loire-Atlantique, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour et à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de huit jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au profit de son conseil qui renoncera, dans cette hypothèse, à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- elle n'est pas suffisamment motivée ;
- elle méconnaît les articles L. 435-3 et R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :
- la décision doit être annulée en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et porte atteinte au droit protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
S'agissant de la décision fixant le pays de destination :
- la décision doit être annulée en raison de l'illégalité de la décision portant refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 24 novembre 2023, le préfet de la
Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.
Le préfet soutient que les moyens ne sont pas fondés.
M. A... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par décision du 12 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Viéville, rapporteur ;
- et les observations de Me Guilbaud, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant ivoirien né en 2003, déclare être entré irrégulièrement en France au cours du mois d'août 2020. Après avoir été confié au conseil départemental de la Loire-Atlantique au titre de l'aide sociale à l'enfance, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23, L. 435-3 et L.435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Sa demande a été rejetée par un arrêté du 15 juin 2022 du préfet de la Loire-Atlantique portant en outre obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office lorsque le délai sera expiré. Le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation de cette décision. M A... relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de l'arrêté attaqué :
2. En premier lieu, l'arrêté attaqué vise les dispositions dont l'autorité administrative a entendu faire application et notamment les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles
L. 423-23, 435-1 et 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté relate les conditions d'entrée sur le territoire français de M. A..., rappelle qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance et expose les raisons pour lesquelles un titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-23, 435-1 et 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droits d'asile ne peut lui être octroyé. Enfin, l'arrêté mentionne les raisons pour lesquelles une obligation de quitter le territoire français est prise. L'arrêté est, par conséquent, suffisamment motivé en droit et en fait et le moyen tiré de la méconnaissance des articles
L 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration doit être écarté.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Aux termes de l'article R. 431-10 de ce code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) ".
4. Pour refuser à M. A... la délivrance d'un titre de séjour, le préfet de la
Loire-Atlantique a retenu que l'intéressé ne justifie pas de son état civil et par suite, au regard des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et celui de dix-huit ans.
5. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
6. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
7. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
8. Pour remettre en cause le caractère authentique de l'extrait d'acte de naissance produit par M. A..., le préfet de la Loire-Atlantique s'est fondé notamment sur les constatations mentionnées dans l'avis défavorable du 16 mai 2022 rendu par les services spécialisés de la police aux frontières et a estimé que le document d'état-civil présenté par l'intéressé à l'appui de sa demande de titre de séjour, à savoir un extrait d'acte de naissance, ne permettait pas d'établir son identité.
9. Si l'avis défavorable rendu par les services spécialisés de la police aux frontières relève que l'extrait d'acte de naissance ne serait pas conforme aux articles 24 et 42 du code civil ivoirien, le préfet ne démontre pas que ces dispositions s'appliquent à un simple extrait d'acte de naissance. En outre, les anomalies formelles constatées dans la confection de l'extrait d'acte de naissance constituées par la superposition du mot " Etat civil " à l'armoirie de la Côte d'Ivoire et l'absence d'alignement sur la partie supérieure de l'acte ne sont pas de nature à établir que cet extrait serait un faux. Enfin, la circonstance que l'extrait comporte au verso deux légalisations effectuées les 19 janvier et 25 janvier 2021 n'est pas de nature à établir que les mentions contenues dans l'extrait d'acte de naissance seraient erronées ou fausses. Ainsi, ces constatations ne suffisent pas à donner à l'ensemble du document d'état-civil produit un caractère apocryphe ou à le priver de caractère probant alors que M. A... s'est également prévalu d'une carte consulaire et d'un passeport, délivrés en 2021 puis, en appel, d'une copie intégrale de son acte de naissance, mentionnant qu'il est né le 24 novembre 2003 à Ahua Tiassale. S'agissant de ce dernier document, si le préfet soutient que certaines mentions exigées par les dispositions des articles 24 et 42 du code civil ivoirien sont absentes, qu'il existe une incohérence entre les rubriques 23 et 26 quant à l'existence d'un interprète et que la date d'émission ne correspond à l'article 31 du code civil ivoirien, ces allégations ne sont pas davantage de nature à établir que cette copie intégrale serait falsifiée. Dès lors, c'est à tort que le préfet a estimé que l'identité du requérant n'était pas établie et qu'il ne pouvait, pour ce motif, lui délivrer un titre de séjour.
10. En dernier lieu, pour établir la méconnaissance des dispositions des articles
L 423-23, L 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ainsi que l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle, M. A... fait valoir qu'il a désormais le centre de ses intérêts sur le territoire français, y étant entré à l'âge de 16 ans, soit depuis deux ans à la date de la décision attaquée et qu'il a un projet professionnel sérieux pour lequel il a reçu le soutien de ses professeurs depuis le début de sa formation. Cependant, ces éléments ne sont ni de nature à établir que le requérant disposerait d'attaches personnelles ou familiales sur le territoire, ni que la décision serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Enfin, il n'établit aucune circonstance exceptionnelle ou humanitaire de nature à établir que le préfet aurait dû faire application des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour de étrangers et du droit d'asile.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que le préfet a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'annuler la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour sur ce fondement.
Par voie de conséquence, il y a lieu d'annuler l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de destination.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
12. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la
Loire-Atlantique de réexaminer la demande de M. A... présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de justice :
13. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à Me Guilbaud, conseil de M. A..., d'une somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2115923 du tribunal administratif de Nantes du 7 juillet 2023 est annulé.
Article 2 : l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 15 juin 2022 est annulé en tant que le préfet a rejeté la demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Loire-Atlantique de réexaminer la demande de
M. A... présentée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros hors taxe au titre des dispositions des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 à Me Guilbaud, conseil de M. A....
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Guilbaud et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Quillévéré, président de chambre,
- M. Geffray président-assesseur,
- M. Viéville, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2024.
Le rapporteur
S. VIÉVILLELe président de chambre
G. QUILLÉVÉRÉ
La greffière
H. DAOUD
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23NT0270102