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12/04/2024 | FRANCE | N°22NT02968

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 12 avril 2024, 22NT02968


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par une demande, enregistrée sous le n° 2114485, M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Oran (République algérienne démocratique et populaire) lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de court séjour.



Par une demande, enregistrée sous le n° 2114486, Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de N...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par une demande, enregistrée sous le n° 2114485, M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Oran (République algérienne démocratique et populaire) lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de court séjour.

Par une demande, enregistrée sous le n° 2114486, Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la même décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Oran (République algérienne démocratique et populaire) lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de court séjour.

Par un jugement n° 2114485, 2114486 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes, après avoir joint les deux requêtes, a annulé la décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. et Mme C... des visas d'entrée et de court séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 septembre 2022, le ministre de l'intérieur et des

outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a annulé la décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. et

Mme C... des visas d'entrée et de court séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) de rejeter, dans cette mesure, les conclusions des demandes présentées par M. et

Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- il existe un risque sérieux de détournement de l'objet du visa dont le but réel est de permettre l'établissement en France du couple ; les justificatifs de séjour professionnel ne sont pas probants ; M. C..., installé en France irrégulièrement à la suite à l'obtention d'un premier visa de court séjour, a sollicité un titre de séjour qui lui a été refusé ; Mme C..., qui s'est installée en France à la suite d'un visa de court séjour pour visite familiale, a fait l'objet d'une mesure d'éloignement, le titre de séjour portant la mention " étranger malade " lui ayant été refusé ; trois de leurs enfants sont en France.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2022, M. et Mme C..., représentés par Me Cabaret, concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à titre principal, de leur délivrer les visas sollicités dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme globale de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;

- le règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;

- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas (code des visas) ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ressortissant algérien né le 7 février 1951 et son épouse, Mme B... épouse C..., ressortissante algérienne née le 23 mars 1955, ont sollicité, le 30 juin 2021, de l'autorité consulaire française à Oran la délivrance de visas d'entrée et de court séjour pour motif professionnel. Un refus leur a été opposé par les autorités consulaires le 22 juillet 2021. Par une décision du 20 octobre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre ce refus. Par un jugement du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. et Mme C..., la décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours, a enjoint au ministre de l'intérieur et des

outre-mer de délivrer à M. et à Mme C... les visas de court séjour sollicités, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement, a mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des demandes. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours, lui a enjoint de délivrer les visas d'entrée et de court séjour sollicités et a mis à la charge de l'Etat le versement des frais liés à l'instance.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum. (...) ". Aux termes de l'article 21 du règlement (CE) du 13 juillet 2009 : " 1. Lors de l'examen d'une demande de visa uniforme, (...) une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale (...) que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d'expiration du visa demandé. (...) ". Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. (...) le visa est refusé : (...) / b) s'il existe des doutes raisonnables sur (...) la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ". Aux termes de l'annexe II du même règlement : " Liste non exhaustive de documents justificatifs / Les justificatifs visés à l'article 14, que les demandeurs de visa doivent produire, sont notamment les suivants : / A. Documents relatifs à l'objet du voyage / 1) pour des voyages à caractère professionnel : / a) l'invitation d'une entreprise ou d'une autorité à participer à des entretiens, à des conférences ou à des manifestations à caractère commercial, industriel ou professionnel ; / b) d'autres documents qui font apparaître l'existence de relations commerciales ou professionnelles ; / c) les cartes d'entrée à des foires et à des congrès, le cas échéant ;/ d )les documents attestant les activités de l'entreprise ;/ e) les documents attestant le statut d'emploi du demandeur dans l'entreprise ; (...) / B. Documents permettant d'apprécier la volonté du demandeur de quitter le territoire des états membres : / 1) un billet de retour ou un billet circulaire, ou encore une réservation de tels billets; 2) une pièce attestant que le demandeur dispose de moyens financiers dans le pays de résidence; 3) une attestation d'emploi: relevés bancaires; 4) toute preuve de la possession de biens immobiliers; 5) toute preuve de l'intégration dans le pays de résidence: liens de parenté, situation professionnelle. ".

3. L'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa de court séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires.

4. Pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours s'est fondée sur le motif tiré de ce que les informations communiquées pour justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé ne sont pas suffisamment probants et que, compte tenu de la situation des demandeurs de visa, leur demande de visa de court séjour présente un risque de détournement de l'objet des visas à d'autres fins.

5. Le ministre soutient que la réalité du motif allégué par M. et Mme C..., à l'appui de leur demande de visa de court séjour, tenant notamment à l'invitation qui leur a été faite, le 24 juin 2021, par le gérant de la société Euromat Export, de se rendre en France dans le cadre de la gestion de leur activité professionnelle, n'est pas établie. Il ressort des pièces du dossier que M. C..., qui exploite en Algérie depuis 2001 et 2007 en qualité de gérant deux sociétés dont l'une est spécialisée dans l'engraissement industriel de bovins, d'ovins et de volailles ainsi que dans l'accouvage industriel, a commandé, le 30 juin 2021, un bâtiment de pondoir automatique par l'intermédiaire de la société Euromat Export, dont le siège social se trouve en France et qui représente des groupes industriels spécialisés dans les installations et équipements d'élevages avicoles, société avec laquelle il a noué depuis plusieurs années un partenariat commercial dans le cadre de son activité d'élevage industriel. Si le ministre soutient que le signataire de l'invitation du 24 juin 2021 n'assurait plus la gérance de la société Euromat Export depuis le 20 octobre 2020 il ressort des pièces du dossier que la société Le Caroubier, qui en assure désormais la direction générale, est détenue à 100 % par le signataire de l'invitation. Les circonstances que la société Euromat Export a transféré, postérieurement à cette invitation, son siège social de la commune de Chatelaudren (Côtes d'Armor) vers la commune de Vienne (Isère) et que la nouvelle adresse de cette société correspondrait à un pavillon situé dans un quartier résidentiel sont sans incidence sur la réalité du déplacement pour motif professionnel dès lors que la société Euromat Export a pour objet social de mettre en relation commerciale les groupes industriels qu'elle représente avec ses clients spécialisés dans ce type d'élevage. Par ailleurs, les allégations du ministre selon lesquelles M. et Mme C..., qui étaient titulaires de visas d'entrée et de court séjour à entrées multiples, valables, du 8 octobre 2014 au 7 octobre 2019, pour M. C..., et, du 24 novembre 2014 au

23 novembre 2019, pour Mme C..., se seraient maintenus irrégulièrement en France à l'expiration des visas ne sont corroborées par aucune pièce, les passeports des intéressés témoignant au contraire des nombreux allers et retours qu'ils ont effectués entre l'Algérie et la France au cours de cette période. Il ressort, également, du passeport de Mme C... que cette dernière a rejoint l'Algérie avant même la notification de l'arrêté du 24 septembre 2021 portant refus de renouvellement du titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français, qui lui avait été délivré en 2015 pour raisons de santé. Enfin, il ressort des pièces du dossier que si trois des enfants des demandeurs de visas résident en France, quatre autres enfants, dont deux sont devenus associés de l'entreprise d'élevage avicole, résident en Algérie. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les requérants justifient de la réalité du motif professionnel invoqué à l'appui de leur demande de visas d'entrée et de court séjour. Par suite, la commission de recours a entaché d'une erreur manifeste d'appréciation sa décision de refus en se fondant sur les motifs énoncés au point 4.

6. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 20 octobre 2021 de la commission de recours, lui a enjoint de délivrer, dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement, les visas sollicités à M. et à Mme C... et a mis à la charge de l'Etat les frais liés à l'instance.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. et Mme C... :

7. Le tribunal a fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées devant lui par M. et Mme C.... Les conclusions présentées, de nouveau, à cette fin par les intéressés devant la cour sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. et Mme C... et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. et à Mme C... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. et Mme C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. D... C... et à Mme A... C....

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2024.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02968


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02968
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABARET ORIANE

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-12;22nt02968 ?
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