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05/04/2024 | FRANCE | N°24NT00068

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 05 avril 2024, 24NT00068


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises.



Par un jugement n° 2316014 du 9 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2024,

Mme A..., représentée par Me Neraudau, demande à la cour :



1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises.

Par un jugement n° 2316014 du 9 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 janvier 2024, Mme A..., représentée par Me Neraudau, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 novembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les meilleurs délais ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement et l'arrêté litigieux sont insuffisamment motivés ;

- elle n'a pas bénéficié d'un entretien individuel dans les conditions prévues à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le préfet n'a pas examiné sérieusement sa situation personnelle ;

- le préfet de Maine-et-Loire a méconnu l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de son article 17 ;

- il a méconnu l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il a méconnu les § 1 de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2024, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- et les observations de Me Neraudau, pour Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante angolaise, née le 3 mai 1984, a sollicité l'asile le 11 juillet 2023. Par un arrêté du 28 septembre 2023, le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son transfert aux autorités portugaises. Mme A... relève appel du jugement du 9 novembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. La seule circonstance que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ait écarté les moyens tirés de la méconnaissance des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale, 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dans un point unique ne suffit pas à établir qu'elle aurait insuffisamment motivé son jugement sur ces moyens. La magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes, qui n'était pas tenue de répondre à tous les arguments présentés par la requérante, a répondu avec la précision requise au point 13 du jugement attaqué aux moyens soulevés à ce titre, pour Mme A..., y compris en ce qui concerne l'argument tiré de l'insuffisant examen du risque encouru. Dans ces conditions, le moyen relatif à l'irrégularité tirée de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, l'arrêté contesté portant transfert aux autorités portugaises de Mme A... comporte les circonstances de fait et de droit qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivé en droit et en fait, contrairement à ce que soutient la requérante.

5. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle, médicale et familiale de Mme A..., notamment en termes de vulnérabilité. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'un défaut d'examen de la situation de la requérante doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

7. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par Mme A... qu'elle a bénéficié le 11 juillet 2023, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions en garantissant la confidentialité. Il ressort du compte-rendu de l'entretien du 11 juillet 2023 que Mme A... a été mise à même de s'exprimer sur sa situation. De même, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national du seul fait que l'agent qui a procédé à cet entretien n'est identifié que par la mention " Préfecture de la Loire-Atlantique - L'agent habilité " et ses initiales manuscrites. En tout état de cause, l'absence de plus de précision sur l'identité dudit agent n'a pas privé l'intéressée de la garantie que constitue le bénéfice de cet entretien individuel. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

9. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

10. Mme A... fait état de défaillances dans le traitement des demandes d'asile au Portugal, mais les documents qu'elle produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités portugaises dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que le Portugal est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si Mme A... soutient qu'elle risquerait sa vie au Portugal où des membres de sa famille, qui en veulent à sa vie, l'ont retrouvée, elle ne l'établit pas et il ne ressort pas des pièces du dossier que les autorités portugaises ne lui assureraient pas la protection nécessaire le cas échéant pour lui permettre d'exercer ses droits en matière d'asile. Les autres éléments présentés, notamment à caractère médical, n'établissent pas qu'elle se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France, ni d'ailleurs qu'elle ne pourrait pas se faire soigner, en tant que de besoin, au Portugal. Enfin, Mme A... ne peut utilement se prévaloir des risques auxquels elle serait exposée en Angola, dès lors que l'arrêté litigieux n'a pas pour objet de l'éloigner vers ce pays. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire aux articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ainsi qu'à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du même règlement doivent être écartés.

11. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 6-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " L'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour les États membres dans toutes les procédures prévues par le présent règlement ". Il résulte de ces articles que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant dans toutes les décisions les concernant.

12. Les pièces versées au dossier par Mme A... ne permettent d'établir ni la gravité de l'état de santé de son fils, ni qu'il ne pourrait pas être suivi médicalement, en tant que de besoin, au Portugal. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que son fils ne pourrait pas poursuivre sa scolarisation dans ce pays alors que l'arrêté attaqué n'implique pas qu'il soit séparé de sa mère. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 6 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressée aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié Mme B... A..., à Me Neraudau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 avril 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00068


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00068
Date de la décision : 05/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-05;24nt00068 ?
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