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29/03/2024 | FRANCE | N°22NT02163

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 29 mars 2024, 22NT02163


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 1er juillet 2021 de l'autorité consulaire française à Oran (Algérie) refusant de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de court séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant français.



Par un jugement n° 2113707 du 13 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... C... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 1er juillet 2021 de l'autorité consulaire française à Oran (Algérie) refusant de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de court séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant français.

Par un jugement n° 2113707 du 13 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 6 juillet 2022, Mme C... et M. D..., représentés par Me Ah-Fah, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 6 octobre 2021 de la commission de recours ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est intervenue au terme d'une procédure irrégulière ; ils n'ont pas été invités à compléter leur dossier, en méconnaissance de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- en opposant à Mme C... le défaut de ressources propres suffisantes pour financer son séjour, sans tenir compte des revenus de son futur époux, la commission a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur d'appréciation ; ils justifient de la sincérité de leurs intentions matrimoniales ;

- le refus de visa qui leur est opposé méconnait leur droit de se marier qui a le caractère d'une liberté fondamentale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;

- le règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 13 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C..., ressortissante algérienne, tendant à l'annulation de la décision du 6 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Oran (Algérie) rejetant la demande de visa de court séjour qu'elle a présentée en vue de son mariage avec M. D.... Mme C... et M. D... relèvent appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 21 du règlement du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas : " 1. Lors de l'examen d'une demande de visa uniforme, le respect par le demandeur des conditions d'entrée énoncées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c), d) et e), du code frontières Schengen est vérifié et une attention particulière est accordée à l'évaluation du risque d'immigration illégale ou du risque pour la sécurité des États membres que présenterait le demandeur ainsi qu'à sa volonté de quitter le territoire des États membres avant la date d'expiration du visa demandé. / (...). 3. Lorsqu'il contrôle si le demandeur remplit les conditions d'entrée, le consulat vérifie : / (...) /b) la justification de l'objet et des conditions du séjour envisagé fournie par le demandeur et si celui-ci dispose de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d'origine ou de résidence (...) / 5. L'appréciation des moyens de subsistance pour le séjour envisagé se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour et par référence aux prix moyens en matière d'hébergement et de nourriture dans l'État membre ou les États membres concernés, pour un logement à prix modéré, multipliés par le nombre de jours de séjour, sur la base des montants de référence arrêtés par les États membres conformément à l'article 34, paragraphe 1, point c) du code frontières Schengen. Une preuve de prise en charge ou une attestation d'accueil peut aussi constituer une preuve que le demandeur dispose de moyens de subsistance suffisants. (...) ".

3. Aux termes de l'article 32 du même règlement : " 1. Sans préjudice de l'article 25, paragraphe 1, le visa est refusé : / a) si le demandeur : / (...) ii) ne fournit pas de justification quant à l'objet et aux conditions du séjour envisagé, / iii) ne fournit pas la preuve qu'il dispose de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d'origine ou de résidence, (...) / b) s'il existe des doutes raisonnables (...) sur la fiabilité des déclarations effectuées par le demandeur ou sur sa volonté de quitter le territoire des États membres avant l'expiration du visa demandé. (...) ".

4. Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours sur toute période de 180 jours (...) les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : / (...) / c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie (...) / 4. L'appréciation des moyens de subsistance se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour (...) L'appréciation des moyens de subsistance suffisants peut se fonder sur la possession d'argent liquide, de chèques de voyage et de cartes de crédit par le ressortissant de pays tiers. Les déclarations de prise en charge, lorsqu'elles sont prévues par le droit national, et les lettres de garantie telles que définies par le droit national, dans le cas des ressortissants de pays tiers logés chez l'habitant, peuvent aussi constituer une preuve de moyens de subsistance suffisants. ".

5. Aux termes de l'article L. 313-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'attestation d'accueil " est accompagnée de l'engagement de l'hébergeant de prendre en charge, pendant toute la durée de validité du visa ou pendant une durée de trois mois à compter de l'entrée de l'étranger sur le territoire des Etats parties à la convention signée à Schengen le

19 juin 1990, et au cas où l'étranger accueilli n'y pourvoirait pas, les frais de séjour en France de celui-ci, limités au montant des ressources exigées de la part de l'étranger pour son entrée sur le territoire en l'absence d'une attestation d'accueil. ". Aux termes de l'article R. 313-6 du même code : " L'attestation d'accueil prévue à l'article L. 313-2 pour les séjours à caractère familial ou privé est conforme à un modèle défini par arrêté du ministre chargé de l'immigration. Elle indique : (...) 8° L'engagement de l'hébergeant de subvenir aux frais de séjour de l'étranger. " Aux termes de l'article R. 313-9 du même code : " Le signataire de l'attestation d'accueil doit, pour en obtenir la validation par le maire, se présenter personnellement en mairie, muni d'un des documents mentionnés aux articles R. 313-7 et R. 313-8, d'un document attestant de sa qualité de propriétaire, de locataire ou d'occupant du logement dans lequel il se propose d'héberger le visiteur ainsi que de tout document permettant d'apprécier ses ressources et sa capacité d'héberger l'étranger accueilli dans un logement décent au sens des dispositions réglementaires en vigueur et dans des conditions normales d'occupation.".

6. Il résulte de ces dispositions que l'obtention d'un visa de court séjour est subordonnée à la condition que le demandeur justifie à la fois de sa capacité à retourner dans son pays d'origine et de moyens de subsistance suffisants pendant son séjour. Il appartient au demandeur de visa dont les ressources personnelles ne lui assurent pas ces moyens d'apporter la preuve de ce que les ressources de la personne qui l'héberge et qui s'est engagée à prendre en charge ses frais de séjour au cas où il n'y pourvoirait pas sont suffisantes pour ce faire. Cette preuve peut résulter de la production d'une attestation d'accueil validée par l'autorité compétente et comportant l'engagement de l'hébergeant de prendre en charge les frais de séjour du demandeur, sauf pour l'administration à produire des éléments de nature à démontrer que l'hébergeant se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'il a ainsi souscrit.

7. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dont elle était saisie à l'encontre de la décision portant refus de délivrance d'un visa à Mme C... aux motifs, d'une part, que cette dernière ne justifiait pas disposer de ressources suffisantes pour financer son séjour en France et son retour en Algérie et d'autre part, qu'il existe un risque de détournement de l'objet du visa.

8. Si Mme C..., employée dans l'administration en Algérie ne perçoit qu'un revenu mensuel d'environ 170 euros, il ressort du formulaire de demande de visa renseigné par ses soins qu'elle a indiqué aux autorités consulaires qu'elle serait hébergée, le temps de son séjour en France, par M. D... et que ce dernier s'est engagé à financer ses frais de subsistance et de voyage. S'il est vrai que, pour justifier de ses conditions de séjour en France, Mme C... a produit, à l'appui de sa demande de visa, une réservation effectuée le 3 mai 2021, de 30 nuits dans une chambre d'hôtel à Grenoble, du 19 mai au vendredi 18 juin 2021, pour un montant total de 1 200 euros, les requérants expliquent, sans être contredits, qu'ils ont procédé à cette réservation dans la perspective d'un rendez-vous imminent avec l'opérateur en charge de l'instruction des visas, alors que Mme C... n'avait pas encore reçu l'attestation d'accueil que M. D... lui avait expédiée par voie postale et qui lui était réclamée. Il ressort de cette attestation, établie le 28 avril 2021 par le maire de Saint-Martin d'Hères (Isère), que M. D... s'est engagé à héberger Mme C... à son domicile pendant la durée du visa, prévue du 19 mai 2021 au 16 août 2021 et à prendre en charge les frais de séjour pour le cas où elle n'y pourvoirait pas. Les requérants produisent aussi la réservation d'un billet d'avion, au départ de Paris et à destination d'Alger, au nom de Mme C..., justifiant ainsi de la capacité de celle-ci à retourner dans son pays d'origine avant le terme prévu du visa sollicité. Ni la circonstance que M. D... est locataire du logement de type 4 où il héberge aussi sa mère ni le fait qu'il perçoit un traitement d'environ 1 200 euros nets mensuels en tant qu'agent technique employé par l'université de Grenoble ne permettent de considérer qu'il se trouverait dans l'incapacité d'assumer effectivement l'engagement qu'il a ainsi souscrit. Dans ces circonstances, il ressort des pièces du dossier que Mme C... disposait de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans son pays d'origine. En estimant qu'elle n'en disposait pas, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.

9. En second lieu, l'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires.

10. Pour justifier de l'absence de sincérité des intentions matrimoniales de Mme C..., le ministre de l'intérieur soutient que les futurs époux se sont contredits sur la date de leur première rencontre, qu'ils n'apportent aucun élément de nature à établir qu'ils se seraient déjà rencontrés et qu'aucune date n'a été fixée pour la célébration du mariage. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que les requérants se sont fiancés en Algérie, au mois de novembre 2019, que M. D... a envoyé d'importantes sommes d'argent à Mme C..., tout au long de l'année 2020, qu'ils entretiennent, depuis le début de l'année 2021, une correspondance régulière et suivie au moyen d'une application de messagerie instantanée et que les bans en vue de leur union ont été publiés, le 19 janvier 2021, dans la perspective d'un mariage à conclure après l'obtention du visa sollicité en 2021. Dès lors et quand bien même les requérants ont reconnu que la date de leur première rencontre mentionnée par Mme C... devant la commission de recours était erronée et qu'ils n'ont pas fixé de date pour la célébration de leur mariage, ils établissent la sincérité et le sérieux de leur projet matrimonial. En estimant que le visa a été sollicité à des fins étrangères à ce projet de nature à révéler un risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... et M. D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de court séjour soit délivré à Mme C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par les requérants et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 13 juin 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision du 6 octobre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours contre la décision du 1er juillet 2021 de l'autorité consulaire française à Oran (Algérie) refusant de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de court séjour en qualité de conjointe d'un ressortissant français est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme C... un visa de court séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Mme C... et à M. D... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... et de M. D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à M. B... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLe greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02163


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02163
Date de la décision : 29/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : AH-FAH

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-29;22nt02163 ?
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