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29/03/2024 | FRANCE | N°22NT00837

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 29 mars 2024, 22NT00837


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 mars 2022, 2 novembre 2022, 11 janvier 2023 et 22 février 2023 et un mémoire récapitulatif, produit le 24 mars 2023 en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, l'association Terre Eau Vent, M. C... et Mme S... R..., M. K... F..., Mme I... H..., Mme Q... D..., M. K... et Mme G... J..., Mme O... P..., Mme M... E...,

M. B... et Mme I... N..., M. A... L... et la société des Deux Ruisseaux, représentés par Me Echezar, demandent à la cour :



1°) d'annuler la décision implicite née le 19 janvier 2022 par laquelle le préfet ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 mars 2022, 2 novembre 2022, 11 janvier 2023 et 22 février 2023 et un mémoire récapitulatif, produit le 24 mars 2023 en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, l'association Terre Eau Vent, M. C... et Mme S... R..., M. K... F..., Mme I... H..., Mme Q... D..., M. K... et Mme G... J..., Mme O... P..., Mme M... E...,

M. B... et Mme I... N..., M. A... L... et la société des Deux Ruisseaux, représentés par Me Echezar, demandent à la cour :

1°) d'annuler la décision implicite née le 19 janvier 2022 par laquelle le préfet de la

Loire-Atlantique a refusé de demander à la société Ferme éolienne de Vritz de déposer un dossier de demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées, pour l'ensemble des espèces protégées impactées par le projet de parc éolien situé sur la commune de Vritz ;

2°) d'enjoindre au préfet de notifier à la société Ferme éolienne de Vritz un courrier de demande de dépôt d'une telle dérogation et de suspendre les autorisations d'exploiter et de construire dans l'attente de l'obtention de la dérogation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent, dans le dernier état de leurs écritures, que :

- ils justifient d'un intérêt à agir contre la décision contestée ;

- l'autorité relative de la chose jugée par un arrêt de la cour ayant rejeté de façon définitive leur contestation de l'autorisation environnementale délivrée à la société Ferme éolienne de Vritz ne leur est pas opposable en tant que leur demande porte sur le Buzard Saint-Martin, espèce protégée, compte tenu du changement de circonstances de fait intervenu depuis avec le constat, par l'office français de la biodiversité, d'un nid, précisément localisé à quelques mètres des éoliennes, alors que l'étude d'impact ne faisait état que de la présence probable et non certaine d'une nidification ;

- l'autorité de la chose jugée par l'arrêt de la cour ne leur est pas davantage opposable en tant que leur demande concerne également d'autres espèces protégées d'oiseaux et les chiroptères, qui sont tous protégés, compte tenu du changement de circonstance de droit résultant de l'avis du 9 décembre 2022 n° 463563 du Conseil d'Etat imposant que l'appréciation s'effectue espèce par espèce, et non de façon globalisée comme l'a fait la cour dans son arrêt et que la demande de dérogation soit obtenue dès lors qu'il existe un risque caractérisé de destruction ou de dérangement d'un seul spécimen ;

- en application des articles L. 411-1, L. 411-2, L. 171-7 et R. 411-6 et suivants du code de l'environnement et L. 425-15 du code de l'urbanisme, une demande de dérogation doit être présentée dès lors qu'une espèce protégée est présente dans la zone du projet et que le projet présente un risque suffisamment caractérisé, sans qu'il y ait lieu de prendre en compte le nombre et l'état de conservation de l'espèce ; le constat de l'existence d'un risque, y compris pour un seul spécimen, suffit à caractériser le risque ; seul un risque nul, et non un risque faible, permet la dispense d'une demande de dérogation " espèces protégées " ; le risque pour le Buzard

Saint-Martin est suffisamment caractérisé dès lors qu'aucune mesure de réduction n'a été spécifiquement prévue pour cette espèce, alors qu'un nid se situe aux pieds des éoliennes et qu'elle présente une sensibilité particulière au risque de collision compte tenu de son comportement de vol ; le risque pour d'autres espèces protégées d'oiseaux pour lesquelles l'étude d'impact conclut à un impact résiduel faible ou modéré est de la sorte suffisamment caractérisé ; il en va de même pour les chiroptères pour lesquels l'étude d'impact conclut à un impact de faible à fort ;

- les conclusions de la société Ferme éolienne de Vritz tendant à leur condamnation au paiement d'une amende sont irrecevables et en tout état de cause devront être rejetées au fond dès lors que leur requête ne présente aucun caractère abusif.

Par un mémoire, enregistré le 3 novembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'autorité relative de la chose jugée le 2 avril 2021 par la cour sous le n° 20NT00516 est opposable à la requête, compte tenu de l'identité des parties, de l'identité de la demande qui porte sur la même décision dès lors que l'autorisation environnementale inclut l'éventuelle dérogation " espèces protégées " et dès lors que la cour a déjà examiné, à la demande des requérants dans le cadre de la contestation de l'autorisation environnementale, le moyen de l'absence de demande de dérogation " espèces protégées " et de l'identité de la cause du litige ;

- aucun changement dans les circonstances de droit et de fait susceptible d'écarter l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour n'est intervenu depuis cet arrêt ;

- en tout état de cause, en l'absence d'impacts significatifs sur l'ensemble des " espèces protégées " présentes sur le site, après mise en œuvre des mesures d'évitement et de réduction, le projet éolien n'impose pas de demander une dérogation.

Par des mémoires, enregistrés les 6 septembre 2022, 9 décembre 2022, 1er février 2023, un mémoire récapitulatif produit, le 24 mars 2023, en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative ainsi que des mémoires, enregistrés les 29 mars 2023 et 21 avril 2023, la sociétés Ferme éolienne de Vritz, représentée par Me Elfassi, conclut au rejet de la requête, à la condamnation solidaire des requérants à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour recours abusif sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative et à ce que soit mise à la charge solidaire des requérants le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du même code.

Elle soutient que :

- l'association requérante ne justifie d'aucun intérêt à agir ;

- la présidente de l'association ne justifie pas avoir été habilité à agir au nom de l'association ;

- les autres requérants ne justifient pas davantage, en faisant valoir leur seule qualité de propriétaire, de leur intérêt à agir ;

- la présence du Buzard Saint-Martin sur le site du projet ne constitue pas une circonstance de fait nouvelle, susceptible de faire obstacle à l'autorité relative de la chose jugée par la cour, dès lors que l'étude d'impact en faisait déjà état ;

- les requérants ne font état d'aucune circonstance de fait nouvelle de nature à remettre en cause l'autorité de la chose jugée s'agissant des autres espèces protégées d'oiseaux et des chiroptères ;

- l'avis du Conseil d'Etat ne saurait être compris comme imposant la présentation d'une demande de dérogation dès le premier spécimen impacté ou dès lors qu'il ne serait pas possible de démontrer l'existence d'un risque nul ; seule l'existence d'un risque suffisamment caractérisé, auquel ne saurait être assimilé un risque négligeable, est de nature à imposer la présentation d'une demande de dérogation " espèces protégées " ;

- cet avis ne constitue pas un changement dans les circonstances de droit susceptible de faire obstacle à l'autorité de la chose jugée par la cour, laquelle a écarté le moyen de la nécessité d'une dérogation " espèces protégées " au motif que le projet ne présentait pas un " risque suffisamment avéré ", critère équivalent au critère retenu par le Conseil d'Etat dans son avis ;

- le Conseil d'Etat n'a pas davantage considéré dans cet avis que l'obligation de déposer une demande de dérogation " espèces protégées " devait s'apprécier espèce par espèce ;

- le moyen tiré de ce qu'une dérogation " espèces protégées " était nécessaire pour l'avifaune, dont le Buzard Saint-Martin et les chiroptères, n'est pas fondé en l'absence de démonstration d'un risque suffisamment caractérisé au regard des mesures d'évitement et de réduction des risques prévues ;

- la requête est abusive dès lors qu'elle tend à contourner l'obstacle de l'autorité de la chose jugée par la cour dans son arrêt n° 20NT00516, que les requérants n'ont pas mentionné cet arrêt dans leur requête d'appel et qu'ils ont affirmé, en novembre 2022, que le Conseil d'Etat restait saisi de leur pourvoi alors que leur pourvoi n'a pas été admis par une décision rendue en mars 2022.

Par une ordonnance du 31 mai 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.

Un mémoire, enregistré le 11 mars 2024, a été présenté par les requérants, postérieurement à la clôture de l'instruction et n'a pas été communiqué.

M. et Mme R... ont été désignés par leur mandataire, Me Echezar, représentants uniques, destinataires de la notification de l'arrêt à intervenir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport T... Montes-Derouet,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de Me Bernier, substituant Me Echezar, pour l'association Terre Eau Vent et autres, et de Me Kabra, substituant Me Elfassi, pour la société Ferme éolienne de Vritz.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 17 octobre 2019, le préfet de la Loire-Atlantique a délivré à la société Ferme éolienne de Vritz une autorisation environnementale portant sur la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de trois éoliennes sur le territoire de la commune de Vritz. Par un arrêt du 2 avril 2021, rendu sous le n° 20NT00516, la cour a rejeté la requête présentée par l'association Terre Eau Vent et autres contre cet arrêté. Par lettre du 18 novembre 2021, l'association Terre Eau Vent, M. et Mme R..., M. F..., Mme H..., Mme D...,

M. et Mme J..., Mme P..., Mme E..., M. B... et Mme N..., M. L... et la société des Deux Ruisseaux ont demandé au préfet de la Loire-Atlantique d'ordonner à la société Ferme éolienne de Vritz de déposer une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Par une décision implicite, née le 19 janvier 2022, le préfet de la Loire-Atlantique a rejeté leur demande. L'association Terre Eau Vent et autres demandent à la cour d'annuler cette décision implicite de rejet.

Sur les fins de non-recevoir opposées à la requête :

2. D'une part, une association est régulièrement engagée par l'organe tenant de ses statuts le pouvoir de la représenter en justice, sauf stipulation de ces statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif. Il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie, notamment lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie. A ce titre, le juge doit s'assurer de la réalité de l'habilitation du représentant de l'association qui l'a saisi, lorsque celle-ci est requise par les statuts.

3. Aux termes de l'article 13 des statuts de l'association " Terre Eau Vent " : " Le conseil d'administration donne pouvoir au président et aux membres du bureau d'agir au nom de l'association dans ses rapports avec la justice, les médias et les administrations. Le président et les membres du bureau sont mandatés, notamment au nom de l'association, pour mettre en œuvre tous les recours de justice administrative, civile et pénale, nécessaires à la poursuite des buts de l'association ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la société Ferme éolienne de Vritz a, par un mémoire enregistré le 9 décembre 2022, opposé une fin de non-recevoir à la requête en tant qu'elle émane de l'association Terre Eau Vent, tirée du défaut de production d'une habilitation donnée à sa présidente pour agir en justice. Ce mémoire, ainsi qu'il ressort des pièces du dossier, a été communiqué à l'association le 12 décembre 2022. Toutefois, cette association n'a pas produit, avant la clôture de l'instruction prononcée avec effet immédiat à la date du 31 mai 2023, la délibération par laquelle le conseil d'administration a habilité la présidente de l'association à contester, au nom de cette association, la décision implicite du préfet de la Loire-Atlantique. Il suit de là que la requête n'est pas recevable en tant qu'elle émane de l'association " Terre Eau Vent ".

5. D'autre part, pour justifier de leur intérêt pour agir contre la décision attaquée, les requérants personnes physiques se bornent à produire des attestations notariales de propriété et à soutenir, sans aucune précision, que " l'action qu'ils engagent, visant à accorder une protection aux espaces naturels dans lesquels ils vivent, prouve par elle-même leur attachement à ce territoire et à ses caractéristiques ". Toutefois, ces seuls éléments, eu égard à l'objet de la décision préfectorale attaquée portant refus d'ordonner à la société Ferme éolienne de Vritz de déposer une demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, ne sont pas suffisants pour leur donner intérêt à demander l'annulation de cette décision. Par suite, la requête en tant qu'elle émane de M. F..., T... H..., de M. et Mme R..., T... Mme D..., de M. et Mme J..., T... Mme P..., T... Mme E..., de M. et Mme N... et de M. L... n'est pas recevable.

6. Enfin, la société " Des Deux Ruisseaux " se borne à produire ses statuts, un extrait k bis, un acte de cession de biens mobiliers agricoles et une convention de mise à disposition de biens libre de location conclus à son profit par leur propriétaire. Ce faisant, elle ne justifie pas davantage d'un intérêt à contester la décision préfectorale de refus. Par suite, la requête n'est pas recevable en tant qu'elle émane de cette société.

7. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée par la société Ferme éolienne de Vritz à la requête de l'association Terre Eau Vent et autres.

Sur les conclusions à fin d'application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative présentée par la société Ferme éolienne de Vritz :

8. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ".

9. La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de la société Ferme éolienne de Vritz tendant à l'application de ces dispositions ne sont recevables.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l'association Terre Eau Vent et autres une somme globale de 1 000 euros au titre des frais exposés par la société Ferme éolienne de Vritz et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'association Terre Eau Vent et autres est rejetée.

Article 2 : L'association Terre Eau Vent et autres verseront à la société Ferme éolienne de Vritz une somme globale de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société Ferme éolienne de Vritz tendant à l'application des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... et à Mme S... R..., représentants uniques désignés par Me Echezar, mandataire, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Ferme éolienne de Vritz.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 mars 2024.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUET

La présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00837


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00837
Date de la décision : 29/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : ELFASSI PAUL

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-29;22nt00837 ?
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