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26/03/2024 | FRANCE | N°23NT00122

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 26 mars 2024, 23NT00122


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... D... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé le 28 janvier 2022 contre la décision du 12 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à New Delhi (Inde) refusant de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.



Par un jugement n° 2204837 du 26 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé le 28 janvier 2022 contre la décision du 12 janvier 2022 de l'autorité consulaire française à New Delhi (Inde) refusant de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2204837 du 26 décembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 16 janvier 2023, M. A... D... et Mme C... B..., représentés par Me Le Floch, demandent à la cour :

1°) de les admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 décembre 2022 ;

3°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai sous astreinte de 10 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros ou, en cas de rejet de la demande d'aide juridictionnelle ou d'admission à l'aide juridictionnelle partielle, le versement à leur profit de la même somme sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'ils entretiennent une vie commune suffisamment stable et continue ;

- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

La requête a été communiquée au ministre de l'intérieur qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dubost,

- les observations de Me Le Floch, représentant M. D... et Mme B..., en présence de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant chinois né le 3 mai 1994, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié le 24 janvier 2020. Mme B..., ressortissante chinoise née le 21 octobre 1997, qu'il présente comme sa femme, a déposé une demande de visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié auprès de l'autorité consulaire française à New Delhi (Inde), laquelle a rejeté cette demande par une décision du 12 janvier 2022. Le recours formé le 28 janvier 2022 contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision implicite née du silence gardé par ladite commission pendant plus deux mois. M. D... et Mme B... ont alors demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cette décision. Ils relèvent appel du jugement de ce tribunal du 26 décembre 2022 rejetant leur demande.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente (...). ".

3. M. D... a déposé une demande d'aide juridictionnelle sur laquelle, à la date du présent arrêt, il n'a pas encore été statué. Il y a lieu par suite, et dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions citées au point précédent, de prononcer l'admission provisoire de l'intéressé au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à New Delhi, sur la circonstance que l'identité de la demanderesse de visa et son lien familial avec M. D... n'étaient pas établis.

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue (...). " Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

6. En l'espèce, il est constant que M. D... et Mme B... se sont unis le 21 octobre 2016 sans que cette union présente un caractère civil. Au cours de l'instruction de sa demande d'asile, M. D... a toujours mentionné la demanderesse de visa comme étant sa femme et a indiqué avoir fui le Tibet en sa compagnie. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment de l'attestation établie par " Sakya tibetan settlement office " que M. D... et Mme B... ont vécu ensemble au sein du village Puruwala après être entrés en Inde. Enfin, les photographies produites ainsi que les preuves d'échanges électroniques, permettent également d'établir le lien unissant les requérants, tandis que les échanges, notamment par voie électronique, se sont poursuivis après le départ d'Inde de M. D.... Dans ces conditions, et alors que le ministre, qui n'a pas produit de mémoire en défense, ne conteste pas en appel le caractère stable et continu de la vie commune, en estimant que le lien familial entre M. D... et Mme B... n'était pas établi, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.

7. En second lieu, statuant sur l'appel du demandeur de première instance dirigé contre un jugement qui a rejeté ses conclusions à fin d'annulation d'une décision administrative reposant sur plusieurs motifs en jugeant, après avoir censuré tel ou tel de ces motifs, que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur le ou les motifs que le jugement ne censure pas, il appartient au juge d'appel, s'il remet en cause le ou les motifs n'ayant pas été censurés en première instance, de se prononcer, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sur les moyens critiquant la légalité du ou des motifs censurés en première instance, avant de déterminer, au vu de son appréciation de la légalité des différents motifs de la décision administrative, s'il y a lieu de prononcer l'annulation de cette décision ou de confirmer le rejet des conclusions à fin d'annulation.

8. Mme B... produit un " livret vert " qui lui a été délivré, sous le n° 036509, par l'administration tibétaine en exil et qui est de nature à établir son identité. Si le ministre fait valoir que la demanderesse de visa n'a pas produit de " livret bleu " ou de " livret jaune ", il ne remet toutefois pas en cause le caractère probant du " livre vert " précité et ne démontre ni même n'allègue son caractère irrégulier ou falsifié. Par suite, le motif tiré de ce que l'identité de la demanderesse de visa n'est pas établie n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, que M. D... et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à Mme C... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu d'admettre provisoirement M. D... à l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sous réserve que Me Le Floch, avocate de M. D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et sous réserve de l'admission définitive de son client à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Floch de la somme de 1 200 euros hors taxe. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. D... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1200 euros sera versée à M. D....

DÉCIDE :

Article 1er : M. D... est admis à l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le jugement n° 2204837 du 26 décembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 3 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour Mme C... B... est annulée.

Article 4 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme C... B... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : Sous réserve de l'admission définitive de M. D... à l'aide juridictionnelle et sous réserve que Me Le Floch renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, ce dernier versera à Me Le Floch, avocate de M. D..., une somme de 1 200 euros hors taxe en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans le cas où l'aide juridictionnelle ne serait pas accordée à M. D... par le bureau d'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros sera versée à M. D....

Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président,

S. DEGOMMIERLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

S. PIERODÉ

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00122


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00122
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;23nt00122 ?
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