Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. G... A... H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 1er juin 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 mars 2021 des autorités consulaires françaises à Djibouti refusant la délivrance de visas de long séjour au titre de la réunification familiale aux jeunes B..., D... et E... G... A....
Par un jugement n° 2201392 du 10 septembre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 décembre 2022 et 9 novembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, M. G... A... H..., représenté par Me Danet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 10 septembre 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 1er juin 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le motif tenant au caractère tardif des demandes de visa n'est pas de nature à fonder en droit la décision contestée alors que l'identité des enfants et leur filiation sont établies ;
- en l'espèce, l'impossibilité de produire un jugement somalien statuant sur les droits parentaux est établie ;
- le motif substitué par le ministre en première instance, tiré de l'existence d'une menace à l'ordre public s'opposant à la réunification familiale, est entaché d'erreur de droit dès lors que les dispositions de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peuvent être opposées aux demandeurs de visa mais pas au réunifiant ;
- ce motif est également entaché d'une erreur de fait, dès lors qu'il ne représente pas une menace pour l'ordre public et qu'il ne porte pas atteinte aux principes essentiels régissant la vie familiale en France ;
- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... H... ne sont pas fondés.
M. A... H... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- et les observations de Me Danet, représentant M. G... A... H....
Considérant ce qui suit :
1. M. G... A... H..., ressortissant somalien né le 14 février 1984, s'est vu reconnaître le statut de réfugié le 23 décembre 2011. Les jeunes B..., E... et D... G... A..., qu'il présente comme ses enfants, ont déposé le 10 octobre 2020 des demandes de visas de long séjour au titre de la réunification familiale auprès des autorités consulaires françaises à Djibouti. Par une décision implicite née le 10 octobre 2021, à laquelle s'est substituée une décision expresse du 1er juin 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours administratif formé contre la décision de refus de visa qui a été opposée par les autorités consulaires françaises aux trois demandeurs. M. A... H... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 septembre 2022 rejetant sa demande d'annulation de la décision du 1er juin 2022.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il résulte de la décision du 1er juin 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France que, pour rejeter le recours formé par M. A... H..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés de ce que les demandes de visas, déposées le 7 octobre 2020 soit plus de huit ans après l'obtention du statut de réfugié par M. A... H... le 23 décembre 2011 n'ont pas été constituées dans des délais raisonnables, alors que le réunifiant ne justifie par ailleurs d'aucun élément de possession d'état depuis son entrée en France, et de ce qu'en l'absence d'un jugement de délégation de l'autorité parentale ou de déchéance de l'autorité parentale, il ne peut être donné une suite favorable à la demande de réunification partielle présentée par M. A... H....
3. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ".
4. Si la commission de recours relève que la demande de visa n'a pas été constituée dans un délai qu'elle qualifie de raisonnable suivant l'obtention par M. A... H... du statut de réfugié, ce motif n'est pas au nombre de ceux pouvant légalement fonder un refus de visa dans le cadre d'une réunification familiale. Dans ces conditions, doit être accueilli le moyen tiré de ce que ce motif est entaché d'une erreur de droit.
5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que la mère des jeunes demandeurs de visa, Mme I... C..., a consenti par un courrier du 15 février 2020 homologué par un magistrat de la Cour du district de Kuntuwarey de la République fédérale de Somalie, après audition de cette dernière, au départ de ses enfants pour F... afin de vivre avec leur père, M. A... H..., dont elle est désormais séparée. Il y est exposé qu'elle entend rejoindre le Yémen avant de s'établir dans un pays du golfe persique. Dans ces conditions, le second motif de la décision de la commission tiré de l'absence de production d'un jugement de délégation ou de déchéance de l'autorité parentale au bénéfice exclusif du réunifiant n'est pas de nature à fonder légalement la décision du 1er juin 2022 de la commission.
6. En troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Devant les premiers juges le ministre de l'intérieur et des outre-mer a fait valoir, dans ses mémoires en défense communiqués à M. A... H..., et auquel le ministre se réfère à nouveau en appel, que la décision attaquée peut être fondée sur deux autres motifs. Le premier est tiré de ce que les documents produits n'établissent pas l'identité des demandeurs de visa et leur filiation maternelle. Le second motif est tiré de ce que le réunifiant représente une menace pour l'ordre public en ce qu'il ne se conforme pas aux principes essentiels régissant la vie familiale en France.
8. D'une part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ", ce dernier article disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
9. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
10. Il ressort des pièces du dossier qu'afin de justifier de l'identité des demandeurs de visas et de leur filiation avec le réunifiant, leurs certificats de naissance, signés par le maire de Mogadiscio, datés du 1er juin 2020, et leurs passeports ont été produits. Le ministre de l'intérieur soutient que ces certificats sont dépourvus de valeur probante, en ce qu'ils ne présentent pas les conditions de forme permettant de les considérer comme des actes d'état-civil. Cependant, le fait que les éléments préremplis de ces documents portent la mention " municipality of Mogadishu " et non " Mogadishu municipality ", qu'ils sont présentés en langue somalie et anglaise alors que contrairement à l'anglais le somalien et l'arabe sont les langues officielles de cet Etat et que les documents présentés seraient imprimés légèrement de biais, ne sont pas de nature à établir le caractère irrégulier, falsifié ou inexact des certificats de naissance et d'identité produits. Par ailleurs les énonciations contenues dans ces certificats de naissance sont conformes aux déclarations faites par M. A... H... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, y compris au regard du nom de la mère de ses enfants, ainsi qu'aux mentions figurant sur les passeports des trois demandeurs de visa. Enfin, la circonstance alléguée par le ministre selon laquelle les passeports présentés ne seraient pas conformes au dernier modèle de passeport reconnu par l'Union européenne ne permet pas d'établir que les certificats de naissance des demandeurs présenteraient un caractère inauthentique ou que les mentions y figurant ne correspondraient pas à la réalité. Dans ces conditions, indépendamment des conditions de certification de ces certificats de naissance, le motif tiré de ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant leurs liens de filiation, ne seraient pas établis, n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée. Par suite, il ne peut être fait droit à la demande de substitution de motif présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
11. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A... H..., arrivé en France en 2011, est connu des services de police en conséquence de disputes conjugales et de faits de violences sur sa compagne, survenues en 2017 et 2018. Il est établi que ces faits ont justifié l'ouverture de deux procédures judiciaires dont l'une a été classée sans suite, et la seconde a justifié une mesure alternative aux poursuites. Dans ce cadre M. A... H... a participé à " un stage de citoyenneté dédié aux auteurs de violence conjugale ", les 27 et 28 septembre 2018. Par ailleurs il est également établi que le couple a poursuivi sa vie commune et que trois enfants sont nés en 2014, 2016 et 2020 de leur relation. Aucun autre fait de nature à révéler une atteinte à l'ordre public n'est allégué. Dans ces circonstances, les faits reprochés ne sont pas de nature à révéler une situation où la présence en France de M. A... H... constituerait une menace pour l'ordre public, au sens de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de nature à fonder légalement les refus de visa contestés à trois de ses enfants. Il ne peut, en conséquence, être fait droit à la demande de substitution de motif présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A... H... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
13. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré aux jeunes B..., E... et D... G... A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
14. M. A... H... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros HT à Me Danet dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2201392 du 10 septembre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 1er juin 2022 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour les enfants B..., E... et D... G... A... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants B..., E... et D... G... A... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Danet une somme de 1 200 euros HT dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... H... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. G... A... H... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 7 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03957