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26/03/2024 | FRANCE | N°22NT03942

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 5ème chambre, 26 mars 2024, 22NT03942


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 4 août 2021 des autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'enfant étranger d'une ressortissante française.



Par un jugement n° 2201124 du 25 juillet 202

2, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.



Procédure devant la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 4 août 2021 des autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal) refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'enfant étranger d'une ressortissante française.

Par un jugement n° 2201124 du 25 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2022 et 30 octobre 2023, M. D... B..., représenté par Me Peschanski, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 25 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé et ne répond pas au moyen soulevé tiré de ce que le lien de filiation allégué était établi par possession d'état sur le fondement de l'article L. 561-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision est entachée d'incompétence de son signataire ;

- la décision n'est pas motivée ;

- la décision est entachée d'un vice de procédure en raison de l'irrégularité de la composition de la commission ;

- sa demande n'a pas fait l'objet d'un examen particulier ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile s'agissant du lien de filiation invoqué ;

- la décision méconnait les dispositions de l'article L. 423-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation, eu égard aux documents d'état-civil, aux éléments de possession d'état produits et à sa prise en charge par sa mère ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision méconnait la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

18 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport A... Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... B..., ressortissant gambien né le 31 octobre 2000, a présenté le 31 décembre 2020 une demande de visa de long séjour en qualité d'enfant étranger d'une ressortissante française, Mme G... C... épouse B..., auprès des autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal). Par une décision du 4 août 2021, ces autorités ont refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision implicite née le 27 novembre 2021 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 25 juillet 2022, dont M. B... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision implicite.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'article L. 9 du code de justice administrative dispose que : " Les jugements sont motivés. ".

3. Le demandeur de visa peut, en l'absence d'actes d'état civil probants, justifier par tout moyen du lien de parenté ou de filiation qu'il revendique. La preuve de ce lien au moyen de la possession d'état n'est apportée que si un mode de preuve de la filiation comparable à la possession d'état est admis par la loi personnelle applicable, soit, en principe, la loi de la mère au jour de la naissance de l'enfant. Dès lors que l'application par le juge administratif d'un texte étranger est une question de fait, celui-ci n'a pas à rechercher d'office les dispositions de droit étranger applicables mais statue au vu des pièces du dossier.

4. Il résulte des écritures de première instance que M. B... a soutenu que le lien de filiation, contesté par l'administration, le liant à Mme C... épouse B..., était établi tant par les documents d'état-civil que par les éléments de possession d'état produits. Il ne ressort pas de pièces du dossier que, notamment, la loi de sa mère, ressortissante gambienne le jour de la naissance A... B..., ne comportait pas un mode de preuve de filiation comparable à la possession d'état. Or le jugement attaqué, qui retient que les documents d'état-civil produits n'établissent pas ce lien de filiation et rejette pour ce motif la demande A... B..., ne répond pas à la branche du moyen, qui n'était pas inopérante, tiré de ce que les éléments de possession d'état communiqués étaient de nature à établir ce lien. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le jugement attaqué doit être annulé pour irrégularité.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est une décision implicite. Par suite, les moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de cette décision implicite, faute de délégation de signature de son auteur et du caractère irrégulier de la composition de la commission, inopérants, ne peuvent qu'être écartés. Par ailleurs M. B... n'a pas sollicité la communication des motifs de la décision de la commission de recours, de sorte que le moyen tiré de l'insuffisance de sa motivation ne peut qu'être également écarté.

7. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission n'aurait pas procédé à un examen particulier de la demande A... B....

8. En troisième lieu, il ressort des écritures en défense présentées par le ministre de l'intérieur que la décision de refus de visa long séjour opposée à la demande présentée par M. B... en qualité d'enfant à charge de Mme C... épouse B..., ressortissante française, est fondé sur l'absence de lien de filiation établi entre ces personnes et le fait que M. B... n'est pas à la charge de Mme C... épouse B....

9. D'une part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ", ce dernier article disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".

10. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

11. Il ressort des pièces au dossier, dont un extrait du registre des actes de naissance gambien produit pour la première fois en appel et établi à Banjulinding le 27 novembre 2018, au titre des naissances de l'année 2000, que la naissance A... D... B... a été déclarée par Mme G... C... épouse B... le 26 novembre 2018. Ce document, non contesté par l'administration, établit que M. D... B... est né le 31 octobre 2000 à Kerewan Nyakoi (Gambie), que ses parents sont M. F... B... et Mme G... C... B..., et il mentionne la profession de son père. Cet extrait d'acte de naissance comporte des références identiques à celles figurant sur des copies de ce même extrait d'acte de naissance établies en 2019 et 2020 par les services de l'ambassade de Gambie en France. Ces informations sont également cohérentes avec celles figurant sur le livret de famille A... et Mme B..., délivré par la même ambassade, mentionnant les cinq enfants du couple, dont M. D... B.... Si sur ce document, pour les enfants D... et E..., le patronyme de C... est rayé afin de lui substituer celui de B..., il ressort des explications écrites d'un agent de cette ambassade figurant sur ce même document que cela résulte d'une confusion des services de cette ambassade entre les noms de ces deux personnes. Au surplus, M. B... a produit une copie de son passeport gambien établi le 26 novembre 2018 portant des mentions identiques sur sa date et son lieu de naissance. Ces éléments sont de nature à établir son identité, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur les éléments de possession d'état présentés à cet effet.

12. D'autre part, aux termes de l'article L. 423-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " S'il est âgé de dix-huit à vingt et un ans, ou qu'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, ou qu'il est à la charge de ses parents, l'enfant étranger d'un ressortissant français se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans sous réserve de la production du visa de long séjour prévu au 1° de l'article L. 411-1 et de la régularité du séjour. (...). ".

13. Lorsqu'elle est saisie d'un recours dirigé contre une décision diplomatique ou consulaire refusant la délivrance d'un visa de long séjour à un ressortissant étranger qui fait état de sa qualité d'enfant à charge d'un ressortissant français, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France peut légalement fonder sa décision de rejet sur la circonstance que l'intéressé ne saurait être regardé comme étant à la charge de son ascendant dès lors qu'il dispose de ressources propres, que son ascendant de nationalité française ne pourvoit pas régulièrement à ses besoins ou ne justifie pas des ressources nécessaires pour le faire.

14. Il ressort des pièces du dossier qu'afin d'établir qu'il était à la charge de ses parents, M. B... a produit la preuve de quatre transferts d'argent réalisés par Mme C... épouse B... entre novembre 2020 et janvier 2021, au nom de personnes distinctes établies au Mali, au Sénégal et en Gambie. Ces éléments ne sont pas de nature à établir la prise en charge A... D... B..., qui serait séparé de ses parents depuis sa naissance, et dont les conditions de subsistance et de revenus éventuels depuis leur séparation ne sont même pas expliquées. Dans ces conditions, en estimant que M. D... B... ne justifiait pas de sa qualité d'enfant à charge d'une ressortissante française, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

15. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B..., né en 2000, vit séparé de ses parents depuis sa naissance, selon ses propres déclarations, et il n'est pas même allégué qu'une procédure de regroupement familial aurait été initiée avant l'acquisition de la nationalité française par Mme C... épouse B.... Ainsi qu'il a été exposé, ses conditions de vie en Gambie, ou au Sénégal, ne sont pas même exposées et les éléments présentés n'établissent pas qu'il aurait été financièrement pris en charge par M. et Mme B... depuis l'établissement de ces derniers en France, alors qu'il était un nourrisson. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle doivent être écartés.

16. En cinquième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 22 de la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial et relatif aux droits accordés aux personnes s'étant vu reconnaitre la qualité de réfugié, est inopérant en l'espèce alors, en tout état de cause, qu'il n'est pas établi que les parents A... B... bénéficiaient de ce statut. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

17. En sixième lieu, M. B..., majeur à la date de la décision contestée, ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

18. Il résulte de tout ce qui précède que, par les moyens qu'il invoque, M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2201124 du 25 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes, ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel, sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 7 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mars 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03942


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03942
Date de la décision : 26/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : PESCHANSKI

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-26;22nt03942 ?
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