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22/03/2024 | FRANCE | N°23NT03699

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 22 mars 2024, 23NT03699


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et d'autre part l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire l'a assigné à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours à compter du 7 novembre 2023.



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ar un jugement n° 2316595 du 15 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal adm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler, d'une part, l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile, et d'autre part l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire l'a assigné à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours à compter du 7 novembre 2023.

Par un jugement n° 2316595 du 15 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces deux arrêtés préfectoraux, et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à M. E... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 14 décembre 2023 sous le n° 23NT03699, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. E....

Il soutient que les autorités croates étaient bien responsables de l'examen de la demande d'asile de M. E... et non la France.

Par un mémoire, enregistré le 6 février 2024, M. E..., représenté par Me Néraudau, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de Maine-et-Loire n'est pas fondé.

M. E... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 mars 2024.

II. Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2023 sous le n° 23NT03701, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2023.

Il soutient que les autorités croates étaient bien responsables de l'examen de la demande d'asile de M. E... et non la France.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant sierra-léonais né le 5 mars 1996, entré en France le 24 septembre 2023, a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de l'Essonne le 2 octobre 2023. La consultation du fichier Eurodac a révélé que ses empreintes avaient été relevées en Grèce puis en Croatie et qu'il avait successivement sollicité l'asile dans ces deux pays. Le 9 octobre 2023, le préfet de Maine-et-Loire a saisi les autorités croates d'une demande de reprise en charge, sur le fondement du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013. Le 23 octobre 2023, les autorités croates ont donné leur accord en vue de poursuivre le processus de détermination de l'Etat responsable en application du point 5 de l'article 20 du règlement (UE) n° 604/2013. M. E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 27 octobre 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel le préfet de Maine-et-Loire l'a assigné à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pendant une durée de 45 jours à compter du 7 novembre 2023. Par un jugement du 15 novembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé ces deux arrêtés préfectoraux et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de délivrer à M. E... une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de Maine-et-Loire, d'une part, fait appel de ce jugement et, d'autre part, demande à la cour de surseoir à l'exécution de ce jugement.

2. Ces deux recours sont dirigés contre le même jugement. Il y a lieu, dès lors, de les joindre pour se prononcer par un même arrêt.

Sur la requête n° 23NT03699 :

En ce qui concerne le moyen accueilli par le tribunal :

3. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. 2. Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. (...) ". Aux termes de l'article 7 du même règlement, inclus dans son chapitre III relatif aux critères de détermination de l'Etat membre responsable : " 1. Les critères de détermination de l'État membre responsable s'appliquent dans l'ordre dans lequel ils sont présentés dans le présent chapitre. 2. La détermination de l'État membre responsable en application des critères énoncés dans le présent chapitre se fait sur la base de la situation qui existait au moment où le demandeur a introduit sa demande de protection internationale pour la première fois auprès d'un État membre. (...) ". Aux termes de l'article 13 de ce règlement : " 1. Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) no 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. (...). ".

4. Il ressort des pièces du dossier que les empreintes digitales de M. E... ont été enregistrées dans le fichier Eurodac en Grèce le 21 septembre 2022 sous le n° GR 2 SAM20220922717639, en Grèce le 13 octobre 2022 sous le n° GR 1 SAM20221014502251 et en Croatie le 16 septembre 2023 sous les nos HR 1 2300314709Z et HR 2 2300314708Y. Il en résulte que M. E... a introduit sa première demande de protection internationale en Grèce en octobre 2022. S'agissant de la Grèce, le préfet de Maine-et-Loire, estimant qu'il y existait de telles défaillances systémiques, ce qu'aucun élément du dossier ne permet de remettre en cause, a mis en œuvre ces dispositions, de sorte qu'il pouvait légalement écarter la responsabilité de la Grèce et retenir celle de la Croatie en application des dispositions combinées du 2 de l'article 3 et du 1 de l'article 13 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'intéressé ayant ensuite sollicité l'asile en Croatie en septembre 2023. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit quant à la mise en œuvre des critères de détermination de l'Etat responsable doit être écarté et c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré cette erreur de droit pour annuler les arrêtés contestés.

5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. E... devant le tribunal administratif et devant la cour.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. E... :

S'agissant de l'arrêté de transfert en Croatie :

6. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par M. Nicolas Brochard, secrétaire administratif de classe exceptionnelle, adjoint à la cheffe de pôle régional Dublin de la préfecture de Maine-et-Loire. A la date de cet arrêté, M. F... disposait, en vertu d'un arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 26 septembre 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs de l'Etat dans ce département, d'une délégation de signature lui permettant de signer au nom du préfet les décisions portant transfert de ressortissants étrangers vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... D..., directeur de l'immigration et des relations avec les usagers, et de Mme B... G..., cheffe du pôle régional Dublin, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils n'auraient pas, à cette même date, été absents ou empêchés. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté doit être écarté.

7. En deuxième lieu, si les conditions de notification, prévues à l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et à l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, peuvent avoir une incidence sur l'opposabilité des voies et délais de recours à l'encontre de la décision de transfert, elles sont sans incidence sur sa légalité.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

9. Il ressort des termes de la décision contestée, qui vise notamment les articles 7-2 et 18 du règlement n° 604/2013 et l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. E... est entré irrégulièrement le 24 septembre 2023 en France où il a présenté une demande d'asile auprès du préfet de l'Essonne le 2 octobre 2023, que la consultation du fichier Eurodac a fait apparaître que l'intéressé avait préalablement sollicité l'asile auprès des autorités croates. Elle précise que les autorités croates ont accepté leur responsabilité par accord du 23 octobre 2023. Elle indique qu'en application du règlement précité, ces autorités doivent être regardées comme responsables de la demande d'asile de M. E.... Elle mentionne également que M. E... a déclaré être marié à une compatriote vivant au Sierra Leone, ne pas avoir de famille en France ni de problèmes de santé, et en tire pour conséquence que l'intéressé ne présente pas de vulnérabilité particulière et que la décision de transfert ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle indique enfin que M. E... n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités croates. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision contestée doit être écarté.

10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

11. D'une part, il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

12. D'autre part, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit à l'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.

13. Il ressort des pièces du dossier que M. E... s'est vu remettre, le 2 octobre 2023 le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile, le guide du demandeur d'asile et les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, dont il a signé les pages de garde, qui contiennent les informations prescrites par les dispositions précitées. Si ces documents ont été transmis en langue française, dès lors qu'ils n'existent pas en langue kryo, M. E... a signé un document indiquant que les informations contenues dans ces brochures ont été portées oralement à sa connaissance par un interprète en langue kryo. Enfin, il ressort de ce compte-rendu que M. E... a eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Dans ces conditions, son droit à l'information résultant de l'article 4 précité du règlement n° 604/2013 n'a pas été méconnu.

14. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

15. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. E... qu'il a bénéficié le 2 octobre 2023, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. L'agent qui a conduit cet entretien est identifié par ses nom, prénom et fonction. Le requérant n'apporte aucun élément permettant de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Enfin, il ressort du compte-rendu de cet entretien, eu égard aux détails précis qu'il expose, qu'il a permis à M. E... de faire état des informations utiles, quand bien même l'assistance d'un interprète en langue kryo a été faite par voie téléphonique. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

16. En sixième et dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

17. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

18. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier ni des termes de l'arrêté contesté que le préfet de Maine-et-Loire ait entaché cet arrêté d'un défaut d'examen particulier de la situation personnelle du requérant et, particulièrement, de sa vulnérabilité.

19. D'autre part, le requérant, par la seule production de rapports généraux et de données statistiques ou de simples allégations, n'établit ni l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Croatie à la date de l'arrêté litigieux, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'il ne pourrait y faire valoir tout nouvel élément concernant sa situation personnelle. Les seules circonstances qu'il est demandeur d'asile et a vécu un parcours d'exil long et difficile ne suffisent pas à le placer dans une situation d'exceptionnelle vulnérabilité justifiant que sa demande d'asile soit instruite en France. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire au §2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.

S'agissant de la décision d'assignation à résidence :

20. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par M. Nicolas Brochard, secrétaire administratif de classe exceptionnelle, adjoint à la cheffe de pôle régional Dublin de la préfecture de Maine-et-Loire. A la date de cet arrêté, M. F... disposait, en vertu d'un arrêté du préfet de Maine-et-Loire en date du 26 septembre 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs de l'Etat dans ce département, d'une délégation de signature lui permettant de signer au nom du préfet les décisions d'application du règlement " Dublin III " prises à l'égard des ressortissants étrangers, notamment les décisions d'assignation à résidence, en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... D..., directeur de l'immigration et des relations avec les usagers et de Mme B... G..., cheffe du pôle régional Dublin, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils n'auraient pas, à cette même date, été absents ou empêchés. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté doit être écarté.

21. En deuxième lieu, la décision par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a assigné M. E... à résidence dans le département de la Loire-Atlantique pour une durée de 45 jours renouvelable trois fois comporte l'énoncé suffisamment précis des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Au vu de cette motivation suffisante, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé doit également être écarté.

22. En troisième lieu, M. E... n'ayant pas démontré l'illégalité de la décision de transfert, il n'est pas fondé à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision d'assignation à résidence.

23. En quatrième et dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'obligation faite à M. E... de se présenter tous les mercredis et jeudis sauf les jours fériés à 8h00 aux services de la police aux frontières du commissariat central de police de Nantes procède d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé, lequel, domicilié dans cette ville, ne fait état d'aucune contrainte particulière l'empêchant de satisfaire à cette obligation ni d'aucun élément de nature à démontrer le caractère excessif de la mesure de pointage ou son incompatibilité avec sa situation personnelle, durant le temps nécessaire à la mise à exécution de la décision de transfert.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé ses deux arrêtés du 27 octobre 2023 pris à l'encontre de M. E..., lui a enjoint de délivrer à M. E... une attestation de demande d'asile en procédure normale et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Néraudau en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête n° 23NT03701 :

25. Dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions du recours du préfet de Maine-et-Loire tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a donc pas lieu d'y statuer.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2316595 du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2023 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. E... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête enregistrée sous le n° 23NT03701 tendant au sursis à exécution du jugement n° 2316595 du tribunal administratif de Nantes du 15 novembre 2023.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C... E....

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 23NT03699,23NT03701


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03699
Date de la décision : 22/03/2024

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-22;23nt03699 ?
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