La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/03/2024 | FRANCE | N°23NT03061

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 22 mars 2024, 23NT03061


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2313444 du 4 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de procéder au réexamen de la situation

de M. F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.



Procédure devan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 3 août 2023 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités allemandes pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2313444 du 4 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de procéder au réexamen de la situation de M. F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 18 octobre 2023, le préfet de Maine-et-Loire demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. F....

Il soutient que les autorités allemandes étaient bien responsables de l'examen de la demande d'asile de M. F... et non la France.

Par un mémoire, enregistré le 18 décembre 2023, M. F..., représenté par Me Néraudau, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 700 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que le moyen soulevé par le préfet de Maine-et-Loire n'est pas fondé.

M. F... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 décembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F..., ressortissant kazakhstanais né le 16 janvier 1981, a déposé une demande d'asile le 24 juillet 2023 auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique. Lors de l'instruction de cette demande, la consultation du fichier Eurodac a révélé que les empreintes digitales de M. F... avaient été relevées le 14 mai 2023 à la suite de l'exécution d'un précédent transfert en Allemagne le 2 mai 2023. Les autorités allemandes, saisies le 25 juillet 2023, ont accepté le 28 juillet 2023 de le reprendre en charge. Par un arrêté du 3 août 2023, dont il a demandé l'annulation au tribunal administratif de Nantes, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer M. F... aux autorités allemandes. Par un jugement du 4 octobre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a annulé cet arrêté préfectoral et a enjoint au préfet de Maine-et-Loire de procéder au réexamen de la situation de M. F... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de Maine-et-Loire fait appel de ce jugement.

Sur le moyen accueilli par le tribunal :

2. Aux termes de l'article 12 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) 2. Si le demandeur est titulaire d'un visa en cours de validité, l'État membre qui l'a délivré est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, sauf si ce visa a été délivré au nom d'un autre État membre en vertu d'un accord de représentation prévu à l'article 8 du règlement (CE) no 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 établissant un code communautaire des visas (1). Dans ce cas, l'État membre représenté est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) 4. Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un État membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des États membres. (...) ". Aux termes de l'article paragraphe 2 de l'article 3 du même règlement : " Lorsque aucun État membre responsable ne peut être désigné sur la base des critères énumérés dans le présent règlement, le premier État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite est responsable de l'examen ".

3. Le préfet de Maine-et-Loire fait valoir sans être contredit qu'au vu du logiciel Visabio, lors de la première demande d'asile en France de M. F..., le 18 septembre 2022, ce dernier était en possession d'un visa périmé depuis moins de six mois délivré par les autorités allemandes. Ces dernières ont été saisies le 23 septembre 2022 d'une demande de prise en charge, en application du 4 de l'article 12 du règlement du 26 juin 2013, qu'elles ont acceptée le 2 novembre 2022. Le 15 novembre 2022, le préfet de Maine-et-Loire a pris à l'encontre de M. F... un arrêté de transfert aux autorités allemandes, qui a été exécuté le 2 mai 2023. L'intéressé a déposé une demande d'asile en Allemagne le 14 mai 2023 puis est revenu en France le 14 juillet 2023 où il a déposé une nouvelle demande d'asile le 24 juillet 2023. Cependant, M. F... est entré sur le territoire d'un premier État membre, l'Allemagne, grâce à un visa délivré par les autorités allemandes, qui était périmé depuis moins de six mois à la date de sa première entrée en France. Ainsi, alors même que la première demande d'asile a été effectuée en France, le 18 septembre 2022, l'Allemagne restait l'Etat responsable de la prise en charge de M. F..., cette dernière ayant d'ailleurs été explicitement acceptée le 28 juillet 2023. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit quant à la mise en œuvre des critères de détermination de l'Etat responsable doit être écarté et c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré de l'erreur de droit pour annuler l'arrêté contesté.

4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. F... devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur les autres moyens soulevés par M. F... :

5. En premier lieu, l'arrêté contesté a été signé par M. Nicolas Brochard, secrétaire administratif de classe exceptionnelle, adjoint à la cheffe de pôle régional Dublin de la préfecture de Maine-et-Loire. A la date de cet arrêté, M. E... disposait, en vertu d'un arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 26 septembre 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs de l'Etat dans ce département, d'une délégation de signature lui permettant de signer au nom du préfet les décisions portant transfert de ressortissants étrangers vers l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile, en cas d'absence ou d'empêchement de M. A... C..., directeur de l'immigration et des relations avec les usagers et de Mme B... G..., cheffe du pôle régional Dublin, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils n'auraient pas, à cette même date, été absents ou empêchés. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté doit être écarté.

6. En deuxième lieu, si les conditions de notification, prévues à l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et à l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, peuvent avoir une incidence sur l'opposabilité des voies et délais de recours à l'encontre de la décision de transfert, elles sont sans incidence sur sa légalité.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative (...) ". Est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.

8. Il ressort des termes de la décision contestée, qui vise notamment les articles 7-2 et 18 du règlement n° 604/2013 et l'article L. 572-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que lors de la première demande d'asile en France de M. F..., le 18 = septembre 2022, ce dernier était en possession d'un visa périmé depuis moins de six mois délivré par les autorités allemandes. Ces dernières ont été saisies le 23 septembre 2022 d'une demande de prise en charge, en application du 4 de l'article 12 du règlement du 26 juin 2013, qu'elles ont acceptée le 2 novembre 2022. Le 15 novembre 2022, le préfet de Maine-et-Loire a pris à l'encontre de M. F... un arrêté de transfert aux autorités allemandes, qui a été exécuté le 2 mai 2023. L'intéressé a déposé une demande d'asile en Allemagne le 14 mai 2023 puis est revenu en France le 14 juillet 2023 où il a déposé une nouvelle demande d'asile le 24 juillet 2023. Elle précise que les autorités allemandes ont accepté leur responsabilité par accord du 28 juillet 2023. Elle indique qu'en application du règlement précité, ces autorités doivent être regardées comme responsables de la demande d'asile de M. F..., ce dernier n'ayant pas quitté le territoire des Etats membres pendant une durée au moins égale à trois mois. Elle mentionne également que M. F... a déclaré être séparé de son épouse et que cette dernière et leur enfant résident en Allemagne, qu'il n'a pas de famille en France ni de problèmes de santé, et en tire pour conséquence que l'intéressé ne présente pas de vulnérabilité particulière et que la décision de transfert ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle indique enfin que M. F... n'établit pas de risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités allemandes. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision contestée doit être écarté, alors même que la décision indique, à tort, que la première demande d'asile a été effectuée en Allemagne.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; /c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). /2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

10. D'une part, il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

11. D'autre part, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 13 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des Etats membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit à l'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles l'Etat français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.

12. Il ressort des pièces du dossier que M. F... s'est vu remettre, le 24 juillet 2023 le jour même de l'enregistrement de sa demande d'asile en préfecture, et à l'occasion de l'entretien individuel, soit en temps utile, le guide du demandeur d'asile et les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, dont il a signé les pages de garde, qui contiennent les informations prescrites par les dispositions précitées, en langue russe, langue qu'il a déclaré comprendre. En outre, l'intéressé a signé un document indiquant que les informations contenues dans ces brochures ont été portées oralement à sa connaissance par un interprète en langue russe. Enfin, il ressort de ce compte-rendu que M. F... a eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Dans ces conditions, son droit à l'information résultant de l'article 4 précité du règlement n° 604/2013 n'a pas été méconnu.

13. En cinquième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'Etat membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".

14. Il ressort des mentions figurant sur le compte-rendu signé par M. F... qu'il a bénéficié le 24 juillet 2023, soit avant l'intervention de la décision contestée, de l'entretien individuel prévu par l'article 5 précité du règlement n° 604/2013. La circonstance que l'interprète en langue russe n'ait pas été physiquement présent à ses côtés et soit intervenu par téléphone n'a pas privé M. F... de la garantie que constitue l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. La seule circonstance que l'agent qui a conduit cet entretien est seulement identifié par la mention " Préfecture de la Loire-Atlantique - L'agent habilité " et ses initiales manuscrites ne permet pas de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. Par ailleurs, aucun élément du dossier n'établit que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions qui en auraient garanti la confidentialité. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 n'est pas fondé et doit être écarté.

15. En sixième et dernier lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable (...) ". Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

16. Ces dispositions doivent être appliquées dans le respect des droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

17. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier ni des termes de l'arrêté contesté que le préfet de Maine-et-Loire ait entaché cet arrêté d'un défaut d'examen particulier de la situation personnelle du requérant et, particulièrement, de sa vulnérabilité.

18. D'autre part, le requérant, par la seule production de rapports généraux et de données statistiques ou de simples allégations, n'établit ni l'existence de défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Allemagne à la date de l'arrêté litigieux, alors que ce pays est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni qu'il ne pourrait y faire valoir tout nouvel élément concernant sa situation personnelle. Les seules circonstances qu'il est demandeur d'asile, fait état de risques de persécution au Kazakhstan, être isolé en Allemagne et qu'il fait l'objet d'une mesure d'éloignement prise par l'Allemagne ne suffisent pas à le placer dans une situation d'exceptionnelle vulnérabilité justifiant que sa demande d'asile soit instruite en France. En outre, alors que la décision de transfert litigieuse n'emporte pas éloignement vers le Kazakhstan, M. F... ne peut utilement soutenir que le préfet aurait dû prendre en compte les risques auxquels il serait exposé dans ce pays. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire au §2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doivent être écartés.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Maine-et-Loire est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé son arrêté du 3 août 2023 pris à l'encontre de M. F..., lui a enjoint de procéder au réexamen de la situation de ce dernier et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à Me Néraudau en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par M. F... au titre des frais exposés en appel doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2313444 du tribunal administratif de Nantes du 4 octobre 2023 est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. F... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. H....

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03061


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03061
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : NERAUDAU

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-22;23nt03061 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award