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22/03/2024 | FRANCE | N°22NT03297

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 4ème chambre, 22 mars 2024, 22NT03297


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... F..., Mme E... G..., M. et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Thereval a refusé de supprimer ou de déplacer une aire de jeux et a refusé de les indemniser des préjudices liés aux nuisances occasionnées par cet ouvrage public.



Par un jugement n° 2002354 du 12 août 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.



Proc

édure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 octobre 2022 et 27 juillet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F..., Mme E... G..., M. et Mme A... D... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Thereval a refusé de supprimer ou de déplacer une aire de jeux et a refusé de les indemniser des préjudices liés aux nuisances occasionnées par cet ouvrage public.

Par un jugement n° 2002354 du 12 août 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 octobre 2022 et 27 juillet 2023, M. B... F..., Mme E... G..., M. et Mme A... D..., représentés par Me Labrusse, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 12 août 2022 ;

2°) d'annuler les décisions implicites par lesquelles le maire de la commune de Thereval a refusé de supprimer ou de déplacer une aire de jeux et a refusé de les indemniser des préjudices liés aux nuisances occasionnées par cet ouvrage public ;

3°) d'enjoindre à la commune de Thereval et à la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo, à titre principal, de procéder à la suppression ou au déplacement de cette aire de jeux et, à titre subsidiaire, de la fermer temporairement dans l'attente de trouver une solution pérenne permettant de supprimer toute nuisance pour les propriétés voisines, dans un délai qui ne saurait excéder un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

4°) de condamner solidairement et à titre principal la commune de Thereval et la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo à leur verser, individuellement, la somme de 500 euros par mois depuis l'installation de l'ouvrage jusqu'à sa suppression et, à titre subsidiaire, si la suppression n'était pas programmée, à verser à Mme C... et à M. et Mme D... une somme de 150 000 euros en raison de la perte de valeur vénale de leur bien immobilier ;

5°) subsidiairement, d'ordonner une expertise ;

6°) de mettre à la charge solidaire de la commune de Thereval et de la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo la somme de 1 000 euros, à verser à chacun des requérants, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en refusant de déplacer, de supprimer l'aire de jeux " City park " ou de prendre des mesures de protection des propriétés riveraines, le maire de la commune a méconnu les dispositions de l'article R. 1336-5 du code de la santé publique et de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ;

- ils sont fondés à engager la responsabilité pour faute et sans faute de la commune de Thereval et de la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo et à solliciter la réparation intégrale des préjudices dont ils sont victimes du fait de la présence de l'ouvrage à proximité de leurs propriétés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 décembre 2022 et le 22 août 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, la commune de Thereval, représentée par Me Agostini, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise solidairement à la charge des requérants la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que sa responsabilité pour faute ou sans faute ne saurait être engagée et qu'en tout état de cause aucun préjudice n'est établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2023, la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo, représentée par Me Rouhaud, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge des requérants la somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les requérants n'ont pas lié le contentieux à son encontre et la demande de première instance était irrecevable dès lors que la décision contestée n'a pas été produite ; les conclusions présentées par les requérants dans le cadre de la demande de première instance étaient imprécises ;

- les conclusions nouvelles présentées en appel ne sont pas recevables ;

- à titre subsidiaire, sa responsabilité ne saurait être engagée et les préjudices allégués ne sont pas établis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de M. F..., de Me Delaunay substituant Me Agostini pour la commune de Thereval et de Me Meunier substituant Me Rouhaud pour la communauté d'agglomération Saint-Lo Agglo.

Considérant ce qui suit :

1. Le 26 mars 2018, des travaux de réalisation d'une aire de jeux, le " city-park ", ont débuté sur le territoire de la commune de Thereval. Ces travaux ont été réalisés par la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo et achevés le 30 avril 2019. Par un courrier du 27 juillet 2020, M. F..., Mme G..., M. et Mme D... ont sollicité du maire de la commune de Thereval le déplacement de cet ouvrage et sa fermeture temporaire, ainsi que la réparation des préjudices subis en raison de sa présence à proximité de leurs maisons d'habitation. Le 29 juillet 2020, le maire de la commune a indiqué aux intéressés, d'une part, qu'il transmettait la demande indemnitaire à la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo, propriétaire de l'ouvrage et, d'autre part, qu'il avait proposé au conseil municipal de procéder à la réalisation d'un merlon séparant cette aire de jeux de la route départementale. M. F..., Mme G..., M. et Mme D... ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision implicite par laquelle le maire de la commune de Thereval a refusé de supprimer ou de déplacer ou de fermer temporairement cette aire de jeux et a refusé de les indemniser de leurs préjudices. Les requérants ont en outre demandé au tribunal de condamner la commune de Thereval et la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo à les indemniser à hauteur des préjudices liés à la présence de cette aire de jeux à proximité de leur propriété. Par un jugement du 12 août 2022, le tribunal a rejeté leur demande. Ils font appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

S'agissant des conclusions à fin d'annulation des décisions de rejet de la demande de déplacement du City Park et de sa fermeture au moins temporaire :

2. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que (...), les bruits, les troubles de voisinage, (...) ". Aux termes de l'article R. 1336-5 du code de la santé publique : " Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité ". Enfin, l'article R. 1336-7 du même code prévoit : " L'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause. Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures) (...) ".

3. Il appartient au maire d'une commune d'éviter que le bruit engendré par une aire de jeux ne porte une atteinte excessive à la tranquillité publique et méconnaisse les normes maximales d'émissions sonores fixées par le code de l'environnement et le code de la santé publique, en faisant notamment usage, en cas de besoin, des pouvoirs de police municipale qui lui sont confiés par l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ou, le cas échéant, des pouvoirs de police spéciale dont il dispose en vertu des articles L. 1311-1 et suivants et R. 1311-1 et suivants du code de la santé publique qui renvoient au code de l'environnement. D'autre part, il appartient au propriétaire et gestionnaire d'une telle aire de jeux, de prendre, sans préjudice des mesures de police relevant de la compétence propre du maire, les mesures nécessaires pour que les nuisances résultant de son fonctionnement n'excèdent pas, par leur intensité, leur fréquence ou leur durée, les sujétions inhérentes au voisinage d'un ouvrage public, notamment en réglementant l'utilisation de l'aire de jeux ou en décidant de prendre des mesures propres à réduire les nuisances sonores.

4. Il ressort des pièces du dossier, en particulier des vidéos produites, que le City Park situé dans la commune de Thereval et appartenant à la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo a pu être la source de nuisances sonores pour les requérants, voisins immédiats, constituées par des cris et de la musique. Toutefois, ces vidéos ne sont pas datées et ne permettent ni de voir le City Park, un écran végétal et une route départementale séparant les habitations des requérants de cet équipement, ni d'établir l'ampleur des bruits. Si un constat d'huissier de justice du 28 juin 2023 fait état de différentes mesures acoustiques, dont une mesure de 64,5 dBa depuis la terrasse de la maison de Mme G... et de M. F..., liée à des bruits de musique, de voix d'enfants et d'un ballon qui rebondit, il ne permet pas de constater une émergence sonore mesurée suivant les modalités réglementaires prévues par l'article R. 1336-9 du code de la santé publique et excédant les valeurs limites définies par l'article R. 1336-7 du même code. Il n'établit pas davantage, de par son caractère unique, à une seule date, la fréquence des bruits. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que les bruits de scooters proviendraient du City Park, ni que les bruits de voix ou de musique excèderaient, par leur intensité, leur fréquence ou leur durée, les sujétions inhérentes au voisinage d'un ouvrage public. D'ailleurs, la commune a produit plusieurs attestations d'autres voisins indiquant ne pas subir de nuisances sonores liées au fonctionnement de cet équipement sportif. En outre, le maire de la commune de Thereval a pris un arrêté municipal le 11 juillet 2018 afin d'interdire dans l'aire de jeux notamment l'émission de bruits gênants par leur intensité ou leur durée ou leur caractère répétitif. Si le règlement intérieur édicté ensuite par le maire a prolongé l'ouverture de l'aire de jeux jusqu'à 21h30 pendant le printemps et l'été, le City Park est fermé la nuit et les engins roulants motorisés sont interdits. Enfin, un talus d'une hauteur d'environ un mètre et d'une longueur de soixante-quatorze mètres a été créé, entre le City Park et les propriétés des requérants. Si ces derniers soutiennent que cet ouvrage a été inefficace pour réduire les nuisances sonores, les photographies produites et l'attestation du dirigeant d'une entreprise de terrassement ne suffisent pas à établir le bien-fondé de leurs allégations. Dans ces conditions, au vu de l'ensemble des éléments et pour regrettable que puisse être l'incivilité de certains usagers de l'ouvrage, pour laquelle des infractions peuvent être constatées et signifiées par les services de police et de gendarmerie compétents, les mesures mises en place par la commune de Thereval doivent être regardées comme étant de nature à permettre le maintien du bon ordre et de la tranquillité au sens des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales et du code de la santé publique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales et de l'article R. 1336-5 du code de la santé publique doit être écarté.

S'agissant des conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

5. Le terrain de l'aire de jeux en litige était classé en zone Us par le plan local d'urbanisme, autorisant " les constructions, équipements et installations liés à l'activité de sport, socio-culturelle et touristique, sous réserve d'être intégrés à leur environnement, et du respect de la réglementation en vigueur en matière de lutte contre le bruit (afin de prendre toutes les mesures de protection nécessaires contre les éventuelles nuisances sonores) ". Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 4, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le maire de la commune de Thereval aurait commis une faute en laissant s'installer un équipement non conforme au plan local d'urbanisme et pour carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

6. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel.

7. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 4, au regard des bruits en cause, inhérents à l'existence même du City Park qui est un équipement de sport et de loisir, il n'est pas établi que le préjudice invoqué par les requérants excéderait les sujétions susceptibles d'être normalement imposées, dans l'intérêt général, aux riverains des ouvrages publics. Par conséquent, en l'absence de caractère de gravité du préjudice, la responsabilité de la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo, propriétaire de l'ouvrage, et en tout état de cause la responsabilité de la commune de Thereval, ne sauraient être engagées.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin ni d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo, ni d'ordonner l'expertise sollicitée par les requérants à titre subsidiaire, que M. F..., Mme G..., M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leurs conclusions à fin d'annulation et leurs conclusions à fin d'indemnisation.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de de la commune de Thereval et de la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de ces derniers respectivement la somme globale de 750 euros à verser à la commune de Thereval et la somme globale de 750 euros à verser à la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. F..., de Mme G... et de M. et Mme D... est rejetée.

Article 2 : M. F..., Mme G... et M. et Mme D... verseront une somme globale de 750 euros à la commune de Thereval et la même somme à la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F..., désigné comme représentant unique des requérants, à la commune de Thereval et à la communauté d'agglomération Saint-Lô Agglo.

Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03297


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03297
Date de la décision : 22/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CABINET LEXCAP RENNES

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-22;22nt03297 ?
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