Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Laugier Faraday a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 août 2019 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a déclaré d'utilité publique le projet d'aménagement de la commune de Saint-Jouan des Guérets " fonds de jardins - Grande rue " et a autorisé la commune à acquérir, le cas échéant par voie d'expropriation, les terrains nécessaires à la réalisation de ce projet.
Par un jugement n° 1905081 du 26 avril 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 juin 2022 et 18 octobre 2023, la société Laugier Faraday, représentée par Me Le Guen, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 26 avril 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 9 août 2019 pris par le préfet d'Ille-et-Vilaine ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'établissement public foncier de Bretagne la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'est pas établi que la minute du jugement comporte la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience ;
- l'arrêté d'ouverture de l'enquête publique est imprécis, en méconnaissance de l'article R. 123-9 du code de l'environnement ;
- l'arrêté préfectoral a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, dès lors que la notice explicative et le document relatif aux caractéristiques principales des ouvrages les plus importants et l'appréciation sommaire des dépenses étaient insuffisants ;
- le projet en cause est dépourvu d'utilité publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 février 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la société Laugier Faraday ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 septembre et 21 novembre 2023 et un mémoire enregistré le 21 décembre 2023 qui n'a pas été communiqué, l'établissement public foncier de Bretagne, représenté par Me Rouhaud, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société Laugier Faraday la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la société Laugier Faraday ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,
- et les observations de Me Le Guen pour la société Laugier Faraday et de Me Meunier, substituant Me Rouhaud, pour l'établissement public foncier de Bretagne.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Saint-Jouan des Guérets, qui est située le long de la route nationale (RN) 137 reliant Rennes à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), a pour projet de réaliser une opération d'aménagement à proximité du centre bourg en vue de le redynamiser, consistant en la création de quarante-et-un nouveaux logements ainsi que la rénovation de trois appartements dans une maison d'habitation. C'est dans ce but qu'elle a conclu, le 11 janvier 2013, une convention d'actions foncières avec l'établissement public foncier de Bretagne (EPFB). Dans l'assiette de ce projet d'aménagement, se trouve la parcelle cadastrée section AL n° 301 appartenant à la société Laugier Faraday, d'une superficie de 1 000 m². La commune n'ayant pu obtenir l'ensemble des parcelles nécessaires à la réalisation de ce projet selon une procédure amiable, une enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique et à la cessibilité des terrains nécessaires a été ouverte par un arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 4 avril 2019. L'enquête publique s'est déroulée du 9 au 29 mai 2019, et la commissaire enquêtrice a rendu un avis favorable assorti de deux recommandations le 27 juin 2019. La société Laugier Faraday a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 9 août 2019 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a déclaré d'utilité publique le projet d'aménagement de la commune de Saint-Jouan des Guérets " fonds de jardins - Grande rue " et a autorisé la commune à acquérir, le cas échéant par voie d'expropriation, les terrains nécessaires à la réalisation de ce projet. Par un jugement du 26 avril 2022, le tribunal a rejeté sa demande. La société Laugier Faraday fait appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".
3. Il ressort du dossier de procédure que la minute du jugement attaqué a été signée, conformément aux dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article R. 123-9 du code de l'environnement : " I. - L'autorité compétente pour ouvrir et organiser l'enquête précise par arrêté les informations mentionnées à l'article L. 123-10, quinze jours au moins avant l'ouverture de l'enquête et après concertation avec le commissaire enquêteur ou le président de la commission d'enquête. Cet arrêté précise notamment : 1° Concernant l'objet de l'enquête, les caractéristiques principales du projet, plan ou programme ainsi que l'identité de la ou des personnes responsables du projet, plan ou programme ou de l'autorité auprès de laquelle des informations peuvent
être demandées (...) ".
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté préfectoral portant ouverture de l'enquête publique mentionnait que l'enquête portait sur " la déclaration d'utilité publique du projet d'aménagement Fonds de jardins - Grande rue et la cessibilité des terrains nécessaires pour permettre la réalisation de ce projet ". Dès lors, il indiquait l'objet de l'enquête. Il mentionnait également les lieux et horaires de mise à disposition du dossier d'enquête et de présence de la commissaire enquêtrice et informait de la disponibilité de ce dossier sur le site internet dédié au projet. Dans ces conditions, l'absence de précision dans cet arrêté des caractéristiques principales du projet n'a pas eu d'incidence sur la bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération et n'a pas eu davantage d'influence sur les résultats de l'enquête. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de l'arrêté d'ouverture de l'enquête publique doit être écarté.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 112-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages, l'expropriant adresse au préfet du département où l'opération doit être réalisée, pour qu'il soit soumis à l'enquête, un dossier comprenant au moins : 1° Une notice explicative ; 2° Le plan de situation ; 3° Le plan général des travaux ; 4° Les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; 5° L'appréciation sommaire des dépenses ". Aux termes de l'article R. 112-6 du même code : " La notice explicative prévue aux articles R. 112-4 et R. 112-5 indique l'objet de l'opération et les raisons pour lesquelles, parmi les partis envisagés, le projet soumis à l'enquête a été retenu, notamment du point de vue de son insertion dans l'environnement ".
7. Il ressort des pièces du dossier que trois scénarios ont été étudiés, se différenciant dans l'organisation spatiale du bâti, la densité et les typologies de logements proposés, maisons individuelles ou logements collectifs, le scénario 1 prévoyant 21 logements, le scénario 2 faisant état de 25 logements avec un parking central et le scénario 3 de 30 logements avec une placette. Toutefois, ils prévoyaient tous la réalisation d'a minima 30 % de logements locatifs sociaux, une densité minimum de 35 logements par hectare, le respect de l'orientation d'aménagement et de programmation du plan local d'urbanisme pour ce secteur, la prise en compte d'un emplacement réservé n° 24 et la nécessité de conserver un " esprit village ". A finalement été retenu un scénario " mixte " prenant en compte les aspects positifs de chacun des scénarios. Ainsi, l'ensemble de ces scénarios ne présentaient pas entre eux de différences significatives, notamment du point de vue de l'insertion dans l'environnement, et ne constituaient pas des partis distincts au sens de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Dans ces conditions, la notice explicative n'avait pas à indiquer les raisons pour lesquelles le projet qui a été soumis à l'enquête publique avait été retenu. Enfin, il ne résulte pas des dispositions de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique que la notice explicative doive contenir des indications relatives aux besoins de la commune en logements collectifs. En tout état de cause, elle expose de manière détaillée, aux pages 5 et 6, les besoins en logements collectifs, notamment sociaux, liés à des enjeux de densification de la zone urbaine, de vieillissement de la population et de renforcement de la mixité sociale, et la seule circonstance que les données de l'INSEE liées au recensement mentionnées par la société requérante n'aient pas été reprises ne suffit pas à établir que le public aurait été informé de manière inexacte sur ce point.
8. S'agissant du document relatif aux caractéristiques principales des ouvrages les plus importants, il ressort des pièces du dossier qu'il précise les axes des voies de circulation envisagées et les matériaux dans lesquels elles seront réalisées et contient une visualisation cadastrale sur laquelle les ilots sont représentés. Ce plan matérialise également les espaces végétalisés et contient des visualisations 3D des ilots, permettant d'apprécier l'insertion des ilots, leur composition, leur aspect extérieur, les voies de circulation projetées. Ainsi, alors même que les matériaux et l'emprise prévisionnelle des constructions en cause n'ont pas fait l'objet d'une description littérale, les caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ont été suffisamment précisées.
9. Enfin, le dossier d'enquête publique comprenait une estimation sommaire et globale des dépenses, faisant état d'un coût total du projet de 1 215 500 euros, et ventilait les dépenses selon qu'elles concernent les acquisitions réalisées amiablement, les frais de notaire, les honoraires de négociation, les frais de géomètres, les propriétés à acquérir, les travaux de démolition et de dépollution, les travaux d'aménagement et les coûts de construction de l'espace commun. Ce document évaluait également, à titre indicatif, le coût des travaux à réaliser par les opérateurs privés en vue de construire les logements, à hauteur de 5 274 740 euros. Si la société Laugier Faraday soutient que les dépenses sont nettement sous évaluées, notamment des honoraires liés aux négociations qui ont eu lieu en phase amiable et les frais de notaire, elle n'apporte aucun élément étayé de nature à établir ses allégations.
10. En troisième et dernier lieu, il appartient au juge, lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers, de contrôler successivement qu'elle répond à une finalité d'intérêt général, que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente. Il lui appartient également, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, de s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.
11. En l'espèce, le projet contesté, qui s'inscrit dans les objectifs de favoriser la mixité sociale et multigénérationnelle et de densifier un secteur en vue de limiter l'étalement urbain, consiste à créer quarante-et-un logements, dont dix logements locatifs sociaux adaptés aux personnes âgées, et à la réalisation d'une salle commune. Il ressort des pièces du dossier que la part des logements sociaux dans le parc des logements a diminué ces dernières années, passant de 10,7 % en 2009 à 8,7 % en 2014, alors qu'en 2017, sur les cent-cinq demandes de location de logements sociaux sur la commune, seuls vingt-sept logements ont pu être attribués. La commune de Saint-Jouan-des-Guérets observe un vieillissement de sa population, passée de 0,8 à 1,3 entre les recensements INSEE de 2009 à 2014, sans pour autant disposer de l'offre en logements adaptés. Par ailleurs, le projet " Fonds de jardin-Grande Rue " s'inscrit dans l'objectif du plan local de l'habitat de création de 175 logements pour la période 2014-2019, qui n'est pas atteint dès lors que sur cette période seuls 85 logements ont été créés. Les données démographiques mentionnées par la société Laugier Faraday ne sont pas de nature à remettre utilement en cause les objectifs fixés par le plan local de l'habitat à l'échelle du territoire de la commune. Le projet en cause constitue une opération d'ensemble dont l'équilibre technique et financier dépend, à proximité des services et commerces du centre bourg, de la réalisation de la totalité du projet, dont la division en deux tranches de travaux est uniquement liée à la non-disponibilité foncière de la parcelle appartenant à la société requérante pour laquelle l'expropriation est envisagée, cette parcelle étant la seule du périmètre de 6 310 m2 pour laquelle une négociation à l'amiable n'a pas abouti. Ainsi, la société Laugier Faraday ne saurait utilement soutenir que la commune dispose d'une autre parcelle à proximité, permettant la réalisation de quinze logements seulement. Enfin, l'expropriation en cause ne concerne pas l'intégralité de la parcelle cadastrée section AL n° 301 mais uniquement 1 000 m² de jardin situés au fond de cette parcelle. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération projetée ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt général qu'elle présente.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Laugier Faraday n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de l'établissement public foncier de Bretagne, qui ne sont pas partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Laugier Faraday demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Laugier Faraday la somme de 1 500 euros à verser à l'établissement public foncier de Bretagne au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Laugier Faraday est rejetée.
Article 2 : La société Laugier Faraday versera à l'établissement public foncier de Bretagne une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Laugier Faraday, à l'établissement public foncier de Bretagne et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine et à la commune de Saint-Jouan des Guérets.
Délibéré après l'audience du 5 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2024.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01990