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19/03/2024 | FRANCE | N°23NT00845

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 1ère chambre, 19 mars 2024, 23NT00845


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Ouest Atlantique Audit (OAA) a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que des majorations correspondantes.

Par un

jugement n° 1805448 du 27 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Ouest Atlantique Audit (OAA) a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que des majorations correspondantes.

Par un jugement n° 1805448 du 27 janvier 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 mars et 8 novembre 2023, l'EURL OAA, représentée par Me Lefeuvre, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qui concerne les pénalités ; c'est à tort que le tribunal n'a pas communiqué à l'administration fiscale le mémoire en réplique qu'elle a déposé le 29 septembre 2021 avant la clôture d'instruction fixé le même jour ;

- c'est à tort que le service, qui supporte en l'espèce la charge de la preuve, a déterminé un montant de rappels de taxe sur la valeur ajoutée collectée par rapprochement entre les encaissements comptabilisés sur ses comptes clients et les montants de recettes figurant sur ses déclarations trimestrielles de chiffre d'affaires, cette méthode ne tenant pas compte de l'existence de flux financiers non commerciaux entre elle-même et sa filiale, la SARL Aequatio ; le service n'a pas déterminé de manière pertinente les montants rappelés au titre des années 2010, 2011 et 2012 ;

- c'est à tort que le service a procédé à une compensation entre les factures impayées adressées à la SARL Aequatio et les sommes inscrites dans sa comptabilité en crédit du compte fournisseur de cette filiale pour en déduire l'existence de montants de taxe collectée non déclarée afférentes aux encaissements ainsi constatés ;

- c'est également à tort que le service a cru identifier un supplément de taxe sur la valeur ajoutée déductible sur ses opérations avec la SARL Aequatio, la compensation entre les créances et les dettes de cette dernière dans ses comptes n'étant pas fondée en l'espèce ;

- c'est à tort que le service a remis en cause la prise en charge des frais kilométriques afférents à l'utilisation par M. A..., son gérant, de ses véhicules personnels pour des déplacements à caractère professionnel ;

- l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré aux impositions litigieuses n'est pas justifiée.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 septembre 2023 et un mémoire enregistré le 27 novembre 2023, ce dernier non communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Penhoat,

- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Ouest Atlantique Audit (OAA), dont le gérant et associé unique est M. A..., exerce une activité d'audit et de commissariat aux comptes. Elle est, en outre, la société-mère de la SARL Aequatio, qui exerce une activité de cabinet d'expert-comptable. L'EURL OAA a fait, d'une part, l'objet d'un contrôle sur pièces portant sur la période correspondant à l'année 2010, à l'issue duquel le service, par proposition de rectification du 19 décembre 2013, a notifié à la société des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2010, assortis de l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue au a de l'article 1729 du code général des impôts. D'autre part, à l'issue d'une vérification de la comptabilité de l'EURL OAA au titre de la période correspondant aux exercices clos en 2011 et 2012, le service a notamment notifié à cette dernière, par une proposition de rectification du 20 mai 2014, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012 ainsi que des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011 et 2012, assortis là encore de la majoration de 40 % pour manquement délibéré. Ces impositions supplémentaires ont été intégralement maintenues en dépit de l'avis très partiellement favorable à la société émis par la commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires le 12 novembre 2015. L'EURL OAA a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2011 et 2012, ainsi que des majorations correspondantes. L'EURL OAA relève appel du jugement du 27 janvier 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

3. L'EURL OAA soutient que le jugement contesté est irrégulier au motif que le tribunal n'a pas communiqué à l'administration fiscale le mémoire en réplique qu'elle avait déposé le 29 septembre 2021, avant la clôture d'instruction fixée le même jour. Toutefois, l'absence de communication d'un mémoire du contribuable à l'administration n'affecte pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à l'égard du contribuable et ne saurait, dès lors, être utilement invoqué par lui. Le moyen ainsi soulevé ne peut dès lors qu'être écarté.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

5. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont répondu de manière suffisante au moyen tiré de ce que l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré aux impositions litigieuses n'était pas justifiée. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé sur ce point.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

6. Aux termes de l'article 1290 du code civil alors en vigueur : " La compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ". Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. - Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / (...) ". Aux termes de l'article 269 du même code dans sa rédaction applicable à la période en litige : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : / a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectué ; / (...) / 2. La taxe est exigible : c) Pour les prestations de services autres que celles visées au b bis, lors de l'encaissement des acomptes, du prix, de la rémunération ou, sur option du redevable, d'après les débits (...) ".

7. La compensation légale doit être invoquée par l'un des débiteurs réciproques pour s'opérer. L'article 1290 du code civil n'autorise pas l'administration à procéder d'elle-même à une compensation entre les dettes et les créances réciproques d'une entreprise à l'égard d'un tiers.

S'agissant de la taxe sur valeur ajoutée collectée :

8. Le service vérificateur a constaté tout d'abord une insuffisance de la taxe sur la valeur ajoutée collectée déclarée, au regard de celle résultant des documents comptables de l'EURL OAA au titre des années 2010 à 2012. Il a également rappelé la taxe sur la valeur collectée non déclarée au motif que dans un contexte de facturations croisées de l'EURL OAA avec la société Aequatio, le compte client débiteur et le compte fournisseur créditeur de cette dernière caractérisaient des opérations assimilables à des paiements dont la taxe sur la valeur ajoutée était exigible à hauteur de 52 923 euros en 2011 et 7 991 euros en 2012.

9. Il résulte de l'instruction que l'EURL OAA a accepté le redressement relatif à l'insuffisance de taxe sur la valeur ajoutée collectée au titre de l'année 2010. Par suite, la société requérante supporte la preuve du caractère exagéré des impositions supplémentaires litigieuses en ce qui concerne la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010 en application de l'article R. 194-1 du livre des procédures fiscales.

10. En premier lieu, pour déterminer le montant des rappels afférents à la taxe sur la valeur ajoutée collectée et non reversée, l'administration s'est fondée sur les documents comptables et a procédé au rapprochement des encaissements inscrits aux comptes clients de l'EURL OAA au titre des trois années 2010, 2011 et 2012 et des montants des recettes déclarées par la société requérante dans le cadre de ses déclarations de chiffre d'affaires CA 3 déposées au titre des mêmes années. Le vérificateur a ainsi mis en évidence l'existence de montants omis de taxe collectée, correspondant d'ailleurs pour l'essentiel aux sommes inscrites au passif du compte de taxe sur la valeur ajoutée de la société pour chacun des exercices correspondants. Contrairement à ce que soutient la société requérante, cette méthode de reconstitution issue des données chiffrées des livres comptables de la société est détaillée encaissement par encaissement et reportée exercice par exercice. Enfin, en faisant état de la nature des liens financiers existant avec la SARL Aequatio, la société requérante ne remet pas davantage en cause la pertinence de cette méthode. Par suite, c'est à juste titre que le service a procédé à ces rappels.

11. En second lieu, il résulte de l'instruction que les honoraires facturés par l'EURL OAA à sa filiale la société Aequatio sont pour l'essentiel demeurés impayés au cours de la période vérifiée. Dans le même temps, les factures émises par la société Aequatio à destination de la société requérante, correspondant à la mise à disposition de personnel, n'ont pas davantage fait l'objet de paiements. Le service en a déduit que la SARL Aequatio a procédé à des avances indirectes en ne réclamant pas à l'EURL OAA le paiement de ses factures et qu'en l'absence de paiement direct par la société Aequatio des honoraires qu'elle a facturés, la société requérante aurait dû procéder à des compensations entre ses dettes figurant au compte fournisseur Aequatio et ses créances figurant au compte client Aequatio. Compte tenu des liens unissant les deux sociétés, qui partagent le même gérant, le service a considéré que la taxe sur la valeur ajoutée correspondant aux honoraires comptabilisés dans les écritures de la société requérante au compte client Aequatio et demeurant impayés au 31 décembre 2012 devait être considérée comme exigible au sens de l'article 269 du code général des impôts dès lors que les sommes correspondantes ont été inscrites dans le compte fournisseur Aequatio. Toutefois, la taxe sur la valeur ajoutée ne pouvant être assise que sur des sommes réellement encaissées et l'administration ne pouvant pas opérer d'elle-même la compensation entre ce compte client débiteur et ce compte fournisseur créditeur, c'est à tort qu'elle a effectué les rappels de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 52 923 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011 et d'un montant de 7 991 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012.

S'agissant de la taxe sur valeur ajoutée déduite :

12. Comme l'ont relevé les premiers juges, l'EURL OAA ne peut utilement contester le bien-fondé du rétablissement, par le service, des montants de taxe sur la valeur ajoutée déductible auxquels elle pouvait prétendre au titre de l'ensemble de la période vérifiée dès lors qu'il a donné lieu à une réduction des impositions supplémentaires mises à sa charge.

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

13. Il convient d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré de ce que c'est à tort que le service a remis en cause la prise en charge des frais kilométriques afférents à l'utilisation par M. A..., son gérant, de ses véhicules personnels pour des déplacements à caractère professionnel, moyen que l'EURL OAA réitère en appel sans apporter d'éléments de fait ou de droit nouveaux.

Sur les pénalités :

14. Aux termes de l'article 1729 code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; (...) ".

15. Pour justifier l'application de la pénalité de 40 %, prévue à l'article 1729 du code général des impôts, aux rehaussements en litige, l'administration fiscale fait état de la profession d'expert-comptable de M. A... et de l'activité de commissariat aux comptes de la société requérante qui était donc particulièrement informée de l'étendue de ses obligations comptables et fiscales et invoque également le caractère répété des manquements constatés tant en matière de taxe sur la valeur ajoutée que de détermination du résultat imposable et le montant des insuffisances relevées. En faisant état de ces éléments, l'administration établit la volonté délibérée de l'EURL OAA d'éluder l'impôt et, par suite, le bien-fondé de la pénalité litigieuse.

16. Il résulte de ce qui précède que l'EURL OAA est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes ne l'a pas déchargée, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée à hauteur de 52 923 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011 et de 7 991 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, pour l'essentiel, dans la présente instance.

DECIDE :

Article 1er : L'EURL OAA est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des exercices clos en 2011 et 2012, à hauteur respectivement des sommes de 52 923 euros et de 7 991 euros, ainsi que des majorations correspondantes.

Article 2 : Le jugement n° 1805448 du 27 janvier 2023 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus

Article 3 : Le surplus de conclusions de la requête de l'EURL OAA est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL OAA et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 23 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Couvert-Castéra, président de la cour,

- M. Geffray président-assesseur,

- M. Penhoat, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 mars 2024.

Le rapporteur

A. PENHOATLe président

O. COUVERT-CASTÉRA

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 23NT008452


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00845
Date de la décision : 19/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. COUVERT-CASTERA
Rapporteur ?: M. Anthony PENHOAT
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : LEFEUVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-19;23nt00845 ?
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