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12/03/2024 | FRANCE | N°22NT03807

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 12 mars 2024, 22NT03807


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. G... I... et Mme B... H... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 9 novembre 2021 par laquelle l'autorité consulaire française à F... (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer un visa d'entrée en France à Mme B... H... et à l'enfant J... au titre du regroupement familial.





Par un jugement n° 2202766 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Na...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G... I... et Mme B... H... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 9 novembre 2021 par laquelle l'autorité consulaire française à F... (République démocratique du Congo) a refusé de délivrer un visa d'entrée en France à Mme B... H... et à l'enfant J... au titre du regroupement familial.

Par un jugement n° 2202766 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 décembre 2022 et 9 janvier 2023, M. G... I... et Mme B... H..., représentés par Me Pronost, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 440 euros TTC sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision consulaire est insuffisamment motivée ;

- l'identité de Mme B... H..., ainsi que son union, sont établis par les pièces produites ;

- dès lors qu'ils ont obtenu un avis favorable au regroupement familial, les visas ne pouvaient être refusés au motif d'un regroupement partiel sauf motif d'ordre public qui n'est pas établi ici ; une de leurs filles est établie en Afrique du Sud où elle est élevée par sa grand-mère ; les conditions matérielles d'accueil du regroupant ne permettent pas l'accueil de trois personnes ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnait les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés et se réfère à ses écritures de première instance.

M. I... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %) par une décision du 23 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Pronost, représentant M. I... et Mme H....

Considérant ce qui suit :

1. M. I..., ressortissant de la République démocratique du Congo né en 1979, a obtenu une autorisation de regroupement familial du préfet de Meurthe-et-Moselle afin d'être rejoint en France par Mme B... H... et le jeune J..., présentés respectivement comme sa conjointe et leur enfant. Par une décision du 9 novembre 2021, l'autorité consulaire française à F..., République démocratique du Congo, a refusé de leur délivrer des visas de long séjour au titre du regroupement familial et la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté leur recours enregistré le 6 décembre 2021 contre cette décision. Par un jugement du 21 octobre 2022, dont M. I... et Mme B... H... relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision de la commission née le 6 février 2022.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L. 311-5 ; / 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 232-4 du même code précise cependant que : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. (...) ".

3. Si les requérants font valoir que la décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France n'est pas motivée, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils auraient demandé à la commission de recours la communication des motifs de sa décision implicite. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision implicite ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort des écritures du ministre de l'intérieur que pour refuser les visas sollicités au titre du regroupement familial, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur la circonstance que les documents produits ne permettent pas d'établir l'identité de Mme B... H... et son mariage avec M. I... et, s'agissant de l'enfant J..., sur le fait que son identité n'est pas davantage établie, sans que les éléments de possession d'état permettent de pallier ces carences. Il est également opposé le fait que la demande de regroupement n'est que partielle eu égard au maintien à l'étranger de la fille ainée du couple.

5. Aux termes des dispositions de l'article L. 434-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 434-2 à L. 434-4. Un regroupement partiel peut toutefois être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. " et aux termes de l'article L. 434-2 du même code : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial / : 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; / 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ".

6. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes de mariage ou de filiation produits.

7. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

En ce qui concerne le motif tenant à l'identité des demandeurs de visa :

8. Afin d'établir son identité Mme B... H... a produit un acte de notoriété supplétif établi le 26 février 2016 sur le fondement des déclarations de deux témoins l'accompagnant, indiquant qu'elle est née à F... le 1er mai 1980 de la relation entre M. C... D... et Mme A... E.... Il y est mentionné qu'aucun acte de naissance n'a été dressé préalablement en raison d'une méconnaissance de la loi nationale. Afin d'établir l'identité de l'enfant J... il a été communiqué un jugement supplétif du 13 février 2016 du Tribunal pour enfants de F... ainsi que l'acte de naissance établi en conséquence le 18 février 2016. L'identité de ces deux personnes est ainsi établie et n'est pas discutée devant la cour.

En ce qui concerne le motif tiré de l'absence de lien marital unissant les requérants :

9. Afin d'établir son union avec M. I..., Mme B... H... a produit une copie d'acte de mariage mentionnant leur union le 20 avril 2006 à F..., célébrée au vu des attestations de célibat et de résidence de chacun d'entre eux. Il est constant que ce mariage est intervenu sans que Mme H... ne produise un acte de naissance, celle-ci expliquant que l'officier d'état-civil s'est contenté de la production de sa carte d'électeur. Cependant, ainsi que l'oppose le ministre, il n'est pas établi que l'intéressée disposait d'une telle carte d'électeur en 2006, alors que Mme H... explique qu'elle n'avait pas d'acte de naissance et qu'elle se borne à affirmer devant la cour qu'afin d'obtenir cette carte d'électeur elle s'est présentée accompagnée de quatre témoins, membres de sa famille et électeurs. La production des cartes congolaises d'électeur de Mme H... établies en 2017 et en 2023 sont à cet égard sans incidence. En conséquence, le motif tiré de l'absence d'authenticité de l'acte de mariage produit est de nature à fonder légalement la décision de refus de visa opposée à Mme H.... Par ailleurs les quelques éléments de possession d'état produits, comprenant quelques photographies et la preuve de transferts d'argent de M. I... à Mme H... à compter de 2013, ne sont pas de nature à établir le lien matrimonial allégué. Par suite, le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions citées au point 5 doit être écarté.

En ce qui concerne le motif tiré de l'existence d'une situation de regroupement partiel :

10. Il est constant qu'aucune demande de visa n'a été présentée pour l'enfant Miradi I... présentée comme la fille ainée du couple née en 2009 et résidant en Afrique du Sud aux côtés de sa grand-mère depuis 2017 en raison d'une maladie l'affectant. Toutefois cette circonstance n'est pas au nombre des motifs d'ordre public qui peuvent, seuls, justifier légalement une décision de rejet de visa au motif de l'intérêt supérieur de cet enfant à bénéficier de la mesure de regroupement, lorsque, comme en l'espèce, le regroupement familial a été autorisé antérieurement par un préfet. Par suite, ce motif n'est pas de nature à fonder légalement les décisions contestées.

En ce qui concerne l'application de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant :

11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...) " et il résulte de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant du 26 janvier 1990 que : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

12. Il résulte de ce qui précède que si l'enfant J... né en 2010 a droit au bénéfice d'un visa au titre du regroupement familial, sa mère, Mme H..., n'est pas éligible à une telle mesure en l'absence de lien matrimonial l'unissant à M. I.... Cette circonstance n'est pas de nature à établir une méconnaissance des stipulations précitées alors que la situation de séparation de l'enfant à l'égard de l'un de ses parents est antérieure à la décision contestée et qu'elle résulte d'un choix de ses parents. Dans ces conditions, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de la situation des intéressés et de la méconnaissance des stipulations citée au point précédent doivent être écartés.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. I... et Mme H... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande uniquement en tant qu'elle concerne l'enfant J....

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

14. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".

15. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant J.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

16. M. I... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25 %). Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 500 euros hors taxe à Me Pronost dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2202766 du 21 octobre 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle concerne l'enfant J....

Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France née le 6 février 2022 est annulée en ce qu'elle concerne l'enfant J....

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à l'enfant J... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Pronost, avocate des requérants, la somme de 500 euros hors taxe dans les conditions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. I..., à Mme B... H... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03807


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03807
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : PRONOST

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;22nt03807 ?
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