Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la même autorité l'a assigné à résidence.
Par un jugement n° 2305014 du 20 septembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Le Strat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 20 septembre 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 septembre 2023 portant transfert aux autorités croates ;
2°) d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2023 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant transfert aux autorités croates ;
3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros sur les fondements des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision contestée méconnaît les articles 22, 25 et 26 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et méconnaît les articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 10 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013.
La requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chollet ;
- et les observations Me Niguès, substituant Me Le Strat, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant russe né le 22 juillet 1988 à Nojay-Urt (Russie) déclare être entré en France le 25 juin 2023. Il a déposé auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine une demande d'asile qui a été enregistrée le 12 juillet 2023. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait sollicité préalablement l'asile en Croatie. Saisies par les autorités françaises le 17 juillet 2023, les autorités croates ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 31 juillet 2023. M. B... relève appel du jugement du 20 septembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 septembre 2023 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités croates, responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; / (...) ". Aux termes de l'article 20 du même règlement : " (...) / 5. L'État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu (...) de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l'État membre responsable. Cette obligation cesse lorsque l'État membre auquel il est demandé d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable peut établir que le demandeur a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d'au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d'un autre État membre. / (...) ".
3. Il est constant que la demande de reprise en charge de M. B..., qui en outre a reconnu lors de son entretien du 12 juillet 2023 avoir laissé ses empreintes en Croatie, a été présentée auprès des autorités croates au titre du b) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, imposant la reprise en charge du demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre, et a été acceptée explicitement par ces autorités, le 31 juillet 2023, sur le fondement du 5 de l'article 20 de ce règlement. Par suite, celui-ci n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté, qui constate qu'il a déposé une demande d'asile en Croatie et que ce pays a explicitement accepté de le reprendre en charge, est dénué de base légale et méconnaît les articles 22 et 25 du règlement du 26 juin 2013. Le requérant ne peut utilement se prévaloir du paragraphe 1 de l'article 26 du même règlement qui ne concerne que les personnes visées à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d) de ce règlement.
4. En deuxième lieu, aux termes du 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.
6. Le requérant fait tout d'abord état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Croatie et évoque un risque de renvoi par ricochet dans son pays d'origine en cas de transfert. Toutefois, les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Croatie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si M. B... soutient qu'il aurait été maltraité en Croatie, retenu pendant 3 heures par des policiers dans une cellule surpeuplée et vétuste sans accès à la nourriture et à l'eau puis envoyé dans un camp pour demandeurs d'asile où il n'a pu finalement accéder et qu'il a été contraint de dormir dans une gare, la production de rapports d'organisations internationales et d'articles de presse qui font état de considérations d'ordre général sur la Croatie ne permet pas de justifier que l'ampleur de ces pratiques les ferait relever de défaillances systémiques. La circonstance que les autorités croates ont accepté de reprendre en charge M. B... sur le fondement du 5 de l'article 20 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 203 ne saurait révéler que ces autorités ne procéderont pas à l'examen de sa demande d'asile alors qu'elles se sont déclarées explicitement responsables de l'examen de celle-ci. En tout état de cause, il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant ne disposerait pas de voies de recours effectives contre un éloignement de Croatie et que ce pays serait susceptible d'exécuter une mesure de renvoi sans évaluer préalablement les risques auxquels il serait exposé dans son pays d'origine. Dans ces conditions, les éléments au dossier ne permettent pas de caractériser des raisons sérieuses de croire qu'il existe en Croatie des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, qui imposaient au préfet de s'assurer auprès des autorités croates des conditions de traitement de la demande d'asile de l'intéressé, ni qu'il y serait exposé au risque de subir des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
7. En outre, M. B... ne peut utilement soutenir qu'il est d'origine tchéchène, faire état de menaces graves dans son pays du fait de la mobilisation russe actée dans le cadre de la guerre contre l'Ukraine pour tous les ressortissants russes et se prévaloir d'une convocation pour son enrôlement et pour comparaître devant la justice de son pays, dès lors que l'arrêté contesté ne constitue pas une mesure d'éloignement vers son pays.
8. Dans ces conditions, le requérant n'est fondé à soutenir ni que la décision de transfert méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ni qu'elle méconnaît le 2 de l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, ni que le préfet d'Ille-et-Vilaine, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de ses décisions sur sa situation personnelle.
9. En dernier lieu, M. B... fait état de la présence en France de ses parents et de ses deux frères, qui ont tous obtenu le statut de réfugié entre 2015 et 2018 et l'aident dans ses démarches administratives. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas à démontrer que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, eu égard à son entrée récente en France, alors que ces personnes ne constituent au demeurant pas un membre de la famille du demandeur d'asile au sens des dispositions de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 10 du règlement du 26 juin 2013 doivent donc être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B..., à Me Le Strat et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.
Délibéré après l'audience du 13 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2024.
La rapporteure,
L. CHOLLET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03471