Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour avant cassation :
La société par actions simplifiée (SAS) Immo Invest a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 17 août 2018 par lequel le maire de Saint-Pair-sur-Mer a exercé, au nom de la commune, le droit de préemption urbain sur des parcelles situées 213-215, route de Lézeaux.
Par un jugement n° 1802219 du 4 mars 2020, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 4 mai 2020 et le 17 mai 2021, la société Immo Invest, représentée par son représentant légal et par Me Roumens, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 4 mars 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du maire de Saint-Pair-sur-Mer du 17 août 2018 exerçant le droit de préemption urbain ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Pair-sur-Mer la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le maire, signataire de l'arrêté du 17 août 2018, ne disposait pas d'une délégation de signature régulière ;
- la décision contestée est illégale car prise sur la base d'une délibération du 1er juillet 2017 elle-même illégale car prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ;
- elle est illégale du fait du défaut de caractère exécutoire de la délibération ayant institué le droit de préemption pour défaut d'affichage de la délibération en mairie ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dès lors que la commune de Saint-Pair-sur-Mer ne démontre pas l'existence d'un projet réel à la date d'exercice du droit de préemption et que, eu égard au coût total de l'opération, réhabilitation incluse, la mise en œuvre du droit de préemption ne répond pas à un intérêt général suffisant ;
- sa requête est recevable car à la date d'introduction de la demande de première instance le président de la société était M. B... A....
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 septembre 2020, la commune de Saint-Pair-sur-Mer, représentée par Me Vendé, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire au non-lieu à statuer, et à ce que soit mise à la charge de la SAS Immo Invest la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable pour défaut de capacité à agir dès lors que le président de la SAS Immo Invest n'a pas donné instruction au conseil de la société de former appel ;
- les moyens soulevés par la SAS Immo Invest ne sont pas fondés.
Par un arrêt n° 20NT01453 du 11 juin 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la société Immo Invest contre ce jugement.
Par une décision n° 455418 du 21 septembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 11 juin 2021 et a renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 22NT03210.
Procédure devant la cour après cassation :
Par des mémoires enregistrés les 24 novembre 2022 et 29 août 2023, la commune de Saint-Pair-sur-Mer, représentée par Me Vendé, maintient ses conclusions tendant au rejet de la requête et ses conclusions fondées sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et elle maintient que les moyens soulevés par la SAS Immo Invest ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 30 mars et 26 septembre 2023, la société Immo Invest, représentée par Me Roumens, maintient ses conclusions à fin d'annulation et ses moyens et porte sa demande au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative à la somme de 6 000 euros.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteur public,
- et les observations de Me Kemesso, substituant Me Roumens, pour la société Immo Invest et de Me Vendé pour la commune de Saint-Pair-Sur-Mer.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 17 août 2018, le maire de la commune de Saint-Pair-sur-Mer a exercé le droit de préemption urbain de la commune sur diverses parcelles appartenant à l'association des Amis du Carmel, d'une superficie totale de 30 012 m2 comprenant notamment un cloître et une chapelle. La société Immo Invest, acquéreur évincé, a demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Caen, qui a rejeté sa demande par un jugement du 4 mars 2020. Par un arrêt du 11 juin 2021 la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel comme irrecevable. La société a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par une décision du 21 septembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 11 juin 2021 et a renvoyé l'affaire devant la cour.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, le moyen tiré de ce que le maire, signataire de l'arrêté du 17 août 2018, ne disposait pas d'une délégation de signature régulière, moyen que la société Immo Invest reprend en appel sans apporter d'éléments nouveaux.
En ce qui concerne la légalité interne :
S'agissant du moyen tiré du défaut de base légale de la décision de préemption attaquée en raison de l'absence de caractère exécutoire de la délibération du 4 septembre 2007 instituant un droit de préemption urbain :
3. Aux termes de l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme : " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département. / Les effets juridiques attachés à la délibération mentionnée au premier alinéa ont pour point de départ l'exécution de l'ensemble des formalités de publicité mentionnées audit alinéa. Pour l'application du présent alinéa, la date à prendre en considération pour l'affichage en mairie est celle du premier jour où il est effectué ". Les obligations prévues à cet article constituent des formalités nécessaires à l'entrée en vigueur des actes instituant le droit de préemption urbain.
4. Il ressort des pièces du dossier que la délibération du 4 septembre 2007 instituant un droit de préemption urbain dans les zones urbaines et d'urbanisation future du plan local d'urbanisme de Saint-Pair-sur-Mer a été mentionnée dans les journaux " Ouest France " et " la Manche libre " des 19 et 22 septembre 2007. Cette délibération précise que " la présente délibération fera l'objet d'un affichage en mairie durant un mois ". L'ancienne directrice générale des services de la commune, en fonctions à l'époque de la délibération en cause, a attesté sur l'honneur que la délibération du 4 septembre 2007 a été affichée en mairie. La commune fait valoir sans être contredite que cet affichage a eu lieu après le retour de la délibération de préfecture, soit à la mi-septembre 2007. La requérante, qui n'apporte aucun commencement de preuve contraire, n'est dès lors pas fondée à soutenir que la délibération du 4 septembre 2007 n'avait pas été affichée en mairie. Par conséquent, cette délibération instituant le droit de préemption ayant fait l'objet des publications requises, elle présentait un caractère exécutoire lorsqu'a été adoptée la décision attaquée du 17 août 2018, de sorte que doit être écarté le moyen tiré du défaut de base légale de cette décision.
S'agissant du moyen tiré de l'exception d'illégalité de la délibération du 1er juillet 2017 déléguant au maire le droit de préemption urbain :
5. Aux termes de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. / (...) ".
6. La commune de Saint-Pair-sur-Mer a produit l'ordre du jour de la séance du conseil municipal et un document sous l'intitulé " note de synthèse " de cette séance, se présentant comme un avant-projet de délibération et comportant, pour chacun des points inscrits à l'ordre du jour, dont les délégations du conseil municipal au maire, un exposé du maire résumant l'objet, les motifs et le cadre juridique de la délibération soumise au conseil municipal. Ce document, dont la requérante ne conteste l'envoi effectif aux conseillers municipaux par aucun élément suffisamment étayé, alors que la commune produit, quant à elle, des attestations de conseillers municipaux indiquant l'avoir reçu, doit être regardé comme une note explicative, jointe aux convocations. Par conséquent, le moyen tiré de ce que la délégation du droit de préemption au maire serait irrégulière comme décidée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales doit être écarté.
S'agissant du moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme :
7. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) ". Aux termes de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, pour exercer légalement ce droit, les collectivités titulaires du droit de préemption urbain doivent, d'une part, justifier, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. La mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
8. En premier lieu, l'arrêté du 17 août 2018 mentionne que la préemption, par la commune, de ce bien immobilier, permettra de répondre aux objectifs d'aménagement visés par le projet d'aménagement et de développement durable (PADD) du plan local d'urbanisme de Saint-Pair-sur-Mer et la mise en œuvre de la délibération du 19 janvier 2000 relative à la création d'un complexe culturel, afin de poursuivre l'urbanisation du secteur du Carmel et notamment de répondre aux besoins en logements, de promouvoir la mixité sociale, de développer l'activité culturelle de la ville. Il précise également que la réalisation du complexe culturel résultera de la réhabilitation du bâtiment principal, à savoir de la chapelle et du cloître, et que les terrains à bâtir seront affectés à la création d'un nouveau quartier résidentiel qui sera constitué de logements d'habitation axés sur la mixité sociale.
9. D'une part, s'agissant du projet de complexe culturel, il ressort des pièces du dossier qu'après la délibération du 19 janvier 2000, la commune a fait élaborer un avant-projet architectural courant 2002. La commune fait valoir sans être contredite sur ce point que le projet s'est ensuite heurté à des difficultés financières et politiques. Il a été relancé en 2016 en étant évoqué lors d'une visite du sous-préfet et une étude de projet a été réalisée en 2017. Enfin, une étude de faisabilité et de programmation a été établie par un architecte, le 27 juillet 2018, pour l'implantation du projet sur les parcelles en litige. La seule circonstance que l'ancienne gare ait été réhabilitée en médiathèque, dans le courant de l'année 2001, ne saurait priver le projet concerné de sa réalité, dès lors que les deux projets ne sont pas équivalents et que l'élaboration du projet de complexe culturel s'est d'ailleurs poursuivie après la réalisation de la médiathèque.
10. D'autre part, s'agissant du projet de nouveau quartier résidentiel, le PADD élaboré en 2006 prévoit : " l'urbanisation des terrains au Sud du champ de courses, entre le Carmel et la nouvelle voie d'accès à St -Pair Centre depuis le Croissant. Ce secteur permettra d'accueillir de nouveaux logements sociaux et un lotissement communal favorisant la mixité depuis toujours recherchée par les élus St -Pairais. (...) Les extensions de l'urbanisation dans le secteur du Carmel permettront également d'améliorer la circulation (...) ". La commune fait valoir sans être contredite que les opérations d'urbanisation dans les ZAC du secteur des Ardillers arrivent à leur terme à la date de l'arrêté litigieux puisque la plupart des lots sont vendus et que, face à la demande, l'objectif d'un nouveau quartier résidentiel est pertinent.
11. Il résulte de ces éléments que la commune de Saint-Pair-sur-Mer justifiait de la réalité d'un projet d'aménagement à la date de la décision de préemption litigieuse.
12. En second lieu, la seule circonstance que le maire a préempté le bien au prix de 1 900 000 euros alors que le service des domaines l'avait évalué à 1 700 000 euros ne suffit pas à établir que le coût d'acquisition serait excessif et, contrairement à ce que soutient la requérante, cet écart n'avait pas à faire l'objet d'une motivation spécifique. Si la société Immo Invest mentionne un coût de réhabilitation du couvent et du cloître de l'ordre de cinq millions d'euros, ce chiffre n'est pas établi et il ne ressort pas des pièces du dossier que ce projet ne pourrait pas être mené par la commune au regard de sa situation financière, notamment de sa capacité d'emprunt et des ressources qu'elle pourrait retirer de la revente des terrains afin d'y construire des habitations. Ainsi, au vu de la réalité et des conditions de réalisation du projet d'aménagement de la commune, le moyen tiré de ce que la mise en œuvre du droit de préemption ne répond pas à un intérêt général suffisant doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par la commune, que la société Immo Invest n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Pair-sur-Mer, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée à ce titre par la société Immo Invest. Dans les circonstances de l'espèce, il y lieu de mettre à la charge de cette dernière, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à la commune de Saint-Pair-sur-Mer.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Immo Invest est rejetée.
Article 2 : La société Immo Invest versera à la commune de Saint-Pair-sur-Mer la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Immo Invest et à la commune de Saint-Pair-sur-Mer.
Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président-assesseur,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2024.
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La rapporteure,
P. PICQUET
Le président,
L. LAINÉ
Le greffier,
C. WOLF
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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