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16/02/2024 | FRANCE | N°22NT02587

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 16 février 2024, 22NT02587


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 ont demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, de condamner l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 586 536 euros, 586 592 euros et 593 364 euros en réparation de leurs préjudices résultant de l'absence de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010 à la Commission européenne, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Commission européenne sur le régime d'ai

de résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010, en tout état de cause, d'enjoindre à l'Etat de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 ont demandé au tribunal administratif de Rennes, à titre principal, de condamner l'Etat à leur verser respectivement les sommes de 586 536 euros, 586 592 euros et 593 364 euros en réparation de leurs préjudices résultant de l'absence de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010 à la Commission européenne, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision de la Commission européenne sur le régime d'aide résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010, en tout état de cause, d'enjoindre à l'Etat de notifier à la Commission européenne le régime de rachat de l'électricité produite à partir d'énergies renouvelables résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Par un jugement nos 2005707 et 2005834 du 9 juin 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 août 2022 et 11 septembre 2023, les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56, représentées par Mes Manna et Guegan, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 9 juin 2022 ;

2°) de faire droit à leur demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas été signé ;

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas statué sur ses conclusions présentées à titre subsidiaire tendant au sursis à statuer ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat doit être engagée en raison de l'absence de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010 à la Commission européenne qui est à l'origine d'une perte de chance d'être indemnisé de la perte de leur marge nette devant le juge judiciaire ;

- il en résulte les préjudices suivants : 586 536 euros au titre de l'impossibilité de dégager une marge durant 20 ans générée par l'exploitation de la centrale pour la société Sun West, 586 592 euros au même titre pour la société JB Solar, et 593 364 euros au même titre pour la société Azimut 56.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mai 2023, la ministre de la transition énergétique demande à la cour de rejeter la requête.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas irrégulier ;

- la requête vise à obtenir réparation des préjudices nés de l'absence de perception d'une aide entachée d'illégalité et il n'y a donc aucun préjudice indemnisable ;

- le tribunal n'avait pas à saisir la Commission européenne ;

- en tout état de cause, aucun lien de causalité direct entre la faute de l'Etat et le préjudice allégué n'est établi ;

- une déclaration de compatibilité n'aurait en tout état de cause pas pour conséquence de mettre fin à l'illégalité des aides déjà versées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ;

- le décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;

- le décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 ;

- le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ;

- l'arrêté du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;

- l'arrêté du 4 mars 2011 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret

n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 ;

- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 5 octobre 2006, Transalpine Ölleitung in Österreich (aff. C-368/04) ;

- l'ordonnance de la Cour de justice de l'Union européenne du 15 mars 2017,

Société Enedis (aff. C-515/16) ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- et les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Depuis la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, a été instituée une obligation d'achat de l'électricité renouvelable selon des tarifications incitatives, imposant notamment à la société Electricité de France et aux entreprises locales de distribution de conclure un contrat d'achat d'électricité avec les producteurs d'énergie. Dans ce cadre, un arrêté du 12 janvier 2010 fixait les conditions d'achat de l'électricité produite utilisant l'énergie radiative du soleil. Néanmoins, le décret du 9 décembre 2010 a notamment suspendu pour trois mois l'obligation d'achat de l'électricité des producteurs qui n'avaient pas accepté la proposition technique et financière (PTF) du gestionnaire de réseau avant le 2 décembre 2010. Par ailleurs, un arrêté du 4 mars 2011 a fixé de nouveaux tarifs d'achat de l'électricité photovoltaïque, moins incitatifs. C'est dans ce contexte que les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 ont entrepris la construction d'une centrale photovoltaïque et ont mandaté la société One Network Energie pour se charger des démarches auprès d'ERDF, devenu Enedis. Les travaux de la centrale se sont achevés en septembre 2010 mais la société One Network Energie n'a pu envoyer la PTF signée avant le 2 décembre 2010 en raison du non-respect par ERDF du délai de trois mois pour instruire la demande de raccordement. Ces trois sociétés ont alors saisi de requêtes indemnitaires le juge judiciaire, qui a retenu la carence fautive d'Enedis et l'a condamnée à les indemniser des frais engagés. L'indemnisation de leur perte de marge a par ailleurs été rejetée au motif qu'il ne s'agit pas d'un préjudice indemnisable, dès lors qu'il se fondait sur un régime d'aide d'État illégal faute pour l'État d'avoir notifié à la Commission européenne, préalablement à leur mise en œuvre, les arrêtés tarifaires du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010. C'est ainsi que les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 ont sollicité auprès des services du Premier ministre l'indemnisation de leurs préjudices par un courrier du 27 juillet 2020. Ces demandes ont fait l'objet de rejets implicites. Les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à leur verser des sommes respectives de 586 536 euros, 586 592 euros, et 593 364 euros en réparation de leurs préjudices. Par un jugement du 9 juin 2022, le tribunal a rejeté leur demande. Les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 font appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, la minute du jugement attaqué comporte la signature du président de la formation de jugement, du rapporteur et du greffier d'audience. Par suite, elle est régulière au regard des dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative qui prévoit que la minute comporte ces trois signatures en cas de formation collégiale. Dès lors, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le jugement est entaché d'une irrégularité sur ce point.

3. En second lieu, les requérantes sollicitaient du tribunal administratif, à titre principal, la condamnation de l'Etat français à les indemniser de leur préjudice subi et, à titre subsidiaire, que le tribunal sursoit à statuer sur leurs conclusions indemnitaires dans l'attente d'une décision de compatibilité de la Commission européenne sur le régime d'aide tel qu'exécuté par l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010. Le tribunal administratif, qui dirige seul l'instruction, n'avait pas l'obligation de se prononcer sur ces conclusions à fin de sursis à statuer. Par conséquent, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas statué sur les conclusions présentées à titre subsidiaire tendant au sursis à statuer doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. D'une part, l'article 10 de la loi visée ci-dessus du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, ultérieurement codifié à l'article L. 314-1 du code de l'énergie, a institué à la charge d'EDF et des entreprises locales de distribution une obligation d'achat de l'électricité produite par des installations d'une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts, utilisant des énergies renouvelables, dont l'énergie radiative du soleil au moyen de panneaux photovoltaïques, avec des modalités de tarification incitatives fixées réglementairement, le surcoût en découlant étant financé par la contribution au service public de l'électricité qui est acquittée par les consommateurs. Un arrêté du 10 juillet 2006 avait fixé un coût de rachat à un tarif dit S06 de 0,602 euro par kWh vendu, soit largement au-dessus du prix du marché, applicable selon la date de réception de la demande complète de contrat de rachat d'électricité en application d'un décret n° 2001-410 du 10 mai 2001, et garanti pendant toute la durée du contrat de rachat d'une durée habituelle de vingt ans après raccordement effectif au réseau public. Toutefois, par deux arrêtés du 12 janvier 2010, a été abrogé l'arrêté précité du 10 juillet 2006 et ont été prises de nouvelles conditions tarifaires moins avantageuses, avec un tarif dit S10 compris entre 0,314 euros et 0,3768 euros / kWh. Enfin, un décret visé ci-dessus du 9 décembre 2010 dit " moratoire " a suspendu à la fois l'obligation d'achat et le dépôt des demandes de raccordement au réseau électrique et obligé les pétitionnaires n'ayant pas conclu de contrat avec ERDF à déposer une nouvelle demande de raccordement pour bénéficier d'un contrat d'achat, entrainant l'application de tarifs encore moins avantageux fixés notamment par des arrêtés des 16 mars et 31 août 2010.

5. D'autre part, aux termes de l'article 107 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : " Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ". L'article 108 du même traité prévoit dans son paragraphe 3 que : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. ". Cet article impose aux autorités des Etats membres une obligation de notification de tout régime d'aide d'Etat à la Commission européenne, dont la méconnaissance affecte la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d'aides, ainsi que l'intervention ultérieure d'une décision finale de la Commission, déclarant ces mesures compatibles avec le Marché commun, qui n'a pas pour conséquence de régulariser a posteriori les actes invalides. Il n'est pas contesté que le régime mis en place par la loi du 10 février 2000 accordant aux installations de production d'énergie renouvelable un tarif supérieur au prix du marché constitue une aide d'Etat et que l'Etat français n'a pas respecté son obligation de notification préalable à la Commission européenne, entachant ainsi d'illégalité les divers actes réglementaires pris pour son exécution, et notamment les arrêtés fixant les tarifs des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010.

6. En premier lieu, dès lors qu'une illégalité est fautive, elle est comme telle et quelle qu'en soit la nature susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat si elle est à l'origine des préjudices subis. Les sociétés requérantes soutiennent que le défaut de notification du régime d'aide décrit au point précédent, emportant l'illégalité des actes règlementaires pris pour sa mise en œuvre, les a privées d'une chance sérieuse d'être indemnisées par le juge judiciaire à hauteur des bénéfices qui auraient pu être perçus sur toute la durée du contrat d'achat d'électricité passé avec EDF, en bénéficiant des tarifs préférentiels issus de l'arrêté du 12 janvier 2010. Toutefois, il résulte de l'instruction que si les sociétés requérantes n'ont pu mettre en œuvre leur projet, c'est en raison des agissements de la société ERDF, devenue ENEDIS, qui ne leur a pas renvoyé, en 2010, une proposition technique et financière (PTF) dans les délais impartis, ce qui les a empêchées de renvoyer cette PTF avant la date butoir du 2 décembre 2010. Dans ces conditions, les sociétés requérantes n'établissent pas l'existence d'un lien de causalité direct entre l'illégalité fautive commise par l'Etat et les préjudices allégués.

7. En second lieu, même si les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 avaient pu bénéficier des tarifs préférentiels issus de l'arrêté du 12 janvier 2010, l'illégalité entachant ce texte réglementaire, en raison de la violation par l'Etat français de son obligation de notification préalable du dispositif d'aide d'Etat à la Commission européenne, ne permettait pas, en tout état de cause, de regarder l'absence de perception de telles aides illégales comme un préjudice indemnisable dès lors que l'Etat était tenu de ne pas les verser avant que la Commission statue sur la compatibilité de ce régime d'aide au regard des règles du marché commun. A supposer même que la Commission déclare ultérieurement une aide non notifiée compatible avec le marché intérieur, une telle décision ne pourrait avoir d'effets que pour le futur, de sorte que les aides déjà octroyées ne sauraient être régularisées a posteriori et que le préjudice allégué ne pourrait acquérir a posteriori un caractère indemnisable. Dès lors, les sociétés requérantes ne sauraient se prévaloir d'une quelconque perte de chance d'être indemnisées par le juge judiciaire de leur perte de marge nette calculée sur les tarifs préférentiels.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, que les sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction et celles relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête des sociétés Sun West, JB solar et Azimut 56 est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Sun West, JB Solar et Azimut 56 et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée, pour information, à la société Enedis et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président-assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2024.

La rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLFLa rapporteure,

P. PICQUET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT02587 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02587
Date de la décision : 16/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : GUEGAN

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-16;22nt02587 ?
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