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13/02/2024 | FRANCE | N°22NT03536

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 13 février 2024, 22NT03536


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Groupe Conseil Eurocan Incorporated a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des années 2013 à 2015, des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période correspondant à ces trois années, ainsi que des pénalités correspondantes.



Par un jugement n° 1900588 du 28

septembre 2022 le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes.



Procédure devant la cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Groupe Conseil Eurocan Incorporated a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et des retenues à la source qui lui ont été réclamées au titre des années 2013 à 2015, des droits de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période correspondant à ces trois années, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1900588 du 28 septembre 2022 le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 15 novembre 2022 et 14 septembre 2023, la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated, représentée par Me Bouclier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'est pas imposable en France en vertu de l'article 209-I du code général des impôts car elle ne dispose pas d'un établissement stable en France au sens de l'entente fiscale entre la France et le Québec du 1er septembre 1987 ;

- le service de la Direction départementale des Finances publiques des Côtes d'Armor n'était pas territorialement compétent pour procéder à la vérification de comptabilité de la société ;

- M. C... A..., placé sous tutelle par un jugement du tribunal d'instance de Bordeaux du 22 juin 2017, ne devait pas être destinataire de la proposition de rectification du 25 octobre 2017.

Par un mémoire enregistré le 12 mai 2023 le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- l'entente fiscale signée entre la France et le Québec le 1er septembre 1987 et notamment son article 7 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Penhoat,

- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Groupe Conseil Eurocan Incorporated, qui est une société de droit québécois, a fait l'objet, d'une vérification de comptabilité qui a porté sur les exercices clos au titre des années 2013 à 2015. A l'issue de ce contrôle, le vérificateur a estimé que la société disposait en France d'un établissement stable et notifié, selon la procédure de taxation d'office, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 21 janvier 2013 au 31 décembre 2015 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de retenue à la source au titre des exercices clos en 2013, 2014 et 2015. La société Groupe Conseil Eurocan Incorporated fait appel du jugement du 28 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des pénalités correspondantes.

En ce qui concerne l'assujettissement en France à l'impôt sur les sociétés et à la retenue à la source :

2. Aux termes du I de l'article 209 du code général des impôts : " (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions ".

3. Aux termes de l'article 1er de l'Entente fiscale entre la France et la province du Québec du 1er septembre 1987 : " La présente Entente s'applique aux personnes qui sont des résidents d'une Partie contractante ou de chacun des deux Parties. ". Aux termes de l'article 5 de cette même Entente : " 1. Au sens de la présente Entente, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. / 2. L'expression " établissement stable " comprend notamment : a) un siège de direction ; b) Une succursale ; c) Un bureau ; / (...) 6. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1, 2 et 3, lorsqu'une personne - autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant auquel s'applique le paragraphe 7 - agit pour le compte d'une entreprise et dispose dans une Partie contractante de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise, cette entreprise est considérée comme ayant un établissement stable dans cette Partie pour toutes les activités que cette personne exerce pour l'entreprise, à moins que les activités de cette personne ne soient limitées à celles qui sont mentionnées au paragraphe 5 et qui, si elles étaient exercées par l'intermédiaire d'une installation fixe d'affaires, ne permettraient pas de considérer cette installation comme un établissement stable selon les dispositions de ce paragraphe (...) ". Aux termes de l'article 7 de cette Entente : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'une Partie contractante ne sont imposables que dans cette Partie, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Partie contractante par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce ou a exercé son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Partie contractante mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable (...) ".

4. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

5. Aux termes de l'article 115 quinquies du code général des impôts : " I. Les bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères sont réputés distribués, au titre de chaque exercice, à des associés n'ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France. / Les bénéfices visés au premier alinéa s'entendent du montant total des résultats, imposables ou exonérés, après déduction de l'impôt sur les sociétés (...) ". Aux termes de l'article 119 bis du même code : " (...) / 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Aux termes de son article 187 : " Sous réserve des dispositions du 2, le taux de la retenue à la source prévue à l'article 119 bis est fixé à : / (...) / 30 % pour tous les autres revenus ". Aux termes de l'article 10 de l'Entente fiscale entre la France et la province du Québec : " (...) 7. Aucune disposition de la présente Entente n'empêche la France de percevoir, sur les revenus imputables à un établissement stable, situé en France, d'une société qui est un résident du Québec, un impôt qui s'ajoute aux impôts applicables à ces revenus conformément aux autres dispositions de l'Entente, pourvu que l'impôt additionnel ainsi établi n'excède pas 5 % du montant de ces revenus. Cet impôt additionnel s'applique également aux bénéfices ou gains tirés de l'aliénation de biens immobiliers situés en France par une société qui est un résident du Québec même si cette société n'a pas d'établissement stable en France. Au sens des présentes dispositions, le terme " revenus " désigne les bénéfices ou gains, après déduction des impôts, autres que l'impôt additionnel visé au présent paragraphe, prélevés par la France sur ces bénéfices ou gains. ".

6. Il résulte de l'instruction que la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated est une société de droit québécois dont le siège social est situé à Montréal au Québec et qui exerce une activité de conseil en systèmes et logiciels informatiques. Elle a été constituée par M. C... A..., résident français, qui en est l'unique associé et le dirigeant. Pour considérer que la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated disposait d'un établissement stable en France entre 2013 et 2015, l'administration a relevé que le 26 mars 2003 la société requérante a déclaré et fait immatriculer au registre du commerce et des sociétés du greffe du tribunal de grande instance de Dinan un établissement situé à Lanrelas dans les Côtes-d'Armor et a demandé expressément son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée sans toutefois déposer ultérieurement de déclaration de résultat ou de chiffre d'affaires. A la suite de l'exercice de son droit de communication auprès de neuf clients de la société requérante, l'administration relève que les factures qui leur avaient été délivrées étaient établies par M. A..., à l'entête de " Eurocan, Le bourg 22250 Lanrelas ", indiquaient des numéros français de téléphone et de fax, précisaient pouvoir être réglées par virement sur un compte bancaire ouvert auprès d'une agence de la BNP située à Annemasse et faisaient application de la taxe sur la valeur ajoutée au taux alors en vigueur. Le droit de communication exercé auprès de cette banque a également permis de constater que les prestations facturées étaient encaissées sur ce compte, dont M. A... détenait la signature. L'administration fait également valoir que M. A... résidait en France toute l'année travaillait seul pour le compte de la société requérante et assurait le suivi des rendez-vous pour effectuer auprès de potentiels clients la présentation des logiciels. La société requérante persiste à soutenir qu'elle n'aurait pas eu la disposition de l'adresse de Lanrelas au motif qu'elle constituait le domicile de l'épouse de M. A..., dont celui-ci serait séparé depuis 2010. Toutefois, il résulte de l'instruction, d'une part, que les intéressés ont déclaré le même foyer fiscal jusqu'à l'imposition à l'impôt sur le revenu de l'année 2015 et ont déclaré être séparés seulement le 11 janvier 2016. Par ailleurs, par acte du 3 décembre 2015, M. A... a acheté le local en cause tout en indiquant que ce dernier et son épouse y résidaient. Enfin, la société requérante ne démontre pas que les prestations litigieuses n'ont pas été réalisées depuis la France en se bornant à faire valoir que son activité est dématérialisée les logiciels commercialisés étant téléchargés par internet depuis le Canada alors que l'administration établit par les éléments mentionnés ci-dessus que la société exerçait bien une activité en France.

7. Il résulte de ce qui précède que l'administration fiscale doit être regardée comme démontrant que la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated a exercé en France, au cours des années en litige, une activité par l'intermédiaire d'un établissement autonome au sens des dispositions du I de l'article 209 du code général des impôts. L'administration établit également, par ces mêmes éléments, que la société a disposé en France d'une installation fixe d'affaires caractérisant un établissement stable au sens des stipulations de l'article 5 de l'Entente fiscale entre la France et la province du Québec à partir duquel la société a exercé ses activités en France, justifiant par l'application combinée de l'article 209 du code général des impôts et des articles 1, 5, 6 et 7 rappelés au point 3 de l'entente fiscale du 1er septembre 1987 entre la France et le Québec son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et à la retenue à la source sur ses bénéfices réalisés en France dont le taux a été limité à 5 % en application de ses stipulations.

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

S'agissant de la compétence territoriale du service vérificateur :

8. Si la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated soutient que le service de la Direction départementale des Finances publiques des Côtes d'Armor n'était pas territorialement compétent pour procéder à la vérification de comptabilité de la société, il y a lieu, par adoption de motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 17 à 20 de leur jugement, d'écarter ce moyen.

S'agissant de la régularité de la notification de la proposition de rectification :

9. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition (...) ".

10. La société Groupe Conseil Eurocan Incorporated soutient que son représentant légal M. C... A..., ne devait pas être destinataire de la proposition de rectification du 25 octobre 2017 dès lors qu'il a été placé sous tutelle par un jugement du tribunal d'instance de Bordeaux du 22 juin 2017. Toutefois, il résulte de l'instruction que ladite proposition de rectification a été adressée à la société Groupe conseil Eurocan Inc à l'adresse de la mandataire choisie par le contribuable pour recevoir l'ensemble des actes de la procédure d'imposition et y répondre soit Mme B... D... B..., compagne de M. A.... Par suite et alors même que M. A... a été placé sous tutelle, la procédure suivie par l'administration n'est pas entachée d'irrégularité. Au surplus, il est constant que la société requérante a répondu à la proposition de rectification dans le délai de 30 jours prévue par les dispositions précitées de l'article R. 57 du livre des procédures fiscales.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés à l'instance doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe Conseil Eurocan Incorporated et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray président-assesseur,

- M. Penhoat, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2024.

Le rapporteur

A. PENHOATLe président

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 22NT035362


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03536
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Anthony PENHOAT
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : BOUCLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;22nt03536 ?
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