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13/02/2024 | FRANCE | N°22NT03124

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 13 février 2024, 22NT03124


Vu la procédure suivante :



Procédure devant la cour :



Par une requête et des mémoires enregistrés les 20 septembre 2022, 22 décembre 2022, 30 mars 2023, 3 mai 2023, 31 mai 2023, 22 juin 2023 et 10 août 2023, la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté n° 1122-22-20-071 du 22 juillet 2022 portant refus de la demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la com

mune de la Ferté-en-Ouche (commune déléguée d'Anceins) ;



2°) de délivrer l'autorisation env...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 20 septembre 2022, 22 décembre 2022, 30 mars 2023, 3 mai 2023, 31 mai 2023, 22 juin 2023 et 10 août 2023, la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté n° 1122-22-20-071 du 22 juillet 2022 portant refus de la demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de la Ferté-en-Ouche (commune déléguée d'Anceins) ;

2°) de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée, assortie le cas échéant de prescriptions particulières, et d'enjoindre au préfet de l'Orne de procéder aux formalités de publicité de l'arrêt à intervenir selon les modalités prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

3°) À titre subsidiaire, d'enjoindre à l'administration de délivrer l'autorisation environnementale, ou à défaut de reprendre l'instruction de la demande correspondante et de se prononcer sur celle-ci, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'association pour la protection du Pays d'Ouche et La SCI Villers Domergue n'ont pas d'intérêt à intervenir ;

- l'arrêté n'est pas suffisamment motivé ;

- sur l'atteinte à la conservation des monuments historiques : le château de Villers-en-Ouche ne sera pas impacté de manière significative par le projet de Bois Seigneur puisque l'ensemble du parc est ceinturé par un bois, empêchant les ouvertures visuelles en direction du projet ; les réserves émises par l'architecte des bâtiments de France dans son avis de janvier 2021 n'étaient pas fondées ; les photomontages produits par la pétitionnaire en réponse aux observations de l'architecte des bâtiments de France montrent l'absence de co-visibilité importante alors que les photomontages et vidéomontages fournis par les intervenantes ne permettent pas d'apprécier correctement l'incidence du projet ;

- sur l'atteinte à la préservation du paysage : s'agissant du site inscrit " les vallées du Guiel et de la Charentonne ", pour chaque vallée, le schéma montre que les éoliennes sont situées à une distance suffisante de la bordure du plateau de sorte qu'il n'y a pas d'effet d'intersection avec la ligne de pente et que le projet est en partie masqué par les masses boisées ; le projet éolien de Bois-Seigneur est situé en dehors du périmètre du site inscrit ; la zone d'implantation du projet ne présente aucun intérêt particulier sur le mitage paysager : le préfet n'identifie pas les autres parcs éoliens avec lesquels le projet risquerait d'aboutir à un mitage alors que le bureau d'études paysagères a estimé que les autres parcs se situent à des distances suffisamment importantes pour que l'enjeu d'encerclement ou de cumul soit faible à nul ; sur l'atteinte au château de Villeron, au château de Resly, à l'église Saint Laurent-du-Tencement, à l'église d'Anceins et à l'église de Notre Dame du Hamel, aucun de ces monuments ne fait l'objet d'une protection particulière et aucune atteinte caractérisée n'est établie ; les photomontages de l'étude paysagère qui présentent des angles de 50° doivent être regardés sur deux pages A3 afin de représenter un panorama de 100° conformément au guide de l'étude d'impact dans sa version publiée au moment de leur réalisation ;

- sur l'atteinte aux chiroptères : après mise en œuvre des mesures d'évitement et de réduction, l'impact résiduel du projet sur les chiroptères est évalué, par le bureau d'études naturalistes, à un niveau faible ; à l'issue des prospections de terrain, le bureau d'études a conclu que " aucune colonie [de chiroptères] n'a été trouvée durant les prospections en milieu bâti et boisé " au sein de la ZIP ; les éoliennes E3 et E4 se situent respectivement à 143 et 160 mètres d'un long chemin enherbé ; l'éolienne E1 sera implantée à 69 mètres de la partie isolée et déconnectée d'une haie arbustive ; les quatre éoliennes sont situées à des distances suffisantes des structures arbustives ; le projet n'emportera aucune incidence négative significative sur les chiroptères, notamment grâce aux mesures de bridage prévues ; s'agissant de la proximité avec une zone Natura 2000, l'étude d'incidence Natura 2000, " indique que le projet n'aura pas d'incidence significative sur l'état de conservation des espèces et habitats d'intérêt communautaire ayant permis de désigner les sites Natura 2000 concernés " ; les écoutes en hauteur ne présentaient pas d'intérêt eu égard à la situation du projet vis-à-vis des lisières boisées, de l'activité chiroptérologique modérée, de la garde au sol des pales et du niveau de bridage proposé ; aucune dérogation au titre des espèces protégées n'était nécessaire ;

- le projet se situe dans une zone potentiellement favorable à l'éolien telle que prévu par la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. ;

- il y a lieu pour la cour de délivrer l'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation du parc éolien de Bois Seigneur et d'enjoindre au préfet de procéder aux formalités de publicité de l'arrêt à intervenir selon les modalités prévues à l'article R. 181-44 du code de l'environnement, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Par un mémoire en intervention enregistré le 8 décembre 2022 et des mémoires enregistrés le 30 janvier 2023, le 3 mai 2023 et le 18 juillet 2023, l'association pour la protection du pays d'Ouche, représentée par Me Monamy, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- elle a intérêt à intervenir ;

- le projet porte atteinte au patrimoine historique constitué par le château de Villers en Ouche ; le projet porte atteinte aux allées du château dès lors qu'il existe une co-visibilité importante ; l'existence d'un rideau végétal constitué de vieux arbres ne constitue pas une protection suffisante contre le risque de co-visibilité notamment pour ce qui concerne les jardins et les allées ;

- le projet est visible depuis le château de Villeron et le château de Resly, à l'église de Saint Laurent du Tencement et au bourg de la commune et enfin à l'église d'Anceins ;

- le projet comporte un risque d'atteinte aux paysages : l'inscription dans un espace favorable par le schéma régional éolien n'interdit pas de regarder un projet précis comme incompatible avec la préservation des paysages ; de même, si la zone d'implantation porte des marques d'anthropisation, cette circonstance n'est pas, à elle seule, de nature à priver d'intérêt les lieux avoisinants ; le projet rompt les lignes de force du paysage ;

- en cas d'annulation de la décision préfectorale de refus, l'autorisation ne pourrait être accordée dès lors que le projet présente un risque d'atteinte aux chiroptères et de la proximité d'un site Natura 2000.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2023 et des mémoires enregistrés le 12 avril 2023, le 7 juillet 2023 le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le préfet de l'Orne concluent au rejet de la requête.

Ils soutiennent qu'aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.

Par un mémoire en intervention enregistré le 31 janvier 2023 et des mémoires enregistrés les 19 avril 2023 et 19 mai 2023, La SCI Villers Domergue représentée par Me Durand demande à la cour d'admettre son intervention et de rejeter la requête de la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur.

Elle soutient que :

- son intervention est recevable ;

- s'agissant de l'impact du projet vis-à-vis du château de Villers en Ouche, l'étude dont fait état la requérante comporte des biais méthodologiques inacceptables et se prévaut d'écrans végétaux insuffisants.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Viéville,

- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public,

- et les observations de Me Bergès substituant Me Elfassi pour la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur et de Me Monamy pour l'association pour la protection du pays d'Ouche.

Considérant ce qui suit :

1. Le 9 janvier 2020, la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur a déposé une demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation de quatre éoliennes sur le territoire de la commune de la Ferté-en-Ouche, commune déléguée d'Anceins (Orne). L'Unité départementale de l'architecture et du patrimoine (UDAP) de l'Orne a rendu deux avis défavorables au projet les 18 mai 2020 et 6 janvier 2021. Le 18 février 2020 et le 7 décembre 2020, le Service Ressources Naturelles de la DREAL Normandie a émis deux avis défavorables au projet. La mission régionale d'autorité environnementale (MRAE) a rendu son avis sur le projet le 4 février 2021, assorti de dix recommandations. À l'issue de l'enquête publique qui s'est tenue du 13 septembre au 13 octobre 2021, le commissaire enquêteur a émis un avis favorable au projet assorti de trois réserves. Par une décision du 7 février 2022, le ministère de la Transition écologique a demandé au conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) d'engager une procédure de médiation. Le rapport du médiateur national de l'éolien du 21 juillet 2022 a été transmis à la société exploitante par un courriel du 22 juillet 2022. Par un arrêté du 22 juillet 2022, le préfet de l'Orne a refusé de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée. C'est la décision attaquée.

Sur la recevabilité des interventions :

2. Est recevable à former une intervention devant le juge du fond toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

En ce qui concerne l'association pour la protection du Pays d'Ouche :

3. Il résulte de l'article 2 des statuts de l'association pour la protection du Pays d'Ouche qu'elle a pour objet la protection du cadre de vie incluant de façon non exhaustive les paysages, les éléments de patrimoine (protégés ou non), la commodité, la santé des habitants, la santé et le bien-être des espèces animales, la biodiversité, contre les atteintes et les nuisances qui pourraient leur être portées, y compris par l'implantation et l'exploitation d'installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent et des équipements qui leurs sont liés. L'article 1er des statuts précise que son champ d'action s'étend notamment sur le territoire de la communauté de communes des pays de l'Aigle sur le territoire de laquelle se trouve la commune déléguée d'Anceins. Par suite, eu égard à l'objet du litige, relatif à la décision par laquelle le préfet de l'Orne a refusé de délivrer à la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur une autorisation environnementale portant sur un parc de quatre éoliennes d'une hauteur de 199 mètres sur le territoire de la commune déléguée d'Anceins, l'association pour la protection du Pays d'Ouche justifie d'un intérêt suffisant au maintien de la décision attaquée du préfet de l'Orne.

En ce qui concerne la SCI Villers Domergue :

4. Il résulte de l'instruction que le château de Villers en Ouche, propriété de la SCI Villers Domergue est situé à environ 2 500 mètres du projet et qu'une partie des éoliennes du projet seront visibles depuis certaines chambres du deuxième étage du château. Par ailleurs, il résulte aussi de l'instruction que les éoliennes du projet seront visibles depuis plusieurs autres endroits de la propriété. Dans ces conditions, il y a lieu d'admettre l'intervention de la SCI Villers Domergue.

Sur les conclusions à fins d'annulation :

5. Pour refuser l'autorisation sollicitée, le préfet de l'Orne a retenu l'impact du projet sur le château de Villers en Ouche et son domaine au regard de l'intégration du projet reposant sur des éléments paysagers fragiles et non pérennes. L'autorité administrative s'est également fondée sur l'atteinte aux paysages compte tenu des effets d'écrasement engendrés par le projet sur les sites inscrits des vallées du Guiel et de la Charentonne et des incohérences du projet avec les parcs éoliens voisins pouvant être à l'origine d'un mitage ainsi que sur le refus opposé par les collectivités territoriales impactées et voisines du projet. Enfin, l'autorité administrative a pris en compte, eu égard au lieu d'implantation des éoliennes, l'impact sur la biodiversité notamment en raison de la perte de gites, de zones de chasse, ou de reproduction et du fait des risques de collision ou de barotraumatismes.

Sur la légalité de l'arrêté du 22 juillet 2022 :

En ce qui concerne la motivation :

6. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 7° Refusent une autorisation (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

7. L'arrêté vise les dispositions législatives et réglementaires dont l'autorité administrative a entendu faire application ainsi que les différents avis recueillis au cours de l'instruction de la demande, le dossier d'enquête publique, les mémoires et productions complémentaires de la société pétitionnaire, le rapport et conclusions du médiateur ainsi que l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. L'arrêté énonce également les considérations relatives à l'impact du projet sur le château de Villers en Ouche, à l'intégration du projet vis -à-vis des éléments protégés de ce château, aux impacts paysagers du projet sur les vallées de la Guiel et de la Charentonne et l'effet de mitage avec les parcs voisins, aux refus des collectivités locales d'implantation du projet et à l'impact écologique et notamment faunistique du projet. L'arrêté attaqué comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement est suffisamment motivé. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation de cet arrêté doit être écarté.

En ce qui concerne les différents avis mentionnés :

8. Il ressort des termes mêmes de la motivation de l'arrêté attaqué que son auteur, s'il mentionne les avis défavorables émis par les architectes des bâtiments de France de l'Orne et de l'Eure, l'avis défavorable de la commune de Ferté en Ouche, de la communauté de communes du pays de l'Aigle et l'absence d'issue favorable à la médiation entreprise, ne s'est pas estimé tenu de s'y conformer. Par suite, si la société requérante soutient que certains avis, et notamment celui de la commune de la commune de la Ferté en Ouche et de la communauté de communes du pays de l'Aigle sont entachés d'une erreur de fait ou de partialité, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

9. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article R. 181-39 du code de l'environnement et de l'article R. 341-16 du même code que la commission départementale pour la nature les paysages et des sites (CDNPS) émet un avis sur le projet de parc éolien. Si la société requérante allègue que le rapport et les conclusions du médiateur, bien que visés dans le projet d'arrêté soumis à la consultation de la CDNPS de l'Orne du 21 juillet 2022 n'a pas été transmis au pétitionnaire avant la tenue de la réunion de la commission, mais seulement le lendemain, le 22 juillet 2022, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision attaquée alors que les dispositions de l'article R. 181-39 du code de l'environnement imposent seulement que soient présentées pour avis à la commission la note de présentation non technique de la demande d'autorisation environnementale ainsi que les conclusions motivées du commissaire enquêteur ou la synthèse des observations et propositions du public.

En ce qui concerne l'atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

10. En vertu de l'article L. 118-3 du code de l'environnement, l'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts notamment mentionnés à l'article L. 511-1 du même code. Aux termes de cet article : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...) d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ". Il résulte de ces dispositions que, si les installations projetées portent notamment atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants aux sites ou aux paysages naturels, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée ou l'assortir de prescriptions spéciales.

11. D'une part, pour rechercher l'existence d'une atteinte de nature à fonder l'autorisation environnementale ou les prescriptions spéciales accompagnant sa délivrance, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu'il soit procédé, dans le second temps du raisonnement, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux mentionnés par cet article.

12. D'autre part, pour apprécier aussi bien la qualité du site que l'impact de la construction projetée sur ce site, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la co-visibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d'autres législations.

S'agissant du château de Villers en Ouche :

13. Le château de Villers en Ouche, situé à environ deux kilomètres de la zone d'implantation du projet, a été construit au début du 17ème siècle. L'allée d'accès, la cour d'honneur, y compris les façades et les toitures des deux communs qui la bordent et le mur les reliant, le parterre ouest avec son mur de clôture et les façades et toitures des deux pavillons de jardins aux extrémités et le rond de danse sont classés depuis 1989. Le château en totalité et l'allée latérale ouest du parc sont inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 2004.

14. Il résulte de l'instruction que l'allée d'accès sud au château est bordée d'une trame boisée sur toute sa longueur et que l'allée ouest d'accès au parc comporte une trame boisée au nord de celle-ci. Le domaine comprenant le château, la cour d'honneur et le parc situé au nord-ouest du château sont ceinturés d'une trame boisée d'une largeur et d'une densité variable. La société pétitionnaire a fait réaliser des photomontages depuis l'entrée ouest du château, depuis l'entrée sud et depuis la route départementale passant à l'ouest du château. A la suite des avis de l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine et de l'avis du commissaire enquêteur et à la demande des propriétaires, d'autres montages photographiques ont été réalisés en décembre 2020, octobre 2021, novembre 2021 et janvier 2022 depuis plusieurs points de vue du domaine. Si les clichés réalisés à l'entrée sud et ouest du château montrent un impact nul du projet en raison de la densité du rideau végétal, les quatre éoliennes sont néanmoins perceptibles dans la continuité de l'entrée ouest. En outre, l'éolienne E4 apparait depuis l'entrée de l'allée principale sud du château lorsque le regard se porte sur la droite, étant seulement en partie masquée par un rideau végétal. De la même manière, depuis la grille du château, l'éolienne E4 est perceptible quand le regard se porte sur la droite. Depuis la prairie située à l'est du château, les éoliennes sont perceptibles à travers le rideau végétal. Depuis le centre du jardin au niveau du cadran solaire, les éoliennes sont perceptibles à travers le rideau végétal tout comme depuis le verger du château. En direction de la fabrique, la trame arborée dissimule entièrement les éoliennes E3 et E4 mais partiellement les éoliennes E1 et E2. Depuis le petit trianon, situé au nord du château, le rideau végétal dissimule partiellement les éoliennes notamment en hiver. Enfin depuis le deuxième étage du château une seule éolienne serait perceptible mais grandement masquée par le rideau végétal.

15. Ainsi, il résulte de l'instruction que si la visibilité des éoliennes ou tout du moins d'une partie d'entre elles est faible depuis le château et ses abords immédiats, cette faible visibilité résulte seulement de l'existence de rideaux végétaux d'épaisseur variable soumis aux aléas climatiques et aux maladies et dont l'opacité varie suivant les saisons. Par ailleurs, les points de vue en extérieur du château et notamment depuis les routes permettant l'accès aux allées du château montrent une co-visibilité entre les allées et le projet.

S'agissant des paysages :

16. La zone d'implantation du projet se localise dans le pays d'Ouche sur un plateau culminant à 230 mètres entre les vallées de la Guiel et de la Charentonne situées en contrebas à environ 180 mètres et qui sont des sites inscrits. Les deux vallées présentent des paysages préservés, des milieux naturels riches (prairies humides), et constituent une succession de tableaux de grande qualité selon l'étude paysagère. Elles bordent de part et d'autre le secteur de la zone d'implantation potentielle du projet.

17. Il résulte de l'instruction et notamment de l'étude paysagère que la vallée de la Guiel pourrait être concernée par des impacts modérés à forts, en raison de l'atteinte à son caractère bucolique et que le projet expose la vallée de la Charentonne à un effet de surplomb. Le bureau des paysages et des sites a aussi relevé que compte tenu de la zone d'implantation du projet, les mesures proposées pour réduire l'impact visuel n'apparaissent pas suffisantes à gommer les effets d'écrasement attendus. Le bureau relève également des incohérences avec les parcs éoliens voisins. L'unité départementale de l'architecte et du patrimoine de l'Eure a fait valoir que le projet va à l'encontre des lignes de force du paysage et est hors d'échelle par rapport aux vallées de la Guiel et de la Charentonne et souligne également le risque d'écrasement des deux vallées. Par suite, si le choix d'implantation est justifié au regard du zonage établi par le schéma régional éolien, et se situe à titre principal en zone potentiellement favorable, il n'en demeure pas moins que le point haut du plateau sur lequel est situé le projet embrasse les vallées du Guiel et de la Charentonne dans leur globalité et que la disproportion entre la hauteur des éoliennes projetées et l'échelle des paysages naturels environnants génère un effet d'écrasement, notamment depuis les communes de Saint Laurent du Tencement, de Verneusses et de la Ferté en Ouche. Si la société requérante soutient que la perception des vallées est à relativiser compte tenu du positionnement des éoliennes par rapport aux abords des crêtes des deux vallées, néanmoins, certains montages produits mettent clairement en exergue l'effet d'écrasement de ces vallées.

S'agissant du mitage paysager :

18. Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu'une telle argumentation est soulevée devant lui, de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.

19. En l'espèce, dans un rayon de dix kilomètres autour de la zone d'implantation du projet, se trouvent un parc éolien existant, un parc autorisé et non encore construit à la date de la décision et un projet de parc éolien en cours d'instruction. Se trouve également un autre parc situé au-delà de la zone des 10 km. Il résulte de l'instruction et des plans versés au dossier que le projet par ses effets cumulés à ceux des éoliennes déjà construites ou en cours de construction accentue l'effet d'encerclement au nord de la zone d'implantation.

S'agissant des incidences sur les chiroptères :

20. Il résulte de l'instruction que si la zone d'implantation potentielle n'empiète sur aucun périmètre d'inventaire ou de protection réglementaire au titre de la biodiversité, elle est néanmoins constituée d'un milieu ouvert en lisière de boisements offrant des habitats intéressants pour la faune, notamment les oiseaux et les chauves-souris. Le site Natura 2000 situé à moins d'un kilomètre de la zone d'implantation du projet, a été désigné pour ses rivières et son potentiel piscicole ce qui en fait une zone de chasse privilégiée pour les chiroptères démontrant la présence proche de grands sites d'hibernation de chauves-souris.

21. L'étude faune-flore du projet a classé la zone d'implantation du projet dans la catégorie des enjeux environnementaux globaux moyens à forts. Il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact que tous les points d'écoute actifs ou passifs au sein de la zone d'implantation du projet, ont mis en évidence une activité chiroptérologique. Ainsi, bien que les structures verticales constituées de boisements et de haies soient présentes à l'est et l'ouest de la zone d'implantation, l'activité de chiroptères a pu être vérifié, les individus traversant la zone pour rejoindre les terrains de chasse situés au-delà de celle-ci. Sur neuf espèces repérées sur la zone d'implantation du projet, quatre espèces migratrices et de haut vol ont été détectées avec certitude : la Pipistrelle de Nathusius, les Noctules commune et de Leisler et la Sérotine commune.

22. Il résulte également de l'instruction que deux des quatre éoliennes du projet d'implantation se trouvent à proximité des éléments végétaux verticaux favorisant la chasse ou l'habitat à l'ouest et l'est de la zone d'implantation (l'éolienne E1 à 69 m d'une haie et 137 m d'un boisement et l'éolienne E4 à 103 m d'un boisement). Par ailleurs, la société pétitionnaire n'a pas procédé à des écoutes en altitude sur un cycle biologique complet, afin d'affiner les données sur la fréquentation du territoire.

23. Dans ces conditions, la zone d'implantation du projet située à proximité d'un site Natura 2000 est proche d'éléments verticaux propices à l'activité chiroptérologique et constitue par ailleurs une zone de passage dans le sens ouest-est mais également nord-sud pour les chiroptères. Alors que la société pétitionnaire n'a pas fait réaliser d'écoutes en hauteur ni d'étude locale de fréquentation à proximité des éléments boisés près desquels se situent les éoliennes E1 et E4 afin d'établir une éventuelle baisse significative d'activité, la présence du parc projeté sur cet axe migratoire peut conduire les chiroptères à modifier leur couloir de vol et à perdre des terrains de chasse et des gîtes de reproduction, notamment en période migratoire. Les mesures de réduction proposées par la société pétitionnaire (limitation de la pollution lumineuse, dispositif d'éloignement des espèces à enjeux et plan de bridage) ne sont pas suffisantes pour permettre de remédier à cet impact attendu de perte d'espace vital pour ces espèces.

24. Il résulte de tout ce qui a été dit aux points 13 à 23 que le préfet de l'Orne a pu sans entacher sa décision d'une erreur d'appréciation refuser d'autoriser le projet éolien présenté par la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le préfet de l'Orne a rejeté sa demande d'autorisation environnementale. Par suite, les conclusions aux d'annulation et par voie de conséquence les conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur.

DÉCIDE :

Article 1er : Les interventions de l'association pour la protection du pays d'ouche et de la SCI Villers Domergue sont admises.

Article 2 : La requête de la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation du parc éolien Bois Seigneur, à l'association pour la protection du pays d'ouche, à la SCI Villers Domergue et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- M. Viéville, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 février 2024.

Le rapporteur,

S. VIÉVILLELe président de chambre,

G. QUILLÉVÉRÉ

La greffière,

H. DAOUD

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

N° 22NT03124 200


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03124
Date de la décision : 13/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Sébastien VIEVILLE
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-13;22nt03124 ?
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