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09/02/2024 | FRANCE | N°22NT02847

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 09 février 2024, 22NT02847


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... C... H... et Mme E..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de B... A... B... C..., ainsi que Mme G... A... B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 16 mai 2021 de l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) refusant de dél

ivrer à Mme G... A... B... C... et au jeune B... A... B... C... des visas d'entrée et de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... C... H... et Mme E..., agissant en leur nom propre et en qualité de représentants légaux de B... A... B... C..., ainsi que Mme G... A... B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 29 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 16 mai 2021 de l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) refusant de délivrer à Mme G... A... B... C... et au jeune B... A... B... C... des visas d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2200109 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 29 septembre 2021 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme G... A... B... C... et au jeune B... A... B... C... les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 août 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande de M. A... B... C... H..., de Mme E... et de Mme G... A... B... C... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- les demandeurs de visa, frère et sœur de la jeune F... A... B..., réfugiée mineure depuis 2018, n'entrent pas dans le champ de la réunification familiale dès lors que leur demande ne vise pas à accompagner leurs parents qui résident d'ores et déjà en France sous couvert d'un titre de séjour ;

- la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 octobre 2022, M. A... B... C... H..., Mme E... et Mme G... A... B... C..., représentés par Me Pollono, concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de délivrer les visas sollicités dans le délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à défaut, de réexaminer leur demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte et, en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés ;

- la décision de la commission est intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que les demandeurs de visa n'ont jamais été séparés de leur mère et de leur fratrie et sont à la charge intégrale de leur père ;

- la décision est insuffisamment motivée, faute de mentionner qu'il a été procédé à un examen de leur situation au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la commission de recours a entaché sa décision d'erreurs de droit dès lors que les demandeurs de visa entrent dans le champ de la réunification familiale et qu'elle s'est sentie liée par les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile introduites par la loi n° 2018-778 ;

- la décision de la commission de recours est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors que l'identité des demandeurs de visa est établie.

M. A... B... C... H... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Montes-Derouet

- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, pour les requérants.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... C... H... et Mme E..., ressortissants soudanais nés, respectivement le 1er janvier 1974 et le 8 juillet 1975, résident en France sous couvert d'un titre de séjour en qualité de parents de la jeune F... A... B... C..., ressortissante soudanaise née le 27 décembre 2010, qui s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 29 novembre 2018. Mme G... A... B... C... et le jeune B... A... B... C..., la sœur et le frère de la jeune F... A... B... C..., ressortissants soudanais nés respectivement le 7 juin 2003 et le 1er décembre 2006, ont présenté des demandes de visa de long séjour au titre de la réunification familiale. Par un jugement du

11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A... B... C... H..., de Mme E... et de Mme G... A... B... C..., la décision du 29 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 16 mai 2021 des autorités consulaires françaises à Khartoum (Soudan) rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour Mme G... A... B... C... et le jeune B... A... B... C... et a enjoint au ministre de l'intérieur de leur délivrer les visas sollicités dans le délai de deux mois suivant la notification du jugement. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-5 de ce même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

7. Il ressort des pièces du dossier, notamment des déclarations faites à l'OFPRA lors de leur demande d'asile, que M. A... B... C... et Mme D... n'ont pas été en mesure, lorsqu'ils ont fui le Soudan en 2017, de se faire accompagner de leurs trois enfants et que leur choix s'est alors porté sur la plus jeune de la fratrie, laquelle au regard de son âge était la plus exposée aux menaces d'excision proférées par les membres de la famille maternelle. Il ressort des pièces du dossier que Mme G... A... B... C..., âgée de 18 ans et scolarisée, en classe de terminale, à la date de la décision contestée, qui avait elle-même été confiée dès l'âge de 6 ans à la garde d'un oncle et d'une tante paternelles pour échapper au risque d'excision, est désormais à la charge de sa seule tante, depuis la séparation du couple et que son jeune frère, B... A... B... C..., âgé de 15 ans à la date de la décision contestée et également scolarisé, est à la charge de sa seule grand-mère depuis le décès de son grand-père survenu en mai 2020. Il ressort également des pièces du dossier, notamment des attestations de la tante paternelle et de la grand-mère maternelle des demandeurs de visa que ces dernières ne disposent pas de revenus suffisants pour subvenir correctement aux besoins de leur nièce et petit-fils, malgré les colis que M. A... B... C... H... et Mme D... leur font parvenir. Enfin, il ressort des pièces du dossier, notamment des nombreuses attestations produites, que la séparation familiale est douloureusement vécue tant par les parents que par la fratrie, ainsi que cela ressort notamment d'une attestation médicale établie le 16 juin 2022 par un psychologue clinicien du centre hospitalier universitaire de Bordeaux faisant état de la fragilité psychique de la sœur cadette des demandeurs d'asile résidant en France en qualité de réfugiée et " de ses troubles anxio-dépressifs réactionnels suggérant la mise en place d'un suivi psychologique en lien avec la séparation de sa fratrie et la dépression familiale ". Dans ces conditions, en refusant la délivrance des visas sollicités, la commission de recours a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision contestée et lui a enjoint de délivrer à Mme G... A... B... C... et au jeune B... A... B... C... les visas sollicités.

Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... B... C... H... et autres :

9. Le tribunal a fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées devant lui par M. A... B... C... H... et autres. Les conclusions présentées, de nouveau, à cette fin par les intéressés devant la cour sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les frais liés au litige :

10. M. A... B... C... H... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... B... C... H..., Mme E... et Mme G... A... B... C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. A... B... C... H..., à Mme E... et à Mme G... A... B... C....

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2024.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUETLa présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02847


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02847
Date de la décision : 09/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-09;22nt02847 ?
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