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09/02/2024 | FRANCE | N°22NT01628

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 09 février 2024, 22NT01628


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 novembre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours préalable contre la décision du préfet de l'Isère du 5 octobre 2018 ajournant à deux ans sa demande de naturalisation et y a substitué une décision de rejet de sa demande.



Par un jugement n° 2001130 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 mai et 7 juin 2022,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 novembre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours préalable contre la décision du préfet de l'Isère du 5 octobre 2018 ajournant à deux ans sa demande de naturalisation et y a substitué une décision de rejet de sa demande.

Par un jugement n° 2001130 du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 mai et 7 juin 2022, Mme B..., représentée par Me Ollivier, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 1er avril 2022 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 4 novembre 2019 du ministre de l'intérieur ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui accorder la nationalité française ou, à défaut, de réexaminer sa demande, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée en droit comme en fait ;

- elle est entachée d'une erreur de fait ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 17 août 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n°93-1362 du 30 décembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 1er avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... tendant à l'annulation de la décision du 4 novembre 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté son recours préalable contre la décision du préfet de l'Isère du 5 octobre 2018 ajournant à deux ans sa demande de naturalisation et y a substitué une décision de rejet de sa demande. Mme B... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " Hors le cas prévu à l'article 21-14-1, l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger ". En vertu des dispositions de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. (...) ". L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant, ainsi que les renseignements de tous ordres recueillis sur son loyalisme.

3. La seule circonstance qu'un postulant à la nationalité française ait conservé des liens, même importants, avec son pays d'origine, ne permet pas, en elle-même, d'en déduire un défaut de loyalisme propre à justifier, sans erreur manifeste d'appréciation, le rejet d'une demande de naturalisation. Un tel défaut de loyalisme, pouvant justifier un tel rejet sans une telle erreur, peut en revanche résulter de la nature des liens conservés avec le pays d'origine, notamment lorsque sont en cause des liens particuliers entretenus par le postulant avec un Etat ou des autorités publiques étrangères, dont des représentations diplomatiques ou consulaires en France du pays d'origine.

4. Le ministre de l'intérieur a rejeté la demande de naturalisation de Mme B..., au motif que ses liens avec les membres de la légation (ANO)russe(/ANO) en France l'ont fait défavorablement connaître des services spécialisés de sécurité et qu'eu égard à l'environnement dans lequel elle évolue, son loyalisme à l'égard de la France n'est pas établi.

5. Il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter la demande de naturalisation de

Mme B..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le contenu d'une note blanche du 11 août 2020 de ses services de renseignement, reprenant le contenu d'une précédente note du 25 octobre 2019 de ces mêmes services, indiquant que l'intéressée avait reconnu être en contact régulier avec des membres de la légation (ANO)russe(/ANO) sur le territoire national, notamment, M. A..., ancien consul général de la ... à ..., qu'elle côtoyait lorsqu'elle était employée à l'université de ..., de 2010 à 2012, dans le cadre de partenariats universitaires. Selon cette même note, Mme B... a déclaré avoir participé à la réception d'anniversaire de M. A... à ..., à ..., où ce dernier était alors affecté comme chargé de mission et a reconnu être en contact avec l'ancienne épouse de ce dernier, elle-même en poste à ..., dans les instances de .... La note blanche précise que la mère de Mme B... appartenait aux personnels du ministère (ANO)russe(/ANO) des affaires étrangères, qu'elle avait exercé au sein des instances consulaires (ANO)russe(/ANO)s, que cette dernière, encore chargée de mission disposait d'un solide réseau relationnel au sein de la diplomatie et des autorités consulaires (ANO)russe(/ANO)s auquel elle a associé sa fille, à l'occasion, ce qui a permis à cette dernière de se loger ponctuellement dans des appartements appartenant à la légation (ANO)russe(/ANO), y compris à l'étranger.

6. Mme B... ne conteste pas avoir rencontré à plusieurs reprises, entre 2004 et 2009, M. A... mais précise que ces rencontres ont eu lieu dans le cadre universitaire du département de langues slaves de l'université de ... où ce diplomate venait présenter des séjours linguistiques en Russie, dans le cadre de programmes mis en place avant le recrutement Mme B... à l'université de .... Cette dernière fait aussi valoir que la réception à laquelle elle s'est rendue, à ..., à ..., au mois de février 2018, en compagnie de son

ex-conjoint, de nationalité française, n'a pas été donnée à l'occasion d'une fête d'anniversaire, mais de la fin de la mission en France de M. A... qui a invité les personnes qu'il avait côtoyées en France, au nombre desquelles figurait sa mère, retraitée, depuis 2009, du ministère des affaires étrangères (ANO)russe(/ANO), et ancienne collègue de M. A... à la représentation consulaire (ANO)russe(/ANO) de ..., qu'elle a représentée par sa présence à cet évènement festif, où sa mère ne pouvait elle-même se rendre. Si Mme B... admet que sa mère a conservé des relations au sein des représentations consulaires (ANO)russe(/ANO)s en France et qu'il lui arrive parfois de la solliciter afin de faciliter la délivrance de visas d'entrée en Russie au profit de son conjoint, elle soutient sans être contredite que sa mère, âgée de 75 ans réside en Russie où elle s'occupe désormais de son époux handicapé. Mme B... ne conteste pas avoir été en contact, en 2017, avec l'agence consulaire de la ... en 2017, à Villefranche-sur-Mer. Toutefois, elle soutient n'avoir jamais été hébergée dans des logements appartenant à la légation (ANO)russe(/ANO) à d'autres d'occasions que celles où sa mère y résidait elle-même. Enfin, les liens personnels conservés par Mme B... avec l'ancienne épouse de M. A..., en poste à ..., à ..., ne révèlent pas l'existence d'une relation institutionnelle avec un représentant d'un Etat étranger. Dans ces conditions, les attaches ainsi conservées par Mme B..., d'ailleurs mariée avec un Français, mère d'un enfant de nationalité française et insérée professionnellement à l'université de Grenoble, ne sont pas incompatibles avec son allégeance à la France et ne constituent pas des liens d'une nature particulière avec son Etat d'origine, propres à caractériser un défaut de loyalisme, justifiant, sans erreur manifeste d'appréciation, le rejet de sa demande de naturalisation.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. L'exécution du présent arrêt implique seulement que la demande de Mme B... soit réexaminée. Il y a lieu, par suite, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par Mme B....

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 1er avril 2022 du tribunal administratif de Nantes et la décision du

4 novembre 2019 du ministre de l'intérieur sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer la demande de Mme B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2024.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFET Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01628


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01628
Date de la décision : 09/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : MAISONOBE OLLIVIER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-09;22nt01628 ?
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