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09/02/2024 | FRANCE | N°22NT01263

France | France, Cour administrative d'appel, 1ère chambre, 09 février 2024, 22NT01263


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie, le groupement régional des associations de protection de l'environnement (GRAPE), le groupe mammalogique normand, le groupe ornithologique normand et l'association Manche nature, d'une part, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association Vieilles Maisons Françaises, l'association Belle Normandie Environnement, l'association pour le développemen

t durable de l'ouest ornais et de ses environs, l'association Promotion et défense d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie, le groupement régional des associations de protection de l'environnement (GRAPE), le groupe mammalogique normand, le groupe ornithologique normand et l'association Manche nature, d'une part, la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association Vieilles Maisons Françaises, l'association Belle Normandie Environnement, l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs, l'association Promotion et défense des sites dans le parc Normandie-Maine, M. et Mme G... E..., M. et Mme F... D..., M. B... A... et M. C... H..., d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 13 mai 2016 par lequel le préfet de la Manche a autorisé la SARL Vents d'Oc Centrale d'Energie Renouvelable 16 à exploiter un parc éolien composé de six aérogénérateurs sur le territoire des communes de Ger et de Saint-Georges-de-Rouelley.

Par un jugement n° 1601813 du 18 Octobre 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 21 décembre 2018, 23 septembre 2019 et 19 décembre 2019, la société Vents d'Oc Centrale d'Energie Renouvelable 16, représentée par la société d'avocats LPA-CGR Avocats, a demandé à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 18 octobre 2018 et de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif de Caen ;

Par un arrêt nos 18NT04495,18NT04522 du 19 juin 2020, la cour a, sur appels de la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 et du ministre de la transition écologique et solidaire, annulé ce jugement et rejeté les demandes présentées par le comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie et autres et la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres devant le tribunal administratif de Caen.

Par une décision n° 442953 du 21 avril 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association Vieilles Maisons Françaises, l'association Belle Normandie Environnement, l'association Promotion et défense des sites dans le parc Normandie-Maine, M. et Mme E..., M. et Mme D..., M. A..., M. H..., l'association Groupement régional des associations de protection de l'environnement (GRAPE) et le groupe mammalogique normand, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour pour y être jugée, l'affaire portant désormais le n°22NT01263.

Procédure devant la cour après cassation :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 avril, 1er août 2022 et 14 décembre 2022 et les 17 mars, 21 avril, 26 mai et 15 décembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16, représentée par Me Versini-Campinchi, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen ;

2°) de rejeter les demandes présentées devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association Vieilles Maisons Françaises, l'association Belle Normandie Environnement, l'association Promotion et défense des sites dans le parc Normandie-Maine, le Groupement régional des associations de protection de l'environnement (GRAPE), le Groupe mammalogique normand, M. et Mme E..., M. et Mme D..., M. A... et M. H... une somme de 500 euros, chacun, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il a retenu à tort le moyen tiré de l'insuffisance de l'étude d'impact ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, l'étude chiroptérologique, réalisée par le cabinet Biotope en mars 2015, complétée en mars 2016, et qui prend notamment en compte le recensement du bureau d'études Spiroux de juillet 2013 sur les arbres à gîte sur le site d'implantation, était suffisante, tant en ce qui concerne l'état initial du site et la période de référence analysée, s'agissant notamment de la pipistrelle de Nathusius, que du nombre de mesures effectuées durant cette périodes lesquelles ont, en outre, été renforcées par des enregistrements automatiques et des études en altitude ; les avis défavorables rendus par l'instruction et cités dans le jugement attaqué révèlent un examen très partiel des éléments du dossier ;

- l'expertise chiroptérologique a reposé sur une analyse de bibliographie disponible et sur des prospections réalisées sur le terrain durant l'intégralité du cycle biologique des chiroptères ; les études produites permettaient sans ambiguïté au public consulté comme à l'autorité saisie, d'appréhender l'ensemble des enjeux présentés par la zone d'implantation du projet ; elle a proposé un ensemble de mesures portant sur la phase travaux et sur celle de fonctionnement du parc ; ces mesures ont été renforcées dans le cadre de l'instruction du projet ;

- l'absence d'analyse des mesures effectuées au mois d'octobre, lors des campagnes réalisées en 2010-2011, ne saurait présenter une insuffisance qui pourrait porter atteinte à la sincérité de l'état initial relatif aux chiroptères et nuire à l'information du public, contrairement à ce que soutiennent les intimés ;

- l'ensemble des données issues de ces prospections, à la fois au sol et en altitude, ont permis de fournir des données suffisantes pour apprécier la fréquentation du site par les chiroptères - - les développements des intimés relatifs à la dynamique défavorable d'évolution de l'espèce qui ne renseignent en rien sur un risque d'impact localisé sur le site du projet, sont inopérants ; les intimés ne peuvent utilement se prévaloir de l'étude chiroptérologique réalisée en 2018 par le bureau d'études Encis ;

- elle n'avait pas l'obligation de déposer une demande de dérogation espèces protégées, les dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement ont été respectées ;

- elle a adopté une série de mesures capables de réduire l'impact brut à un niveau tel qu'il n'est pas suffisamment caractérisé ; l'efficacité des mesures adoptées n'est pas utilement contestée ;

- le manquement allégué à un plan régional ne caractérise pas une étude d'impact ;

- l'étude acoustique était suffisante ;

- le tribunal administratif ne pouvait se fonder sur l'absence de périmètre de zone de développement éolien (ZDE) pour retenir l'incompatibilité du projet avec le plan local d'urbanisme de la commune de Saint-Georges-de-Rouelley ;

- elle relève qu'aucune illégalité ne découlait de l'arrêté du 26 août 2011 limitant le démantèlement des câbles à 10 mètres autour des ouvrages du projet ;

- les capacités financières qu'elle a présentées sont suffisantes au titre des articles

R. 512-3 et L. 512-1 du code de l'environnement ;

- l'avis rendu par le préfet de région était donc bien de nature à éclairer la décision prise par le préfet de département sur la demande d'autorisation d'exploiter ; le moyen tiré par les intimées de l'irrégularité des avis rendus par les communes doit être écarté ;

- le moyen tiré de l'insuffisance du rapport du commissaire enquêteur doit donc immanquablement être écarté ;

- aucune disposition législative ou réglementaire ne donne compétence au préfet pour déterminer lui-même les garanties financières applicables à un parc éolien ;

- c'est à bon droit que la cour a rejeté le moyen tiré de l'impact paysager, dans son arrêt du 19 juin 2020, reprenant sa position déjà retenue dans son arrêt rendu sur les permis de construire et confirmé par le Conseil d'Etat ;

- le projet est cohérent avec le parc naturel régional (PNR) de Normandie-Maine ; conformément à la charte, le projet a pris en compte les enjeux paysagers ; la biodiversité a été prise en compte ; le projet s'est inscrit dans une démarche de rationalisation des implantations d'éoliennes ; si le projet engendre de nouvelles zones de visibilités, la présence du bocage atténue ce phénomène ; les spécificités du territoire atténuent aussi l'impression de mitage ; le projet a pris en compte les enjeux paysagers en prévoyant des mesures pour éviter un impact visuel sur le paysage ; l'insertion favorable du projet dans son environnement paysager a déjà été jugée à plusieurs reprises notamment par un arrêt de la cour du 26 octobre 2018 confirmé par le Conseil d'Etat ; la cour a déjà confirmé la cohérence du projet avec les objectifs de la charte du parc naturel régional ;

- les dispositions de l'article L. 515-44 du code de l'environnement n'ont pas été méconnues.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut à l'annulation du jugement attaqué et au rejet des demandes présentées devant le tribunal administratif de Caen.

Il soutient que les moyens soulevés par les demandes présentées en première instance ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés le 3 octobre 2022 et les 13 février, 17 mars et 21 avril 2023, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, l'association Vieilles Maisons Françaises, l'association Belle Normandie Environnement, l'Association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs, l'association Promotion et défense des sites dans le parc Normandie-Maine, M. et Mme E..., M. et Mme D..., M. A... et

M. H..., représentés par Me Monamy, concluent au rejet de la requête, à titre subsidiaire à la suspension de l'exécution de l'arrêté contesté pour les points conformes à la légalité et à la mise à la charge de l'Etat et de la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 une somme globale de 3 000 euros au titre l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par des mémoires enregistrés les 13 février, 25 avril et 22 novembre 2023, l'association Manche nature, le Comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie, le Groupement régional des associations de protection de l'environnement (GRAPP) et le Groupe mammalogique normand, représentés par Me Busson, concluent dans le dernier état de leurs écritures au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat et de la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 à leur verser une somme globale de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent qu'ils relèvent, d'une part, l'incomplétude de l'étude d'impact qui n'analyse pas la présence avérée de l'espèce cigogne noire sur le site du projet et, d'autre part, la nécessité de déposer une demande de dérogation " espèces protégées " concernant la cigogne noire et deux des espèces de chauves-souris, à savoir la Pipistrelle commune et la Sérotine commune, aujourd'hui quasiment menacées d'extinction dont la fréquentation du site d'implantation du parc éolien est avérée,

Par un courrier du 5 mai 2022, l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs a été désignée par Me Monamy comme représentante unique de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, de l'association Vieilles Maisons Françaises, de l'association Belle Normandie Environnement, de l'association Promotion et défense des sites dans le parc Normandie-Maine, de M. et Mme G... E..., de M. et Mme F... D..., de M. B... A... et de M. C... H....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Geffray,

- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public,

- et les observations de Me Duclercq substituant Me Versini-Campinchi, représentant la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16, et de Me Monamy, représentant l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres.

Une note en délibéré, présentée pour la société SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16, a été enregistrée le 22 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 a demandé le 31 juillet 2012 au préfet de la Manche l'autorisation d'exploiter un parc éolien comprenant six aérogénérateurs sur le territoire des communes de Saint-Georges-de-Rouelley et de Ger. Par un jugement du 18 octobre 2018, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 13 mai 2016 par lequel le préfet a délivré l'autorisation demandée. L'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres ont demandé au Conseil d'État d'annuler l'arrêt du 19 juin 2020 par lequel la cour a, à la demande de la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 et du ministre de la transition écologique et solidaire, annulé ce jugement. Par une décision n° 442953 du 21 avril 2022, le Conseil d'État, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour pour y être jugée, l'affaire portant désormais le n° 22NT01263.

2. Aux termes de l'article L. 333-1 du code de l'environnement dans sa version applicable au litige : " I.- Les parcs naturels régionaux concourent à la politique de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public. (...) Ils constituent un cadre privilégié des actions menées par les collectivités publiques en faveur de la préservation des paysages et du patrimoine naturel et culturel. / II.- La charte du parc détermine pour le territoire du parc naturel régional les orientations de protection, de mise en valeur et de développement et les mesures permettant de les mettre en œuvre. Elle comporte un plan élaboré à partir d'un inventaire du patrimoine indiquant les différentes zones du parc et leur vocation. La charte détermine les orientations et les principes fondamentaux de protection des structures paysagères sur le territoire du parc. / (...) / IV. L'Etat et les collectivités territoriales adhérant à la charte appliquent les orientations et les mesures de la charte dans l'exercice de leurs compétences sur le territoire du parc. Ils assurent, en conséquence, la cohérence de leurs actions et des moyens qu'ils y consacrent ".

3. Il résulte de ces dispositions que la charte d'un parc naturel régional est un acte destiné à orienter l'action des pouvoirs publics dans un souci de protection de l'environnement, d'aménagement du territoire, de développement économique et social et d'éducation et de formation du public sur le territoire du parc et à assurer la cohérence de cette action avec les objectifs qui y sont définis. Il appartient, dès lors, à l'État et aux différentes collectivités territoriales concernées de prendre les mesures et de mener les actions propres à assurer la réalisation des objectifs de la charte et de mettre en œuvre les compétences qu'ils tiennent des différentes législations, dès lors qu'elles leur confèrent un pouvoir d'appréciation, de façon cohérente avec les objectifs ainsi définis. Toutefois la charte d'un parc naturel régional ne peut légalement imposer par elle-même des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard. Elle ne peut davantage subordonner légalement les demandes d'autorisations d'installations classées pour la protection de l'environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur. Si les orientations de protection, de mise en valeur et de développement que la charte détermine pour le territoire du parc naturel régional sont nécessairement générales, les mesures permettant de les mettre en œuvre peuvent cependant être précises et se traduire par des règles de fond avec lesquelles les décisions prises par l'État et les collectivités territoriales adhérant à la charte dans l'exercice de leurs compétences doivent être cohérentes, sous réserve que ces mesures ne méconnaissent pas les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu'elles concernent.

4. Lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation d'implanter ou d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement au sein d'un parc naturel régional, elle doit s'assurer de la cohérence de la décision individuelle ainsi sollicitée avec les orientations et mesures fixées dans la charte de ce parc et dans les documents qui y sont annexés, eu égard notamment à l'implantation et à la nature des ouvrages pour lesquels l'autorisation est demandée, et aux nuisances associées à leur exploitation.

5. La charte du parc naturel régional Normandie-Maine comporte un objectif 23.4 intitulé " Favoriser le développement éolien raisonné " indiquant que " le parc cherche à optimiser la cohérence des implantations d'éoliennes et que, dans ce but, il s'appuie sur des enjeux paysagers tels que le respect des éléments identitaires du territoire ". Ces orientations générales sont précisées par différentes mesures, en particulier, la mesure 3.1 de la charte sous la rubrique " indicateurs et objectifs " mentionne que " les secteurs d'altitude et de fortes pentes, moins peuplés et cumulant les contraintes d'exploitation (enclavement, mauvaise exposition, sols superficiels et caillouteux...) ont connu et connaissent des modes de faire-valoir fragiles et plutôt extensifs permettant la conservation d'une certaine authenticité (...) " ; nommés dans la carte

" paysages identitaires ", ils constituent la référence paysagère, le " noyau dur " ou encore la

" zone centrale " du parc qui doit être préservée mais également promue sur le plan de la découverte. Ainsi, la charte a fixé un objectif de conservation pour les secteurs d'altitude et de fortes pentes mis en œuvre par la mesure 3.1 mais aussi par les mesures 3.2, 4.2 et 4. 3 qualifiées par la charte de prioritaires qui ont pour objet la protection des forêts, des paysages identitaires, des corridors naturels et paysages, les sites d'intérêt écologiques majeur. Dès lors, l'objectif de cohérence des projets éoliens précisé par les mesures qui viennent d'être rappelées a pour but de préserver l'identité et la biodiversité des paysages identitaires du parc naturel régional. L'orientation générale de la charte mentionnée au point 23. 4 intitulée " Favoriser le développement éolien raisonné " et les mesures qui en permettent la mise en œuvre sont suffisamment précises de telle sorte qu'elles peuvent être invoquées et que la décision contestée doit être en cohérence à l'égard de ces prescriptions de la charte.

6. Il ressort des pièces du dossier que le lieu-dit La Fosse Arthour, situé à près de

2,5 kilomètres des deux plus proches éoliennes prévues sur le territoire de la commune de Saint-Georges de Rouelley, est constitué de cluses, nées des passages de l'eau dans les barres de grès. Les éoliennes seraient visibles du point le plus haut de la barre rocheuse au-dessus de la gorge étroite et profonde du site de La Fosse Arthour, qui est un haut lieu pittoresque et touristique profitant à la fois d'un classement en espace naturel sensible et d'une désignation au titre des sites classés en 1994. Ce site est associé à un chemin de grande randonnée, le GR 22. Au demeurant, d'une part, le président du parc naturel régional de Normandie-Maine a demandé dans l'avis rendu le 1er juillet 2015 de supprimer ou de déplacer l'éolienne E1 de façon à ce qu'elle ne soit pas ou moins visible depuis La Fosse Arthour et s'est interrogé à l'occasion d'un précédent avis rendu le 10 décembre 2012 sur la pertinence du site choisi du fait de l'implantation des éoliennes au sein d'un massif forestier et à 1,5 km du deuxième plus grand site d'hibernation de chauve-souris en Normandie, à savoir le site Natura 2000, dénommé " Anciennes Mines de Bion et de Barenton ". D'autre part, l'autorité environnementale, dans son avis du 10 juillet 2015, a relevé que le projet litigieux s'inscrit dans un fort contexte environnemental lié notamment au paysage comme celui de La Fosse Arthour. Ainsi, le lieu-dit La Fosse Arthour présente un caractère identitaire et permet la préservation d'un ensemble constitué par le paysage et la biodiversité. Il suit de là que l'autorisation d'exploitation litigieuse eu égard à l'implantation des éoliennes au sein d'un paysage identitaire et à la nature de ces ouvrages qui transforment les caractéristiques essentielles de La Fosse Arthour n'est pas en cohérence avec les mesures qui permettent la mise en œuvre l'orientation générale de la charte du parc naturel de Normandie-Maine rappelée au point 5, éclairée par le schéma régional éolien du parc naturel régional Normandie-Maine et les différents avis mentionnés ci-dessus, de développement raisonné de l'éolien, de préservation des paysages identitaires et de protection de la biodiversité sur les zones les plus sensibles du territoire.

7. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 122-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction alors applicable : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II. - L'étude d'impact présente : (...) 2° Une analyse de l'état initial de la zone et des milieux susceptibles d'être affectés par le projet, portant notamment sur la population, la faune et la flore, les habitats naturels, les sites et paysages, les biens matériels, les continuités écologiques telles que définies par l'article L. 371-1, les équilibres biologiques, les facteurs climatiques, le patrimoine culturel et archéologique, le sol, l'eau, l'air, le bruit, les espaces naturels, agricoles, forestiers, maritimes ou de loisirs, ainsi que les interrelations entre ces éléments (...) ". Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

8. En l'espèce, s'agissant de la période de référence, l'étude chiroptérologique produite dans le dossier de l'étude d'impact indique que les collisions relatives aux chiroptères se produisent plus souvent en fin d'été, période correspondant aux déplacements migratoires automnaux des adultes et des jeunes, bien qu'un petit pic de mortalité soit aussi constaté au printemps, période de déplacement post-hibernation. Toutefois, d'une part, de nombreuses espèces sont présentes sur le site ou à proximité, et notamment la pipistrelle de Nathusius, qui présente, selon des éléments concordants, une activité notable postérieurement au mois de septembre, laquelle a été enregistrée mais non analysée dans l'étude. Ainsi, la période de référence analysée par l'étude d'impact présente une insuffisance dès lors qu'il s'agit d'une seule période de relevés en été.

9. S'agissant des conditions des prospections effectuées, la température au cours de deux prospections sur le terrain en été est tombée, une partie de la nuit, en dessous de 10° C. Dès lors, la méthodologie du diagnostic initial, et notamment au cours de sept nuits d'écoutes réalisées au sol, pour partie dans des conditions de températures faibles limitant l'activité des chiroptères ne permettent pas d'évaluer les migrations des chiroptères en période maximale de déplacements.

10. S'agissant de la hauteur des détections, un outil développé par le cabinet d'études Biotop en partenariat avec le Museum d'histoire naturelle a été utilisé pour la détection en altitude des chauves-souris, permettant, selon l'étude d'impact, un traitement automatique et rapide d'importants volumes d'enregistrements. Toutefois, d'une part, l'étude indique que cette prospection en altitude doit être, pour les motifs qu'elle précise, considérée avec prudence.

En effet, 95 % de l'activité chiroptérologique a été enregistrée à moins de vingt-cinq mètres de hauteur alors qu'elle conclut à des enjeux chiroptérologiques forts sur le site d'étude, aussi bien à l'échelle locale (forêt de la lande Pourrie) qu'à l'échelle de l'aire d'implantation. Alors qu'elle est destinée à la bonne information du public, une telle prudence doit être regardée comme de nature à établir l'insuffisance des travaux d'analyse sur le site. Dans ces conditions, l'étude de l'activité des chauves-souris a été limitée même si elle indique le recensement de plusieurs milliers de contacts lors de la prospection au sol en 2010 et 2011 et la présence de quatorze espèces dans les périmètres d'étude immédiat et rapproché.

11. Il résulte des points 8 à 10 que l'étude d'impact n'informe pas correctement de la consistance du projet et de ses impacts potentiels, du fait de l'absence d'un complément d'étude sur les chiroptères par de nouvelles sorties sur le terrain et par l'absence de nouvelles détections à plus de vingt-cinq mètres de hauteur. Cette double absence a été de nature à nuire à l'information complète de la population ou à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 et le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du préfet de la Manche du 13 mai 2016.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge conjointe de l'État et de la société Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 le versement de la somme de

1 500 euros, à verser à l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et autres et le versement de la même somme à l'association Manche nature et autres au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres et de l'association Manche nature et autres.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 et les conclusions en appel du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont rejetées.

Article 2 : L'État et la SARL Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16 verseront une somme de 1 500 euros à l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs et autres et la même somme à l'association Manche nature et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la Vents d'Oc centrale d'énergie renouvelable 16, à l'association pour le développement durable de l'ouest ornais et de ses environs désignée représentante unique par leur mandataire, à l'association Manche nature, au Comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie, au Groupement régional des associations de protection de l'environnement de Normandie, au Groupe mammalogique normand, au Groupe ornithologique normand et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de la Manche.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Quillévéré, président de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Penhoat, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 février 2024.

Le rapporteur

J.E. GEFFRAYLe président de chambre

Guy QUILLÉVÉRÉ

La greffière

A. MARCHAIS

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22NT0126302


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01263
Date de la décision : 09/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. QUILLÉVÉRÉ
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-09;22nt01263 ?
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