Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... et Mme B... D... épouse C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 mars 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 janvier 2021 des autorités consulaires françaises à Rabat (Maroc) refusant de délivrer à M. C... un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.
Par un jugement n° 2114600 du 4 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de délivrer à M. C... le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 août 2022 le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 juillet 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le mariage présente un caractère complaisant et révèle une situation de fraude dans le seul but de faciliter l'établissement de M. C... en France ; Mme C... présente une situation de grande vulnérabilité ;
- M. C... représente une menace pour l'ordre public.
Par un mémoire en défense, enregistrée le 9 juin 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Calonne, concluent au non-lieu à statuer sur la requête du ministre, subsidiairement à son rejet, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- il y a non-lieu à statuer dès lors que le visa long séjour sollicité a été délivré le 23 septembre 2022 ;
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- la décision de la commission est entachée d'une insuffisance de motivation ;
- les stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant sont méconnues.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 juin 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... C..., ressortissant marocain né en 1981, a épousé le 18 juillet 2016 à Boulogne-sur-Mer Mme B... D..., ressortissante française née en 1983. M. C... a présenté une demande de visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française auprès des autorités consulaires françaises à Rabat (Maroc). Ces autorités ont refusé de lui délivrer le visa sollicité le 6 janvier 2021. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 4 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Nantes, à la demande de M. et Mme C..., a annulé la décision du 31 mars 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant leur recours formé contre la décision consulaire.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Il ressort des pièces du dossier que, pour l'exécution du jugement attaqué, et après le rejet de la requête tendant à ce que la cour prononce le sursis à exécution de ce jugement par une ordonnance du 15 septembre 2022 du président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes, le ministre de l'intérieur a délivré le 23 septembre 2022 un visa d'entrée et de long séjour à M. C.... Cette circonstance ne prive pas d'objet la requête d'appel du ministre de l'intérieur dirigée contre le jugement prononçant l'annulation de la décision du 31 mars 2021 refusant à l'intéressé la délivrance de ce visa. Dès lors, l'exception de non-lieu opposée par M. et Mme C... doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. L'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : " Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de ressortissant français. Il ne peut être refusé qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. ". En application de ces dispositions, il appartient en principe aux autorités consulaires ou diplomatiques de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir, sur la base d'éléments précis et concordants, que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa.
4. La décision du 31 mars 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France rejetant le recours formé par M. et Mme C... contre le refus de visa opposé à la demande de visa long séjour présentée par M. C... en qualité de conjoint d'une ressortissante française oppose une fraude au mariage et le fait que M. C... a fait l'objet d'un signalement au système d'information Schengen.
5. Il ressort des pièces au dossier que M. et Mme C..., respectivement nés en 1981 et 1983, se sont rencontrés en 2014 puis se sont unis le 18 juillet 2016 à Boulogne-sur-Mer. Les pièces au dossier établissent que le couple a vécu ensemble au domicile de Mme C... avant le départ de ce dernier pour le Maroc le 12 juillet 2017 en conséquence d'une obligation de quitter le territoire français intervenue le 5 janvier 2017, avec une interdiction de retour sur le territoire national pour une période de trois ans. Le 20 octobre 2017 une enfant, A... C..., est née de leur relation. Mme C..., ainsi que l'enfant du couple, se sont ensuite rendues au Maroc au printemps 2018 et à l'été 2019, afin de rejoindre M. C... et sa famille. Il est par ailleurs établi que le couple a effectué des déclarations de revenus communes, que M. C... est pris en compte par la caisse d'allocations familiales pour le calcul des droits sociaux de Mme C... et que différents contrats en lien avec leur domicile sont établis au nom du couple. Il est au surplus établi que depuis son retour en France en septembre 2022, M. C... vit au domicile familial et travaille depuis 2023. La circonstance que Mme C... présenterait une situation de handicap est à cet égard sans incidence. Dans ces conditions, en se fondant sur le caractère complaisant du mariage contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a fait valoir devant la cour un nouveau motif fondé sur la situation constatée à la date de cette décision, tiré de ce que M. C... représenterait une menace pour l'ordre public. Cependant la note blanche produite à cet effet n'impute aucun fait précis imputable directement à l'intéressé à l'exception de propos publics à caractère raciste et antisémite tenus en janvier 2017 par une fille mineure de Mme C..., née d'une précédente union, qui seraient la reprise de propos tenus par M. C... dans la sphère familiale. Toutefois la même note relève à la fois la fragilité de cette enfant en conséquence de la séparation conflictuelle de ses parents et le fait qu'aucune radicalisation religieuse ou prosélytisme de ce type ne peut être imputé à M. C.... Le fait que M. C... s'est marié en 2009 avec une ressortissante française, dont il a divorcé en 2012, ainsi que la circonstance qu'il a fait l'objet de différentes procédures de reconduite à la frontière suite à sa séparation d'avec sa première épouse, puis en conséquence de son retour irrégulier en France en 2012, tout comme son signalement au système d'information Schengen pour un motif non précisé, ne caractérisent pas la menace à l'ordre public alléguée. Par conséquent, ces éléments ne sont pas davantage de nature à fonder légalement le refus de visa sollicité en qualité de conjoint d'une ressortissante française et la demande de substitution de motif présentée par le ministre ne peut être accueillie.
8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 31 mars 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer à M. C... le visa sollicité dans un délai de deux mois.
Sur les frais d'instance :
9. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Calonne dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Calonne une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. et Mme E... et B... C....
Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.
Le président de la formation de jugement, rapporteur,
C. RIVAS
L'assesseure la plus ancienne dans le grade le plus élevé,
C. ODY
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02767