Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Cotonou (République du Bénin) lui refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour, en qualité de parent d'enfants français.
Par un jugement n° 2114480 du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- Mme B... n'établit pas avoir contribué de façon régulière à l'entretien et à l'éducation de ses enfants et ne justifie pas disposer de ressources financières suffisantes pour la durée de sa présence en France ;
- la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me Martin, conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au ministre de lui délivrer un visa de long séjour au titre du regroupement familial dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce que soit mis à la charge de l'État le versement de la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante béninoise née le 9 août 1974, a sollicité la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en qualité de parent d'enfants français, les jeunes C... A..., née le 31 mars 2006 et D... A..., né le 27 octobre 2010. Par une décision implicite née le
30 octobre 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par Mme B... contre la décision de refus des autorités consulaires françaises de Cotonou (Bénin) de lui délivrer le visa sollicité. Par un jugement du 11 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B..., la décision implicite de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que par jugement rendu le 20 avril 2015, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Strasbourg, a décidé que Mme B..., dont la filiation maternelle avec les deux enfants n'est pas contestée par le ministre, exerce, en commun avec le père des enfants, M. A..., l'autorité parentale sur la jeune C... A..., et a rappelé que l'exercice en commun de l'autorité parentale " implique que les deux parents ont les mêmes droits et devoirs à l'égard de l'enfant ". Mme B... soutient ne pas avoir revu sa fille, C..., depuis 7 ans, après son départ pour la France en 2014 à l'âge de 8 ans et son fils, D... depuis 4 ans, après son départ en 2017 à l'âge de 7 ans. La circonstance, invoquée par le ministre, qu'elle n'a pas saisi le juge aux affaires familiales pour faire valoir ses droits de visite auprès du père des enfants qui, malgré ses nombreuses demandes, n'a pas fait le nécessaire pour les emmener en vacances au Bénin, n'est pas de nature à priver l'intéressée de la possibilité de présenter une demande de visa pour motif familial. Il ressort également des pièces du dossier que les jeunes C... et D..., âgés à la date de la décision contestée de 15 et 11 ans, ont exprimé chacun dans des lettres très personnelles, et non stéréotypées contrairement à ce que soutient le ministre, le besoin de retrouver leur mère et qu'étant de nationalité française, ils sont en droit de disposer d'une vie privée et familiale sur le territoire dans lequel ils ont vocation à demeurer. Enfin,
Mme B... a adressé au père des enfants des mandats financiers pour contribuer à l'entretien et à l'éducation de ces derniers, sans que le ministre ne puisse opposer leur faible nombre, Mme B... expliquant avoir opté pour l'envoi de sommes élevées, et soutient leur avoir fait parvenir également de l'argent par le biais d'intermédiaires physiques.
4. Dans ces conditions, en refusant aux jeunes C... A... et D... A..., la délivrance des visas sollicités, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a méconnu des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B..., la décision implicite de rejet de la commission de recours.
Sur les conclusions de Mme B... à fin d'injonction, sous astreinte :
6. L'article 2 du jugement attaqué a fait droit aux conclusions à fin d'injonction présentées devant le tribunal par Mme B.... Les conclusions présentées, de nouveau, à cette fin par l'intéressée devant la cour sont donc sans objet. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir d'une astreinte l'injonction prononcée par le tribunal.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme E... B....
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Dias, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2024.
La rapporteure,
I. MONTES-DEROUETLa présidente,
C. BUFFET
Le greffier,
R. MAGEAU
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT02888