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19/01/2024 | FRANCE | N°23NT00034

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 19 janvier 2024, 23NT00034


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, la société Pyragric Industrie, la société Ardi SA, la société Ukoba Industrie, la société Jacques Prévot Artifices et la société Brézac Artifices ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a interdit la vente et l'utilisation des artifices dits de divertissement, à l'occasion des fêtes de fin d'année, dans ce dép

artement.



Par un jugement n° 2005761 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, la société Pyragric Industrie, la société Ardi SA, la société Ukoba Industrie, la société Jacques Prévot Artifices et la société Brézac Artifices ont demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a interdit la vente et l'utilisation des artifices dits de divertissement, à l'occasion des fêtes de fin d'année, dans ce département.

Par un jugement n° 2005761 du 17 novembre 2022, le tribunal administratif de Rennes a annulé cet arrêté en tant qu'il interdit l'achat, la vente, la cession, l'utilisation, le port et le transport des artifices de divertissement et des articles pyrotechniques des catégories C1 et F1 et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2023, le Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, la société Pyragric Industrie, la société Ardi SA, la société Ukoba Industrie et la société Jacques Prévot Artifices, représentés par Me Boivin, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2005761 du tribunal administratif de Rennes du 17 novembre 2022, en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leur demande ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 décembre 2020 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a interdit la vente et l'utilisation des artifices dits de divertissement, à l'occasion des fêtes de fin d'année, dans ce département ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les premiers juges n'ont pas motivé leur rejet du moyen relatif à l'absence de compétence du préfet d'Ille-et-Vilaine pour prendre des actes restrictifs à l'encontre des artifices de catégories 1 et 4 en raison de l'article 4 de la directive 2013/29/UE du 12 juin 2013 ;

- le préfet d'Ille-et-Vilaine a méconnu l'article 4 de cette directive, qui n'autorise des restrictions que dans le seul périmètre des catégories 2 et 3 ;

- le préfet d'Ille-et-Vilaine a empiété sur le domaine de compétence réservé au ministre par les dispositions du code de l'environnement en matière de police des activités pyrotechniques alors que son arrêté n'est pas justifié par des raisons impérieuses liées à des circonstances locales ; il compromet la cohérence et l'efficacité des mesures prises par le ministre ;

- les premiers juges ont considéré à tort que le préfet avait pu fonder l'arrêté contesté sur l'article R. 557-1-2 du code de l'environnement ;

- l'arrêté contesté est disproportionné et contraire à la liberté du commerce et de l'industrie ; il risque de favoriser le marché noir et la vente, sans contrôles, sur internet de produits potentiellement dangereux ; les dispositions pénales existantes pour assurer la police des activités pyrotechniques rendent inutile l'arrêté litigieux ; la plupart des artifices ne présentent pas de risque de détournement et sont peu dangereux ; il est inutile et redondant s'agissant des artifices de catégorie 4, qui ne sont pas ouverts à la vente au grand public ; il n'est pas justifié par un risque terroriste, ni aucune circonstance locale ; il ne distingue pas l'usage public et privé et la situation des artificiers agréés par le préfet.

Par une ordonnance du 8 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 juillet 2023.

Un mémoire produit par le ministre de l'intérieur et des outre-mer a été enregistré le 12 septembre 2023.

Un mémoire produit par les requérants a été enregistré le 9 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2013/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'environnement ;

- le décret n° 2010-455 du 4 mai 2010 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me de Prémorel, substituant Me Boivin, pour le Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, la société Pyragric Industrie, la société Ardi SA, la société Ukoba Industrie et la société Jacques Prévot Artifices.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 11 décembre 2020, le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé d'interdire l'achat, la vente et la cession des artifices de divertissement et des articles pyrotechniques des catégories C1, F1, C2, F2, C3, F3, C4 et F4, ainsi que leur utilisation, leur port et leur transport, sur l'ensemble du territoire du département à compter du 12 décembre 2020 à 0h00 jusqu'au 3 janvier 2021 à 24h00. Le Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices (SFEPA) ainsi que les sociétés Pyragric Industrie, Ardi SA, Ukoba Industrie, Jacques Prévot Artifices et Brézac Artifices ont contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Rennes. Celui-ci, par un jugement du 17 novembre 2022, a annulé cet arrêté en tant qu'il interdit l'achat, la vente, la cession, l'utilisation, le port et le transport des artifices de divertissement et des articles pyrotechniques des catégories C1 et F1. Le Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, la société Pyragric Industrie, la société Ardi SA, la société Ukoba Industrie et la société Jacques Prévot Artifices relèvent appel du jugement du 17 novembre 2022, en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 557-6-3 du code de l'environnement : " Les articles pyrotechniques sont classés par catégorie comme suit : 1o Artifices de divertissement : a) Catégorie F1: artifices de divertissement qui présentent un risque très faible et un niveau sonore négligeable et qui sont destinés à être utilisés dans des espaces confinés, y compris les artifices de divertissement destinés à être utilisés à l'intérieur d'immeubles d'habitation ; b) Catégorie F2: artifices de divertissement qui présentent un risque faible et un faible niveau sonore et qui sont destinés à être utilisés à l'air libre, dans des zones confinées ; c) Catégorie F3: artifices de divertissement qui présentent un risque moyen, qui sont destinés à être utilisés à l'air libre, dans de grands espaces ouverts et dont le niveau sonore n'est pas dangereux pour la santé humaine ; d) Catégorie F4: artifices de divertissement qui présentent un risque élevé et qui sont destinés à être utilisés uniquement par des personnes ayant des connaissances particulières (également désignés par l'expression "artifices de divertissement à usage professionnel") et dont le niveau sonore n'est pas dangereux pour la santé humaine ; / 2o Articles pyrotechniques destinés au théâtre : (...) / 3o Autres articles pyrotechniques : (...) ".

3. L'article R. 557-6-1 du code de l'environnement définit un article pyrotechnique comme " tout article contenant des substances explosives ou un mélange explosif de substances conçues pour produire de la chaleur, de la lumière, des sons, des gaz, de la fumée ou une combinaison de ces effets par une réaction chimique exothermique auto-entretenue ". Selon le même article, un artifice de divertissement est un article pyrotechnique destiné au divertissement. En vertu du 1° de l'article R. 557-6-3 du même code, les artifices de divertissement sont classés en quatre catégories, de F1 à F4, en fonction des risques de sécurité qu'ils présentent, de leur niveau sonore et de leurs conditions d'utilisation. Par ailleurs, il résulte des dispositions de l'article L. 557-8 et du II de l'article R. 557-6-13 du même code que l'acquisition, la détention et l'utilisation des produits de type F4 sont réservées aux personnes titulaires d'un certificat de formation ou d'une habilitation délivrés par un organisme agréé par le ministre chargé de la sécurité industrielle, ainsi que, en vertu de l'article 5 du décret du 31 mai 2010 relatif à l'acquisition, la détention et l'utilisation des artifices de divertissement et des articles pyrotechniques destinés au théâtre, de l'agrément préfectoral prévu par le 2° de l'article 4 s'agissant des artifices de divertissement conçus pour être lancés par un mortier.

4. En premier lieu, dès lors que l'article 5 de l'arrêté contesté soustrait les professionnels disposant des agréments et habilitations requis aux interdictions qu'il prononce, il est dépourvu d'effet en ce qui concerne les artifices de divertissements et des articles pyrotechniques, réservés aux professionnels, relevant des catégories F4 et C4. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que l'arrêté litigieux méconnaîtrait l'article 4 de la directive 2013/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013, en tant qu'il interdit de restreindre la libre circulation de ces marchandises, ou les dispositions du code de l'environnement et du code général des collectivités territoriales qu'ils invoquent.

5. En second lieu, il appartient au juge administratif, saisi d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une mesure prise en vertu des pouvoirs de police que le préfet tient des dispositions des articles L. 2212-2 et L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, de vérifier qu'elle est justifiée par la nécessité de prévenir ou faire cesser un trouble à l'ordre public et de contrôler son caractère proportionné en tenant compte de ses conséquences pour les personnes dont elle affecte la situation, en particulier lorsqu'elle apporte une restriction à l'exercice de droits.

6. Les motifs de l'arrêté contesté tirés des nuisances sonores et des accidents que provoque, de manière générale, l'usage des artifices de divertissements, faute de s'appuyer sur des circonstances locales particulières relevant d'une atteinte caractérisée à l'ordre public, ne sauraient faire obstacle à l'exercice des activités économiques liées à la vente de ces marchandises autorisées, sans porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie. Si cet arrêté est également motivé par le risque que les détonations d'artifices créent des désordres sur la voie publique et des mouvements de panique, dans le contexte du plan Vigipirate contre les risques d'attentats, et provoquent des alertes inutiles des forces de l'ordre, il n'est pas justifié que la période d'application des interdictions prononcées et le département d'Ille-et-Vilaine présentaient un risque particulier à cet égard. En outre, les éléments produits par l'administration au sujet de la gravité de la situation sanitaire dans le département, notamment au regard des capacités maximales de lits en services d'urgences relevées par l'agence régionale de santé (ARS), ne permettent pas d'établir que les diverses interdictions concernant les artifices de divertissement, prévus pour un usage en extérieur, étaient nécessaires pour éviter un engorgement des services hospitaliers du fait de l'épidémie de covid-19, sachant que le département d'Ille-et-Vilaine n'était plus concerné par l'état d'urgence sanitaire depuis le décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 et la liste des zones de circulation active du virus depuis le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 et ne faisait pas partie des départements concernés par un couvre-feu particulier à compter de cette date. Enfin, si l'arrêté contesté est également fondé sur le fait que les artifices de divertissement peuvent être détournés de leur usage normal, comme armes par destination, à l'encontre des forces publiques, il ressort des pièces du dossier que seuls certains artifices de divertissement des catégories F2/C2 et F3/C3 sont susceptibles de faire l'objet de tels détournements, ce qui a justifié, par la suite, qu'ils fassent l'objet d'un traitement spécifique dans l'arrêté du ministre de l'intérieur du 17 décembre 2021 portant application des dispositions des articles L. 557-10-1 et R. 557-6-14-1 du code de l'environnement et le risque ainsi allégué ne se distingue pas du risque général qu'un objet soit utilisé comme projectile dangereux contre les forces de l'ordre ou les biens. A cet égard, si les éléments au dossier permettent d'attester de nombreuses attaques par feux d'artifices survenues à Rennes en 2019 et 2020, à l'encontre des forces de l'ordre, la note de police du 2 janvier 2020, produite par le préfet en première instance, faisant le bilan de la nuit de la Saint-Sylvestre en Bretagne, constate un bilan moins grave des violences urbaines que l'année précédente, sans faire état de la moindre problématique liée à l'usage d'engins pyrotechniques et ne mentionne que deux incidents en dehors de la ville de Rennes, sans violence à l'égard des pompiers ou des policiers. Ces éléments ne permettent pas de justifier la nécessité d'une intervention préfectorale dont le champ d'application excède le territoire de cette commune. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté du 11 décembre 2020 n'est pas justifié par des circonstances locales suffisantes pour fonder le caractère général des mesures litigieuses, qui doivent donc être regardées comme disproportionnées. Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que l'arrêté contesté est illégal en tant qu'il édicte l'interdiction des artifices de divertissement des catégories F2/C2 et F3/C3.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices et autres sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes n'a pas annulé l'arrêté du 11 décembre 2020 du préfet d'Ille-et-Vilaine en tant que l'interdiction édictée visait les artifices des catégories F2, C2, F3 et C3.

Sur les frais liés au litige :

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 500 euros à verser aux requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté du 11 décembre 2020 du préfet d'Ille-et-Vilaine est annulé en tant qu'il édicte une interdiction des artifices de divertissement des catégories F2, C2, F3 et C3.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 17 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des requérants est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera la somme globale de 1 500 euros au Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, à la société Pyragric Industrie, à la société Ardi SA, à la société Ukoba Industrie et à la société Jacques Prévot Artifices, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au Syndicat des fabricants d'explosifs, de pyrotechnie et d'artifices, en sa qualité de représentant unique, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie du présent jugement sera adressée au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 2 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2024.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00034


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00034
Date de la décision : 19/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : SCP BOIVIN & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-19;23nt00034 ?
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