La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/01/2024 | FRANCE | N°22NT02601

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 16 janvier 2024, 22NT02601


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme E... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 14 avril 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du

29 décembre 2020 de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.



Par

un jugement n° 2113283 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.



P...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 14 avril 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du

29 décembre 2020 de l'autorité consulaire française à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2113283 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 août 2022 Mme E... A... et Mme C... B..., représentées par Me Le Floch, demandent à la cour :

1°) de les admettre à l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 juin 2022 ;

3°) d'annuler la décision du 14 avril 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros ou, en cas de rejet de la demande d'aide juridictionnelle ou d'admission à l'aide juridictionnelle partielle, le versement à leur profit de la même somme sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elles soutiennent que :

- la décision contestée méconnait les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que l'identité et le lien familial sont établis ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 août 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... et Mme B... ne sont pas fondés et reprend ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Dubost a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne née le 2 juillet 1978, s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 15 septembre 2017. Mme C... B..., qu'elle présente comme sa fille adoptive, a déposé une demande de visa de long séjour auprès des autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) en qualité de membre de famille de réfugiée, demande qui a été rejetée le 24 septembre 2020. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 14 avril 2021. Mme A... et Mme B... ont alors saisi le tribunal administratif de Nantes. Elles relèvent appel du jugement de ce tribunal du 7 juin 2022 rejetant leur demande.

Sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire :

2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée (...) par la juridiction compétente (...). ".

3. Compte tenu à la fois de la nature, de la date à laquelle la requête a été introduite devant la cour par les requérantes et de l'absence de toute réponse donnée à l'invitation qui leur a été faite par le greffe de présenter un dossier d'aide juridictionnelle, il n'y a pas lieu en l'espèce d'accorder à Mmes A... et B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises à Conakry, sur la circonstance que Mme B... ne satisfaisait pas à la condition d'âge définie par les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que l'identité de la demanderesse ainsi que son lien familial avec Mme A... n'étaient pas établis.

5. En premier lieu, aux termes de l'article L.752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561- 5 du même code : " I. -Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...) II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

6. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction applicable au litige prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

7. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

8. D'abord, pour justifier de son identité, Mme B... a produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu le 22 avril 2020 par la justice de paix de Yomou ainsi que sa transcription du 22 avril 2020 par l'officier d'état civil délégué de la commune urbaine de Yomou et un passeport. L'ensemble de ces documents comportent des mentions parfaitement identiques quant à l'état civil de Mme B..., née le 26 août 2002 à Yomou de M. F... et de Mme G... D..., décédés en 2011, et en comprennent les mentions essentielles. Si le ministre fait valoir que le jugement supplétif d'acte de naissance ainsi que sa transcription auraient été rendus plus de quatre ans après l'arrivée en France de Mme A... sur la requête d'un tiers non habilité et qu'ils auraient été prononcés le même jour que les jugements supplétifs d'actes de décès des parents de l'intéressée, de telles circonstances ne sont pas de nature à établir le caractère frauduleux du jugement supplétif d'acte de naissance du 22 avril 2020 mentionné précédemment. Par ailleurs, si Mme B... a également produit le volet n°1 de l'extrait d'acte de naissance dressé le 3 septembre 2002, dont les mentions sont identiques à celles des autres documents communiqués, et dont le ministre allègue, sans le démontrer, que les numéros du registre et du feuillet de l'extrait d'acte de naissance seraient incohérents, ces circonstances ne permettent pas d'établir le caractère frauduleux du jugement supplétif rendu postérieurement. Par suite, le caractère frauduleux du jugement supplétif d'acte de naissance de Mme B... et le caractère non probant de sa transcription ne sont pas établis par les pièces du dossier.

9. Ensuite, pour justifier du lien de filiation avec Mme A..., ont été produits des jugements supplétifs d'actes de décès de M. F... et de Mme G... D..., parents biologiques de Mme B..., rendus le 22 avril 2020 par la justice de paix de Yomou ainsi qu'un jugement rendu le 2 mai 2020 par la même juridiction prononçant l'adoption plénière de Mme B... par Mme A.... Toutefois, d'une part, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir que le tiers ayant donné son consentement à l'adoption de l'intéressée y aurait été habilité, d'autre part, alors que le jugement prononce l'adoption plénière de Mme B..., il n'en modifie pas l'état civil, lequel continue de faire état de sa filiation biologique, et des procès-verbaux du conseil de famille ont été dressés postérieurement à ce jugement d'adoption afin d'autoriser Mme B... à rejoindre Mme A... en France et ainsi à déposer une demande de visa. De telles circonstances sont de nature à établir le caractère frauduleux de ce jugement. Dans ces conditions, alors même que Mme A... a déclaré Mme B... comme étant sa fille lors de l'instruction de sa demande d'asile et a versé aux débats quelques attestations peu circonstanciées de tiers et des preuves de mandats financiers à différentes personnes dont le lien avec Mme B... n'est au demeurant pas démontré, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas fait une inexacte application des dispositions citées aux points 5 et 6 du présent arrêt en estimant que le lien familial à l'égard de Mme A... n'était pas établi.

10. En second lieu, comme il a été dit au point précédent, le lien familial de la demanderesse de visa avec Mme A... n'étant pas établi, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la demande de substitution de motifs présentée par le ministre en défense, que Mme A... et Mme B..., ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la requête de Mme A... et de Mme B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par la requérante doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par Mme B... ainsi que celle demandée par le conseil de Mme A... et de Mme B... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Mme A... et Mme B... ne sont pas admises, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... et de Mme B... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A..., à Mme C... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Solène Le Floch.

Délibéré après l'audience du 21 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Rivas, président de la formation de jugement,

- Mme Ody, première conseillère,

- Mme Dubost, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2024.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président de la formation

de jugement,

C. RIVAS

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

S. PIERODÉ

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02601


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02601
Date de la décision : 16/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-16;22nt02601 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award