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15/01/2024 | FRANCE | N°23NT02027

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 15 janvier 2024, 23NT02027


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 décembre 2021 des autorités consulaires à Alger refusant de délivrer à Mme B... un visa de court séjour.



Par un jugement n° 2210905 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la d

cision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 décembre 2021 des autorités consulaires à Alger refusant de délivrer à Mme B... un visa de court séjour.

Par un jugement n° 2210905 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de faire délivrer un visa d'entrée et de court séjour à Mme B....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 mai 2023 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... et M. A....

Il soutient que :

- le tribunal administratif de Nantes, qui a annulé pour vice de procédure la décision de la commission, ne pouvait lui enjoindre de délivrer le visa sollicité ;

- le motif d'annulation retenu est erroné en fait, alors qu'il n'est pas établi que les intéressés ont régulièrement sollicité la communication des motifs de la décision de la commission ;

- un refus de visa s'imposait eu égard à l'insuffisance de ressources de Mme B... ; les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas méconnues ; le projet de mariage n'est pas vraisemblable et l'intention matrimoniale de Mme B... est questionnée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2023, M. A... et Mme B..., représentés par Me Pollono, concluent au rejet de la requête, subsidiairement à l'annulation de la décision contestée, à ce qu'il soit enjoint au ministre de délivrer le visa sollicité dans un délai de 15 jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai, plus subsidiairement de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros HT au bénéfice de leur conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés ;

- le visa sollicité sera délivré ; il appartenait à l'administration de démontrer que l'accueillant ne pouvait subvenir aux besoins de Mme B... ; la décision méconnait les stipulations des articles 8 et 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;

- le règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ;

- le règlement (CE) n° 810/2009 du 13 juillet 2009 du Parlement européen et du Conseil établissant un code communautaire des visas ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rivas,

- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, représentant M. A... et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B..., ressortissante algérienne, a sollicité la délivrance d'un visa de court séjour auprès des autorités consulaires françaises à Alger, afin de se marier avec M. A..., ressortissant français. Par une décision du 16 décembre 2021, ces autorités ont refusé de lui délivrer ce visa. Par une décision implicite née le 19 mars 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel du jugement du 9 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. A... et de Mme B..., la décision de la commission et lui a enjoint de délivrer un visa de court séjour. Par une décision du 22 septembre 2023 le président de la 5ème chambre de la cour a sursis à l'exécution de ce jugement jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la présente requête.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent./ A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : /(...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. " et aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation.

Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

3. Par ailleurs, aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable au litige : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a opposé un refus implicite, né le 7 avril 2022, au recours formé par M. A... et Mme B... contre la décision du 16 décembre 2021 des autorités consulaires françaises à Alger refusant de délivrer à cette dernière le visa de court séjour sollicité afin de se marier en France. Les intéressés soutiennent qu'ils ont sollicité de l'administration les motifs de la décision de la commission de recours. Cependant, dans un premier temps, il est constant que leur demande, enregistrée le 23 mai 2022 par la commission, n'était pas signée et qu'il leur a été demandé d'adresser un nouvel exemplaire signé. Or, ils n'établissent pas avoir régularisé cette demande dès lors que le document présenté à cet effet est étranger à la présente instance. Dans ces conditions, la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne peut être regardée comme ne satisfaisant pas à l'obligation de motivation.

5. En conséquence, le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission pour erreur de droit.

6. Il appartient, toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... et Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.

7. Il ressort des écritures du ministre que pour refuser le visa de court séjour sollicité par Mme B... afin de se marier en France, la commission a opposé d'une part le motif tiré de l'insuffisance des ressources du couple et de l'autre celui tiré du risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires.

8. En premier lieu, aux termes de l'article 10 de la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990 : " 1. Il est institué un visa uniforme valable pour le territoire de l'ensemble des Parties contractantes. Ce visa (...) peut être délivré pour un séjour de trois mois au maximum (...) ". Aux termes de l'article 6 du règlement (CE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes dit " code frontières Schengen " : " 1. Pour un séjour prévu sur le territoire des États membres, d'une durée n'excédant pas 90 jours (...) les conditions d'entrée pour les ressortissants de pays tiers sont les suivantes : / (...) c) justifier l'objet et les conditions du séjour envisagé, et disposer de moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans leur pays d'origine ou le transit vers un pays tiers dans lequel leur admission est garantie, ou être en mesure d'acquérir légalement ces moyens ; / (...) 4. L'appréciation des moyens de subsistance se fait en fonction de la durée et de l'objet du séjour et par référence aux prix moyens en matière d'hébergement et de nourriture dans l'État membre ou les États membres concernés, pour un logement à prix modéré, multipliés par le nombre de jours de séjour. / (...) L'appréciation des moyens de subsistance suffisants peut se fonder sur la possession d'argent liquide, de chèques de voyage et de cartes de crédit par le ressortissant de pays tiers. (...). ". Aux termes de l'article 14 du même règlement : " 1. L'entrée sur le territoire des États membres est refusée au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas l'ensemble des conditions d'entrée énoncées à l'article 6, paragraphe 1, et qui n'appartient pas à l'une des catégories de personnes visées à l'article 6, paragraphe 5. / (...) 2. L'entrée ne peut être refusée qu'au moyen d'une décision motivée indiquant les raisons précises du refus. (...) ".

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est sans emploi en Algérie, où elle a bénéficié de subsides de son père avant son décès puis d'une pension de réversion mensuelle d'environ 23 euros. Elle explique par ailleurs qu'au décès de son père, sa mère lui a alloué une partie du rappel de la pension de réversion de 3 800 euros qui lui a été versée. Elle établit également disposer depuis 2004 d'un compte courant en euros auprès d'une banque algérienne qu'elle alimente régulièrement. Entre septembre 2021 et mai 2022, ce compte présentait un solde positif d'au moins 3 500 euros compte-tenu d'un apport crédité le 26 septembre 2021. Au surplus, en août 2023, ce même compte présente toujours un solde positif de 4 910 euros. Alors que Mme B... sera hébergée chez M. A..., ce montant de 3 500 euros constitue un montant adapté au séjour d'une durée de quatre-vingt-dix jours de séjour pour lequel le visa a été sollicité. Contrairement à ce que soutient le ministre, aucune pièce du dossier ne permet d'établir que Mme B... n'aurait pas effectivement disposé du montant en cause à la date de la décision contestée. Dans ces conditions, alors même que l'origine de ces fonds n'est pas précisément apportée, en retenant l'insuffisance des ressources de Mme B... pour refuser de délivrer le visa de court séjour demandé, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point précédent.

10. En second lieu, l'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires.

11. Il ressort des pièces du dossier que M. A... et Mme B... se connaissent depuis 2017 et se sont fiancés en Algérie en 2018, où M. A... a notamment séjourné pendant plus d'un mois à l'automne 2018 et où il a rencontré la famille et des amis de Mme B.... Il est également établi que les bans en vue de leur union ont été publiés le 13 octobre 2021, dans la perspective d'un mariage à conclure après l'obtention du visa sollicité en 2021, et que cette union a été programmée le 1er octobre 2022 à la mairie de Mordelles (Ille-et-Vilaine). Il est par ailleurs établi que tant les amis et la famille de M. A..., que ceux de Mme B..., ont tissé des liens réguliers avec ces derniers par les réseaux sociaux. Si Mme B... explique avoir sollicité des visas pour gagner la France, y compris auprès de l'Espagne et de Malte, elle explique qu'il s'agissait de pouvoir revoir M. A.... Dans ces conditions, le motif tiré du risque de détournement de l'objet du visa n'est pas établi à des fins étrangères au projet de mariage et n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa de court séjour sollicité.

Sur les frais d'instance :

13. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme D... B... et à M. C... A....

Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Degommier, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 janvier 2024.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

S. DEGOMMIER

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT02027


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT02027
Date de la décision : 15/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-15;23nt02027 ?
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