Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... A... et M. B... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 21 juillet 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer des visas de long séjour à Mme A... et à l'enfant Thierno C... A... en qualité de bénéficiaires d'une mesure de regroupement familial.
Par un jugement n° 2110814 du 11 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à Mme A... et à l'enfant Thierno C... A... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 10 juin 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 avril 2022 E... administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que les éléments d'état-civil produits par les deux demandeuses de visa ont été établis frauduleusement et n'établissent pas leurs identités ; les éléments de possession d'état présentés sont insuffisants pour établir les liens allégués.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2022, Mme F... A... et M. B... A..., représentés par Me Richard, demandent à la cour de rejeter la requête et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés et que la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- et les observations de Me Richard, représentant M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant guinéen né le 12 janvier 1985, résidant régulièrement en France sous couvert d'une carte de résident, a sollicité le bénéfice du regroupement familial en faveur de Mme C... A..., née le 26 février 1995, et de l'enfant Thierno C... A..., née le 30 septembre 2016, qu'il présente respectivement comme sa conjointe et leur fille. Cette demande a été acceptée par une décision du préfet du Val-de-Marne du 25 mai 2020. Les demandes de visas déposées pour les intéressées en qualité de bénéficiaires de la procédure de regroupement familial ont toutefois été rejetées par une décision de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra-Leone du 17 mars 2021. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 21 juillet 2021. Par un jugement du 11 avril 2022, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 21 juillet 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer à Mme A... et à l'enfant Thierno C... A... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par une ordonnance du 28 juillet 2022 le président de la 5ème chambre a rejeté la demande de sursis à exécution de ce jugement présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. La décision du 21 juillet 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est motivée par le fait que les actes de naissance produits, avec une intention frauduleuse, ne permettent pas d'établir l'identité des deux demandeuses de visa et, s'agissant de l'enfant, son lien avec M. A....
3. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Sous réserve des engagements internationaux de la France ou du livre II, tout étranger âgé de plus de dix-huit ans qui souhaite séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois doit être titulaire de l'un des documents de séjour suivants : / 1° Un visa de long séjour ; (...). ". Et aux termes de l'article L. 434-2 du même code : " L'étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial : / 1° Par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans ; / 2° Et par les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Si la venue en France de ressortissants étrangers a été autorisée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'autorité consulaire use du pouvoir qui lui appartient de refuser leur entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.
4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ", ce dernier disposant que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. D'une part, il ressort des pièces du dossier qu'afin d'établir son identité Mme A... a initialement produit un jugement supplétif d'acte de naissance E... de première instance de Conakry II du 10 décembre 2013 indiquant qu'elle est née le 26 février 1995 et qu'elle est la fille de M. B... G... A... et de Mme D... A..., ainsi que l'acte de naissance établi en conséquence le 19 décembre 2013. Puis, elle a communiqué un nouveau jugement supplétif du 7 août 2018, au demeurant motivé, ainsi qu'un acte de naissance du 17 août suivant émanant du service d'état-civil de la commune de Dabola reprenant les mêmes informations. Ces jugements présentent des éléments identiques sur l'identité et la filiation de l'intéressée, la profession de son père étant précisé dans le premier jugement, et le domicile de ses parents étant indiqué dans les deux jugements. Le fait que l'acte de naissance établi en 2013 ne mentionne pas ces informations est à cet égard sans incidence, étant relevé que l'acte de naissance 2018 indique pour sa part le domicile des parents de Mme A.... Par ailleurs, il résulte des explications circonstanciées de Mme A... qu'elle a sollicité un nouvel acte de naissance en 2018, après l'intervention d'un nouveau jugement supplétif, afin de pouvoir disposer d'un passeport, la réglementation guinéenne imposant désormais la production d'un acte de naissance comportant un numéro personnel d'identification à treize chiffres. De fait, son passeport guinéen établi en 2020 est cohérent avec le numéro figurant sur acte de naissance de 2018. La circonstance que le second jugement supplétif est postérieur à l'engagement de la procédure de regroupement familial engagée par M. A... en 2017 n'est pas de nature à caractériser une fraude tout comme le fait que le classement de l'acte de naissance de Mme A... de 2018 dans les registres d'état-civil guinéen n'apparait pas cohérent.
7. D'autre part, afin d'établir l'identité de l'enfant il a été produit son acte de naissance, mentionnant notamment l'identité et les dates de naissance de ses parents ainsi que leurs professions. Il ressort de ce document que la mère de l'enfant a procédé à cette déclaration et non un tiers, alors même qu'elle n'a pas signé cet acte aux cotés de l'officier d'état-civil. Les circonstances que cet acte de naissance mentionne les dates sous forme de chiffres et qu'il figure dans un registre n° 9 alors qu'il porte le numéro 907 ne sont pas de nature à le priver de force probante.
8. Dans ces conditions, l'identité de Mme A... et celle de l'enfant Thierno C... A..., ainsi que la filiation de ce dernier, sont établies par les documents produits et c'est au terme d'une inexacte application des dispositions citées aux points 3 et 4 que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par M. et Mme A....
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 21 juillet 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités.
Sur les frais d'instance :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit à la demande présentée par M. et Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme A... une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme F... A... et à M. B... A....
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Rivas, président de la formation de jugement,
- Mme Ody, première conseillère,
- Mme Dubost, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.
Le président de la formation de jugement,
rapporteur,
C. RIVAS
L'assesseure la plus ancienne dans le grade le plus élevé,
C. ODY
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01810