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27/10/2023 | FRANCE | N°22NT01520

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 27 octobre 2023, 22NT01520


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... et Mme C... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 mars 2019 par lequel le préfet de la Sarthe a déclaré cessibles, au profit du département de la Sarthe, les parcelles cadastrées section AT nos 347 et 349 situées sur le territoire de la commune d'Yvré-l'Évêque.

Par un jugement n° 1904274 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, en

registrés les 16 mai et 12 et 20 décembre 2022, Mme A... et Mme E..., représentées par Me Cavelie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... et Mme C... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 mars 2019 par lequel le préfet de la Sarthe a déclaré cessibles, au profit du département de la Sarthe, les parcelles cadastrées section AT nos 347 et 349 situées sur le territoire de la commune d'Yvré-l'Évêque.

Par un jugement n° 1904274 du 14 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 mai et 12 et 20 décembre 2022, Mme A... et Mme E..., représentées par Me Cavelier, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 avril 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté de cessibilité pris par le préfet de la Sarthe le 5 mars 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et du département de la Sarthe, respectivement, les sommes de 5 000 euros et de 3 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence compte tenu du caractère trop général de la délégation consentie par le préfet de la Sarthe à son signataire, le secrétaire général de la préfecture ;

- l'arrêté contesté est privé de base légale dès lors que la déclaration d'utilité publique est elle-même entachée d'illégalité dans la mesure où le projet de création du chemin piétonnier litigieux est dépourvu d'utilité publique ;

- il ne répond pas à un but d'intérêt général et porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété ;

- en application de l'article L. 361-1 du code de l'environnement, l'expropriation était conditionnée par l'inscription du sentier de grande randonnée GR 36 au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) ;

- l'avis du commissaire enquêteur est vicié dès lors qu'il s'est fondé sur le critère inapplicable dans le bilan coûts-avantages de l'opération de la juste indemnisation des propriétaires expropriés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens des requérantes ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 décembre 2022, le département de la Sarthe, représenté par Me Rouhaud, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérantes une somme de 3 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens des requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Colas, pour le département de la Sarthe.

Une note en délibéré, présentée pour Mme A... et Mme E..., a été enregistrée le 11 octobre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 24 octobre 2018, le préfet de la Sarthe a déclaré d'utilité publique, au bénéfice du département de la Sarthe, " le projet d'aménagement de sécurité sur la RD 91 et de création d'un cheminement piéton " sur le territoire de la commune d'Yvré-l'Evêque et a autorisé ce département à acquérir, soit à l'amiable, soit par voie d'expropriation, les immeubles nécessaires à la réalisation de ce projet. Mmes A... et E..., propriétaires en indivision de deux parcelles concernées par l'opération, ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 5 mars 2019 du préfet de la Sarthe qui les a déclarées cessibles. Elles relèvent appel du jugement du 14 avril 2022 ayant rejeté leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le vice d'incompétence :

2. Aux termes de l'article L. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'autorité compétente déclare cessibles les parcelles (...) dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique. (...) ". Selon l'article R. 132-1 de ce code : " (...) le préfet du département où sont situées les propriétés ou parties de propriétés dont la cession est nécessaire les déclare cessibles, par arrêté ". Aux termes de l'article 43 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " Le préfet de département peut donner délégation de signature (...) : 1° En toutes matières et notamment pour celles qui intéressent plusieurs chefs des services des administrations civiles de l'Etat dans le département, au secrétaire général (...) ".

3. L'arrêté en litige a été signé au nom du préfet de la Sarthe par M. D... Baron en qualité de secrétaire général de la préfecture de ce département en vertu d'un arrêté du 11 décembre 2017 par lequel le préfet lui a délégué la signature de " tous arrêtés, décisions, circulaires et avis, relevant des attributions de l'Etat dans le département de la Sarthe à l'exception des propositions à la Légion d'Honneur et à l'Ordre National du Mérite ". Contrairement à ce que prétendent Mmes A... et E..., cette délégation n'est pas générale puisqu'elle prévoit des exceptions à la délégation des compétences exercées par le préfet. Elle est en tout état de cause conforme aux dispositions précitées du décret du 29 avril 2004. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente pour ce faire.

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de la déclaration d'utilité publique :

4. Mmes A... et E... soutiennent que l'arrêté de cessibilité du 5 mars 2019 est illégal en raison de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique du 24 octobre 2018.

5. En premier lieu, si dans ses conclusions et avis, remis le 20 juillet 2018, au sujet de l'utilité publique du projet, le commissaire enquêteur a estimé que les divergences existant avec Mmes A... et E... quant à la cession de leurs parcelles devraient être levées par leur juste indemnisation, circonstance effectivement dénuée de pertinence pour cette utilité publique, il a également relevé, au regard de la surface de 3 158 m² en cause, la limitation par le département des nuisances visuelles au droit de leur terrain depuis le chemin piétonnier à créer et le fait " que les atteintes à la propriété privée sont minimes par rapport à la nécessité de sécurisation de la route ", pour rendre un avis favorable sur ce projet. Ces circonstances suffisaient pour fonder légalement son avis. Par suite, Mmes A... et E... ne sont pas fondées à soutenir que cet avis serait vicié.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 361-1 du code de l'environnement : " Le département établit, après avis des communes intéressées, un plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée. / Les itinéraires inscrits à ce plan peuvent emprunter des voies publiques existantes, des chemins relevant du domaine privé du département ainsi que les emprises de la servitude destinée à assurer le passage des piétons sur les propriétés riveraines du domaine public maritime en application de l'article L. 121-31 du code de l'urbanisme. Les itinéraires inscrits à ce plan peuvent emprunter les emprises de la servitude de marchepied mentionnée à l'article L. 2131-2 du code général de la propriété des personnes publiques. Ils peuvent également, après délibération des communes concernées, emprunter des chemins ruraux et, après conventions passées avec les propriétaires intéressés, emprunter des chemins ou des sentiers appartenant à l'Etat, à d'autres personnes publiques ou à des personnes privées. Ces conventions peuvent fixer les dépenses d'entretien et de signalisation mises à la charge du département. / Toute aliénation d'un chemin rural susceptible d'interrompre la continuité d'un itinéraire inscrit sur le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée doit, à peine de nullité, comporter soit le maintien, soit le rétablissement de cette continuité par un itinéraire de substitution. Toute opération publique d'aménagement foncier doit également respecter ce maintien ou cette continuité. / La circulation des piétons sur les voies et chemins inscrits au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, ou ceux identifiés pour les chemins privés, après conventions passées avec les propriétaires de ces chemins, par les communes et les fédérations de randonneurs agréées s'effectue librement, dans le respect des lois et règlements de police et des droits des riverains. / Les maires, en vertu de leur pouvoir de police, peuvent, le cas échéant, réglementer les conditions d'utilisation de ces itinéraires. ".

7. Il ne résulte pas de ces dispositions, contrairement à ce que prétendent Mmes A... et E..., que pour exproprier leurs parcelles il fallait que le chemin de grande randonnée GR 36 soit inscrit au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR) de la Sarthe.

8. En troisième et dernier lieu, une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d'ordre social, la mise en cause de la protection et de la valorisation de l'environnement, et l'atteinte éventuelle à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.

9. D'une part, Mmes A... et E... ne contestent pas l'utilité publique du projet de sécurisation de la route départementale RD 91 mais uniquement celle du chemin piétonnier envisagé le long de cette voie. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que ce chemin participera à la sécurisation de cette voie, en particulier pour les piétons et les cyclistes, le commissaire enquêteur ayant notamment relevé au sujet de la RD 91 " il me parait quasiment impossible d'emprunter cette route à pied ou en vélo aux heures de pointe " et que la variante retenue " permet d'améliorer considérablement la sécurité des usagers : les piétons emprunteront la voie douce, complètement protégés des véhicules motorisés, les cyclistes auront la possibilité de l'emprunter... ". A cet égard, la circonstance alléguée par les requérantes que le nombre de piétons empruntant cette voie n'est pas déterminé et serait insuffisant pour justifier un tel projet, est contredite par le nombre de personnes ayant signé une pétition en sa faveur et ayant fait des observations au sujet de la dangerosité des lieux lors de l'enquête publique. En outre, le faible nombre allégué des personnes mises en danger ne peut suffire à dénier le caractère d'utilité publique du projet, établi notamment par la notice explicative du dossier d'enquête qui souligne le caractère particulièrement dangereux de cette section de la RD 91, pour tous les modes de circulation, compte tenu de sa configuration et de son environnement. De même, les circonstances mises en avant par les requérantes que l'opération serait en fait destinée à profiter à Le Mans métropole et pas au département de la Sarthe et que l'emplacement réservé dans le plan local d'urbanisme (PLU) pour établir cette voie douce était en fait intitulé " terrains pour l'aménagement des talus de la RD 91 " ne sont pas de nature à dénier l'utilité publique des travaux prévus. Il ressort en effet des pièces du dossier que l'aménagement envisagé constitue une opération globale d'amélioration de la sécurité comportant une stabilisation des talus existants, une amélioration de l'assainissement pluvial routier, la création de nouveaux accotements, l'amélioration de la visibilité dans les courbes et la sécurisation des déplacements non motorisés par la création d'un cheminement piéton. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le projet ne répondrait pas à une finalité d'intérêt général.

10. D'autre part, comme l'a estimé le commissaire enquêteur, le projet litigieux eu égard à son utilité manifeste pour sécuriser les lieux et au fait que des mesures ont été prises pour limiter les nuisances visuelles au droit des terrains riverains depuis le chemin, ne présente pas d'atteinte excessive à la propriété privée, en dépit du fait qu'il emporte expropriation des deux parcelles litigieuses pour une surface totale de 3 158 m², alors surtout qu'il ressort des pièces du dossier que l'emprise du projet n'affectera que les bordures de parcelles.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 5 à 10 que doit être écarté le moyen tiré par les requérantes, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'arrêté du 24 octobre 2018 portant déclaration d'utilité publique du projet en cause.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mmes A... et E... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et du département de la Sarthe, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement des sommes que Mmes A... et E... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de celles-ci la somme globale de 1 500 euros, à verser au département de la Sarthe, sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... et de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Mmes A... et E... verseront la somme globale de 1 500 euros au département de la Sarthe sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Mme C... E..., au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au département de la Sarthe.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Sarthe en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01520


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01520
Date de la décision : 27/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : CAVELIER

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-27;22nt01520 ?
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