La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/10/2023 | FRANCE | N°22NT01325

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 27 octobre 2023, 22NT01325


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de Rennes à leur verser une somme de 104 383,02 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa décision de préemption du 7 avril 2016.

Par un jugement n° 2003111 du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné la commune de Rennes à leur verser une somme de 10 030 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un m

émoire, enregistrés les 3 mai 2022 et 18 janvier 2023, MM. D... et B..., représentés par Me ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner la commune de Rennes à leur verser une somme de 104 383,02 euros en réparation des préjudices subis du fait de sa décision de préemption du 7 avril 2016.

Par un jugement n° 2003111 du 21 mars 2022, le tribunal administratif de Rennes a condamné la commune de Rennes à leur verser une somme de 10 030 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 mai 2022 et 18 janvier 2023, MM. D... et B..., représentés par Me Lahalle, demandent à la cour :

1°) de porter à 95 844,02 euros la somme que la commune de Rennes a été condamnée à leur verser en réparation des préjudices subis ;

2°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 mars 2022 en ce qu'il a limité la condamnation de la commune de Rennes à la somme de 10 030 euros ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Rennes une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- l'illégalité constatée par le tribunal administratif de Rennes dans son jugement du 28 décembre 2018 est fautive, ce qui justifie la mise en cause de la responsabilité de la commune de Rennes dès lors qu'elle leur a causé des préjudices en faisant obstacle à la réalisation de la promesse de vente ;

- Rennes métropole ne pouvait pas prendre la même décision et ne pouvait pas céder le bien à la commune de Rennes ;

- l'inertie de la commune de Rennes à exécuter le jugement du 28 décembre 2018 est fautive et leur a causé préjudice ;

- du fait des fautes commises, ils ont dû exposer inutilement 75 844,02 euros de loyers, charges déduites, et ont subi 20 000 euros de préjudice moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2023, la commune de Rennes, représentée par Me Santos Pires, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de MM. D... et B... ;

2°) par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 mars 2022 en ramenant la condamnation prononcée à de plus justes proportions ;

3°) de mettre à la charge de MM. D... et B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens des requérants ne sont pas fondés ;

- la négociation qu'elle a menée a fait baisser le prix du bien préempté de 35 200 euros ce qui compense largement les charges locatives exposées par MM. D... et Tessier d'autant qu'ils auraient dû assumer les taxes liées à sa propriété, si bien que la somme de 8 030 euros à laquelle elle a été condamnée n'est pas justifiée ;

- le tribunal a évalué le préjudice au regard de l'entier délai dans lequel elle a exécuté le jugement et non au regard de la fraction de ce délai susceptible d'être qualifiée d'excessive.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- les conclusions de Mme Rosemberg, rapporteure publique,

- et les observations de Me Colas, pour MM. D... et B..., et de Me Laville Collomb, pour la commune de Rennes.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 7 avril 2016, le maire de Rennes a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur un immeuble dont M. D... et M. B... s'étaient portés acquéreurs et qu'ils occupaient en tant que locataires d'un bail commercial. La commune a acquis le bien par acte notarié du 10 mai 2017. Par un jugement du 28 décembre 2018, devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision, pour incompétence de son auteur, et a enjoint à la commune de Rennes de mettre en œuvre, dans l'hypothèse où elle avait acquis le bien et en avait conservé la propriété, le dispositif de rétrocession prévu à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme. MM. D... et B... ont ainsi pu acquérir ce bien en vertu d'un acte du 14 juin 2021. Toutefois, après demande préalable, ils ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande de condamnation de la commune de Rennes à les indemniser à hauteur de 104 383,02 euros des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'illégalité de cette décision de préemption et du délai d'exécution du jugement du 28 décembre 2018. Par un jugement du 21 mars 2022, le tribunal administratif a condamné la commune de Rennes à leur verser la somme de 10 030 euros en raison du délai excessif mis par la commune de Rennes à exécuter ce jugement. MM. D... et B... relèvent appel de ce dernier jugement en demandant que l'indemnité mise à la charge de la commune soit portée à la somme de 95 844,02 euros. Par la voie de l'appel incident, la commune de Rennes demande la réduction de sa condamnation par le tribunal administratif à " de plus justes proportions ".

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Rennes du fait de l'illégalité de la décision de préemption du 7 avril 2016 :

2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Lorsque la commune fait partie d'un établissement public de coopération intercommunale y ayant vocation, elle peut, en accord avec cet établissement, lui déléguer tout ou partie des compétences qui lui sont attribuées par le présent chapitre. / Toutefois, la compétence d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre (...) emporte leur compétence de plein droit en matière de droit de préemption urbain. ". Aux termes de l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable au litige : " Les biens acquis par exercice du droit de préemption doivent être utilisés ou aliénés pour l'un des objets mentionnés au premier alinéa de l'article L. 210-1, qui peut être différent de celui mentionné dans la décision de préemption (...) / Si le titulaire du droit de préemption décide d'utiliser ou d'aliéner pour d'autres objets que ceux mentionnés au premier alinéa de l'article L. 210-1 un bien acquis depuis moins de cinq ans par exercice de ce droit, il doit informer de sa décision les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel et leur proposer l'acquisition de ce bien en priorité (...) / Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions visées aux alinéas précédents, le titulaire du droit de préemption doit également proposer l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien (...) ".

3. Si toute illégalité qui entache une décision de préemption constitue en principe une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité au nom de laquelle cette décision a été prise, une telle faute ne peut donner lieu à la réparation du préjudice subi par le vendeur ou l'acquéreur évincé lorsque, les circonstances de l'espèce étant de nature à justifier légalement la décision de préemption, le préjudice allégué ne peut être regardé comme la conséquence du vice dont cette décision est entachée.

4. Pour annuler la décision de préemption du 7 avril 2016 pour incompétence, par son jugement du 28 décembre 2018 devenu définitif, le tribunal administratif de Rennes a jugé que la commune de Rennes ne disposait pas de la compétence en matière de droit de préemption urbain dès lors que la délégation que lui avait consentie la communauté d'agglomération Rennes métropole le 18 décembre 2014 n'était pas régulière puisqu'à cette date cet établissement public de coopération intercommunale n'était pas effectivement et régulièrement titulaire de ce droit, qui ne lui a été dévolu, de plein droit, qu'à compter du 1er janvier 2015. Le tribunal a également jugé qu'aucun des autres moyens soulevés n'était de nature à justifier l'annulation de la décision attaquée devant lui.

5. Il en ressort donc qu'à compter du 1er janvier 2015 la communauté d'agglomération Rennes métropole pouvait déléguer le droit de préemption urbain à la commune de Rennes et qu'une telle délégation aurait suffi à rendre légale la décision de préemption du 7 avril 2016.

6. Les requérants ne peuvent utilement opposer le pacte de préférence dont ils bénéficiaient, en tant que locataires du bien préempté, dès lors qu'il ressort notamment de la rédaction de l'article L. 213-11 du code de l'urbanisme qu'une telle clause n'était pas de nature à faire obstacle à une cession de ce bien à la commune de Rennes pour le même objet de constituer une réserve foncière en vue de permettre, comme en l'espèce, la réalisation d'actions ou opérations d'aménagement répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.

7. Dans ces conditions, alors qu'il n'est pas allégué que des dissensions entre les deux collectivités ou des raisons budgétaires caractérisées y auraient fait obstacle, il résulte de l'instruction que la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente, de sorte que MM. D... et B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la responsabilité de la commune de Rennes ne pouvait être engagée en raison de l'illégalité de la décision de préemption du 7 avril 2016.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune de Rennes du fait du délai excessif d'exécution du jugement du 28 décembre 2018 :

8. Il n'est pas contesté que le délai mis par la commune pour exécuter le jugement du 28 décembre 2018 du tribunal administratif de Rennes était excessif, à tout le moins pour n'avoir engagé la procédure de rétrocession prévue à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, suivant l'injonction prononcée par ledit jugement, qu'à partir du 3 juin 2020. Si MM. D... et B... soutiennent que ce n'est en réalité qu'à la date du 21 juin 2021, à laquelle ils ont effectivement pu acquérir le bien préempté, que le jugement du 28 décembre 2018 doit être considéré comme exécuté, il ne résulte pas de l'instruction, qu'eu égard à la période de l'année en cause, le délai de deux mois mis par la commune pour leur proposer le bien, le 30 septembre 2020, à la suite de la renonciation à l'acquérir des anciens propriétaires, était excessif, ni que le délai écoulé entre la réception par la commune, le 20 novembre 2020, du courrier exprimant leur intention d'acquérir et l'établissement de l'acte de vente du 21 juin 2021 aurait été allongé du fait de celle-ci. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a limité l'indemnisation de leurs préjudices à la période courant du 28 décembre 2018 au 3 juin 2020.

9. Dans ces conditions, MM. D... et B... sont uniquement fondés à demander l'indemnisation des loyers qu'ils ont dû exposer au cours de la période du 28 décembre 2018 au 3 juin 2020, qui contrairement à ce qu'ils soutiennent ont été exactement évalués à la somme de 26 209,58 euros par les premiers juges, sous déduction des charges de propriété économisées sur la même période. A ce titre, dès lors qu'ils établissent qu'en vertu du bail commercial dont ils étaient titulaires, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères devait être répercutée sur les locataires, ils sont fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif l'a déduite de l'indemnité accordée.

10. Enfin, s'il résulte de l'instruction que MM. D... et B... ont subi, du fait de la situation d'attente et d'incertitude juridique pesant sur leur projet d'achat à titre professionnel et liée au délai excessif dans l'exécution du jugement du 28 décembre 2018, un préjudice moral, il n'en résulte pas en revanche que le tribunal aurait fait une insuffisante évaluation de ce préjudice en l'indemnisant à hauteur de la somme globale de 2 000 euros.

Sur les conclusions d'appel incident de la commune de Rennes :

11. Il ressort du compromis de vente du 8 février 2016 et de la déclaration d'intention d'aliéner du 12 février 2016 que la vente du bien litigieux négociée par MM. D... et B... a été consentie au prix de 190 000 euros, outre 15 200 euros de frais de vente. Il ressort de l'acte de vente du 21 juin 2021 de ce bien par la commune de Rennes aux requérants que la cession a été réalisée au prix de 170 000 euros et que les frais de vente, d'un montant de 12 354 euros, ont été payés par la commune de Rennes. Par suite, quand bien même elle leur a causé divers préjudices, la décision litigieuse de préemption du 7 avril 2016 a eu pour effet de permettre à MM. D... et B... d'acquérir leur bien en économisant la somme globale de 35 200 euros, qui doit ainsi venir en réduction des préjudices qu'ils ont subis. Dès lors, dans la limite de ses conclusions interprétées au vu de ses écritures et eu égard aux montants en cause, la commune de Rennes est fondée à demander la réformation du jugement attaqué en ce qu'il l'a condamnée à indemniser le préjudice matériel de MM. D... et B... à hauteur de la somme de 8 030 euros.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de MM. D... et B... doit être rejetée et que le jugement attaqué doit être réformé de sorte que la commune de Rennes soit condamnée à leur verser une indemnité globale limitée à 2 000 euros.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Rennes qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que MM. D... et B... demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de ceux-ci la somme globale de 1 500 euros, à verser à la commune de Rennes, sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de MM. D... et B... est rejetée.

Article 2 : La somme que la commune de Rennes a été condamnée à verser à MM. D... et B..., par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 mars 2022, est réduite au montant de 2 000 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 21 mars 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 du présent arrêt.

Article 4 : MM. D... et B... verseront la somme de 1 500 euros à la commune de Rennes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., à M. A... B... et à la commune de Rennes.

Délibéré après l'audience du 10 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 octobre 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01325


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01325
Date de la décision : 27/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : MARTIN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-27;22nt01325 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award