Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... et Mme E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 8 janvier 2022 des autorités consulaires françaises à Yaoundé (Cameroun) refusant de délivrer à Mme D... un visa d'entrée et de court séjour en France en qualité de conjointe d'un ressortissant de l'Union européenne.
Par un jugement n° 2208824 du 13 février 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme D... le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 février 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... C... et Mme E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- Mme D... ne peut se prévaloir de la qualité de membre de famille d'un ressortissant de l'Union européenne dès lors que l'acte de mariage produit, établi au Cameroun, n'a pas été transcrit sur les registres des mariages portugais par l'officier d'état-civil consulaire et n'a donc pas été reconnu par les autorités de ce pays, sauf à méconnaitre le principe de confiance réciproque et le règlement (UE) 2016-1191 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016 ; les éléments sur la situation familiale sont incertains ;
- l'enfant du couple n'a pas déposé de demande de visa et ne figure pas dans le dossier de sa mère ; il n'est donc pas établi qu'elle résidera avec le couple en France, alors que lien de filiation avec M. C... n'est pas établi.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 2 mai et 21 août 2023, M. C... et Mme D..., représentés par Me Février, concluent au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- la décision de la commission est entachée d'incompétence, faute de délégation accordée à son auteur, de défaut de motivation et de défaut d'examen sérieux, d'une méconnaissance de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 et des articles L. 200-4, L. 200-6, L. 232-1, L. 233-1 et L. 233-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'il est établi par les pièces produites que Mme D... est la conjointe de M. C..., ressortissant portugais, et que leur fille est la descendante à charge de M. C..., d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une méconnaissance des stipulations des articles 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rivas,
- et les observations de Me Février, représentant M. C... et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante camerounaise née le
9 octobre 1990, a épousé le 16 janvier 2021 au Cameroun M. B... C..., ressortissant portugais né le 30 avril 1966. Ils déclarent être les parents de l'enfant Princesse A... C... F... née le 17 avril 2020 au Cameroun. Mme D... a présenté auprès des autorités consulaires françaises à Yaoundé une demande de visa d'entrée en France en qualité de conjointe d'un ressortissant de l'Union européenne. Par une décision du 8 janvier 2022, ces autorités ont refusé de lui délivrer le visa sollicité. Par une décision implicite née le 3 mai 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 13 février 2023, dont M. C... et Mme D... relèvent appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme D... le visa sollicité dans un délai de deux mois. Par une décision du 28 juin 2023, le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Nantes a sursis à l'exécution de ce jugement jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête visée ci-dessus.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser implicitement la demande de visa présentée par Mme D..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait que Mme D... ne pouvait se prévaloir de la qualité de membre de famille d'un ressortissant de l'Union européenne dès lors que l'acte de mariage de M. C... avec Mme D..., établi au Cameroun, n'avait pas été transcrit sur les registres des mariages portugais et n'avait donc pas été reconnu par les autorités de ce pays, sauf à méconnaitre le principe de confiance réciproque et le règlement (UE) 2016-1191 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016. Plus généralement, la commission a estimé que les informations sur sa situation familiale ne sont pas suffisamment fiables pour permettre à Mme D... de venir en France.
3. Aux termes de l'article L. 200-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne, on entend le ressortissant étranger, quelle que soit sa nationalité, qui relève d'une des situations suivantes : / 1° Conjoint du citoyen de l'Union européenne. (...) ". Et aux termes de l'article R. 221-2 de ce code : " Les documents permettant aux ressortissants de pays tiers mentionnés à l'article L. 200-4 d'être admis sur le territoire français sont leur passeport en cours de validité et un visa ou, s'ils en sont dispensés, un document établissant leur lien familial. (...) L'autorité consulaire leur délivre gratuitement, dans les meilleurs délais et dans le cadre d'une procédure accélérée, le visa requis sur justification de leur lien familial (...). ".
4. Il résulte des dispositions précitées des articles L. 200-4 et R. 221-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les ressortissants d'un pays tiers membres de la famille d'un citoyen non français de l'Union européenne séjournant en France ont droit, lorsqu'ils ne disposent pas d'un titre de séjour délivré par un État membre de l'Union européenne portant la mention " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union ", et sous réserve que leur présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, à la délivrance d'un visa d'entrée en France, aux seules conditions de disposer d'un passeport et de justifier de leur lien familial avec le citoyen de l'Union européenne qu'ils entendent accompagner ou rejoindre en France.
5. Par ailleurs, aux termes de l'article 1651 du code civil portugais relatif aux " Mariages assujettis à l'enregistrement " : " Est obligatoire l'enregistrement : / (...) b) des mariages d'un portugais ou de portugais célébrés à l'étranger (...). ". Aux termes de l'article 1669, intitulé " Effets de l'enregistrement ", du même code : " Le mariage dont l'enregistrement est obligatoire ne peut être invoqué ni par les époux ni par leurs héritiers, ou par un tiers, tant que l'acte respectif n'est pas dressé, sans préjudice des exceptions prévues par ce code. ". Il résulte de ces dispositions que l'absence de transcription de l'acte de mariage d'un ressortissant portugais célébré par une autorité étrangère fait obstacle à ce que le mariage soit en principe, dans l'ordre juridique portugais, opposable aux tiers, notamment aux autorités publiques.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date du 3 mai 2022 à laquelle est intervenue la décision implicite contestée, date à laquelle s'apprécie sa légalité, le mariage célébré le 16 mars 2021 au Cameroun entre M. C..., ressortissant portugais, et Mme D..., ressortissante camerounaise, n'avait pas été enregistré par les autorités portugaises dans le respect des dispositions précitées du code civil portugais, puisque cette transcription n'est intervenue que le 7 mars 2023. Or il résulte de ces mêmes dispositions que l'absence de transcription sur les registres d'état-civil portugais de l'acte de mariage d'un ressortissant de cet Etat fait obstacle à ce que le mariage soit opposable aux tiers, notamment aux autorités publiques, sauf exception non invoquée par les intéressés. En conséquence, faute d'opposabilité du lien marital unissant la demandeuse de visa camerounaise à un ressortissant portugais du fait de l'absence de transcription du mariage, ce motif pouvait à lui seul fonder la décision de refus de visa opposée à Mme D....
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 4.
8. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les consorts C... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
9. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, désormais repris à l'article D. 312-3 du même code, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prise sur recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision consulaire du 8 janvier 2022. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que les consorts C... auraient demandé la communication des motifs de la décision implicite contestée de cette commission. Il suit de là que les moyens tirés d'une part de l'incompétence de l'auteure de la décision consulaire et de l'insuffisance de motivation de la décision de l'autorité consulaire et, d'autre part, de l'insuffisance de motivation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France révélant un défaut d'examen particulier de la situation doivent être écartés.
10. En second lieu il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une demande de visa aurait été déposée en 2021 pour l'enfant Princesse A... C... F... concomitamment à celle présentée pour Mme D.... Par ailleurs, cette demande n'a été présentée qu'en vue d'un court et unique séjour de Mme D... pour la période courant du 8 janvier 2022 au 8 avril suivant. Enfin, les intéressés se prévalent du fait que M. C... a pu effectuer, à plusieurs reprises, des séjours au Cameroun. Dans ces conditions, l'erreur manifeste d'appréciation invoquée ainsi que la méconnaissance alléguée des stipulations des articles 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. C... et de Mme D..., la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 8 janvier 2022 des autorités consulaires françaises à Yaoundé refusant de délivrer un visa de court séjour à Mme D.... En conséquence, les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte présentées par les consorts C... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. C... et Mme D....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2208824 du 13 février 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... et Mme D... devant le tribunal administratif de Nantes, ainsi que leurs conclusions présentées devant la cour administrative d'appel, sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à M. B... C... et à Mme E....
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
J. FRANCFORT
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°23NT00934