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10/10/2023 | FRANCE | N°22NT01637

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 10 octobre 2023, 22NT01637


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours, dirigé contre la décision de l'ambassade de France en Guinée et en Sierra-Léone du 23 janvier 2020 refusant de délivrer aux enfants E..., G... et F... B..., ainsi qu'aux jeunes C..., I... et H... D..., des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2108

668 du 28 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours, dirigé contre la décision de l'ambassade de France en Guinée et en Sierra-Léone du 23 janvier 2020 refusant de délivrer aux enfants E..., G... et F... B..., ainsi qu'aux jeunes C..., I... et H... D..., des visas de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2108668 du 28 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer aux jeunes C..., I... et H... D... ainsi qu'à E..., G... et F... B... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 mai et 3 novembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour d'annuler ce jugement du 28 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes et de rejeter la demande présentée par Mme A... B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- les éléments produits pour établir la filiation par possession d'état sont insuffisants ;

- le jugement guinéen annulant les actes de naissance est irrégulier dès lors qu'il ne mentionne pas les numéros des actes de naissance annulés et qu'il annule des actes de naissance frauduleux ; les passeports ont été établis sur le fondement d'actes de naissance non produits et incohérents et ne sont pas de nature à établir l'identité des intéressés ;

- les six nouveaux jugements supplétifs produits n'ont pas de caractère probant et présentent un caractère frauduleux dès lors que les intéressés ont occulté le fait qu'ils étaient déjà titulaires de passeports dans un contexte de fraude généralisée prévalant en Guinée, et que ces jugements méconnaissent la conception de l'ordre public français en l'absence de motivation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 août 2022, Mme B..., représentée par

Me Pollono, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) subsidiairement, d'annuler la décision de la commission et d'enjoindre alors au ministre de l'intérieur et des outre-mer, de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et subsidiairement de réexaminer la situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros HT sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés et qu'en tout état de cause les décisions de refus de visa ne pouvaient lui opposer l'absence d'accord des pères des enfants et méconnaissaient les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante guinéenne née le 1er janvier 1979, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugiée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 5 juillet 2018. Des demandes de visas de long séjour au titre de la réunification familiale ont été déposées pour les jeunes H..., I... et C... D..., tous trois nés le 1er janvier 2002, et pour les enfants E..., F... et G... B..., nés respectivement les 1er janvier 2009, 1er janvier 2012 et 1er janvier 2015, que Mme B... présente comme ses enfants. Ces demandes ont été rejetées par une décision de l'ambassade de France en Guinée et en Sierra-Leone du 23 janvier 2020. Par une décision implicite née le 2 juin 2020 la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours enregistré le 2 avril 2020 formé contre cette décision. Par un jugement du 2 juin 2021, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision et a enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer aux jeunes C..., I... et H... D... ainsi qu'à E..., G... et F... B... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard. La demande de sursis à exécution de ce jugement présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer a été rejetée par une ordonnance du 28 juillet 2022 du président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant leur lien de filiation avec Mme B... n'étaient pas établis, ainsi que sur l'absence de délégation d'autorité parentale ou de preuve de décès des pères des enfants.

3. Aux termes des dispositions de l'article L. 752-1, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec la personne protégée.

4. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Par ailleurs il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

6. En premier lieu il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui des demandes de visas présentées pour les six personnes présentées comme ses enfants Mme B... a produit des actes de naissance établis en 2002 pour ses trois enfants nés cette année-là, et en 2009, 2012 et 2015 pour les trois autres. Puis, à l'appui de sa requête présentée devant le tribunal administratif de Nantes elle a produit la copie d'un jugement rendu le 29 décembre 2021 par le tribunal de première instance de Conakry 3 (Guinée) annulant, à sa demande, les six extraits d'acte de naissance mentionnés ci-dessus au motif qu'ils avaient été établis par un centre d'état-civil géographiquement incompétent. Il a également été communiqué, pour chacun des demandeurs de visa, un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance rendu par le tribunal de première instance de Macenta (Guinée) le 30 décembre 2021, ainsi que leur transcription, le 12 janvier 2022, dans le registre d'état civil de la commune urbaine de Gueckedou (Guinée).

7. La circonstance que le jugement du 29 décembre 2021 annulant les six actes de naissance précédemment produits, ne mentionne pas les numéros de ces actes n'est pas de nature à établir le caractère frauduleux de ce jugement, alors notamment qu'il n'existe aucune ambiguïté sur les actes concernés par cette décision de justice. D'autre part, l'objet même d'un tel jugement est l'annulation d'actes de naissance en raison de leur irrégularité, ce qui ne peut caractériser en soit le caractère frauduleux d'une telle décision de justice. La circonstance que les intéressés n'auraient ensuite pas déclaré à l'appui de leurs demandes de jugement supplétif d'actes de naissance le fait qu'ils disposaient de passeports guinéens n'est pas davantage de nature à établir le caractère frauduleux de ces jugements, dès lors que ces passeports avaient été établis sur le fondement d'actes de naissance annulés préalablement par le jugement du

29 décembre 2021 du fait de leur irrégularité. Par ailleurs les jugements supplétifs des 30 décembre 2021 sont en tout état de cause motivés tant en droit en fait. Enfin la circonstance que les passeports délivrés en 2018 et 2019 aux six intéressés comportent, par référence aux précédents actes de naissance, des numéros erronés est sans incidence sur la détermination de leurs identités respectives, celles-ci étant établies par les actes d'état-civil délivrés en transposition de jugements supplétif intervenus postérieurement, soit le 30 décembre 2021. En conséquence, le caractère frauduleux des jugements supplétifs produits n'étant pas établi, l'identité et les liens de filiation unissant chacun des demandeurs de visa à Mme B... doivent être regardés comme établis par les pièces versées au dossier.

8. En second lieu il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges aux points 8 à 11 du jugement attaqué, et au demeurant non contestés devant la Cour par le ministre, de censurer le second motif de la décision de la commission, tiré de l'absence de délégation d'autorité parentale ou de preuve de décès des pères des enfants au regard des dispositions alors en vigueur de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France née le 2 juin 2020 et lui a enjoint de faire délivrer aux jeunes C..., I... et H... D... et E..., G... et F... B... les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Sur les frais d'instance :

10. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pollono de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à Mme A... B..., à Mme C... D..., à M. I... D... et à M. H... D....

Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Ody, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.

Le rapporteur,

C. RIVAS

Le président,

J. FRANCFORT

La greffière,

S. PIERODÉ

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01637


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01637
Date de la décision : 10/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-10;22nt01637 ?
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