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06/10/2023 | FRANCE | N°22NT00393

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 06 octobre 2023, 22NT00393


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 août 2019 des autorités consulaires françaises à Kampala (Ouganda) refusant de délivrer à Mme C... un visa de long en qualité de membre de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2012015 du 31 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a r

ejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enreg...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... et Mme B... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 août 2019 des autorités consulaires françaises à Kampala (Ouganda) refusant de délivrer à Mme C... un visa de long en qualité de membre de famille de réfugié.

Par un jugement n° 2012015 du 31 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février et 26 août 2022, M. D... et Mme C..., représentés par Me Le Verger, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 31 mai 2021 ;

2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer la demande de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas motivée en fait ;

- elle est entachée d'une erreur de droit ; le motif opposé n'est pas au nombre des motifs d'ordre public prévus par l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant de refuser la délivrance d'un visa au conjoint d'un réfugié ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ; la présence en France de M. D... ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- la demande de substitution de motif doit être rejetée :

- l'identité de Mme C... et le lien matrimonial l'unissant à son époux sont établis ;

- le motif tiré de ce qu'il n'est pas justifié du maintien des liens entre les époux n'est pas au nombre des motifs d'ordre public permettant de refuser le visa sollicité ; la décision de refus est également entachée d'une erreur d'appréciation sur ce point ;

- la décision contestée méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistrés le 30 mars 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- si le motif initial est censuré, il y a lieu de substituer à ce motif deux autres motifs tirés, d'une part, de ce que le certificat de naissance produit par Mme C... est inauthentique et ne permet pas de justifier de son identité, d'autre part, de ce qu'il n'est pas justifié du maintien des liens entre les époux.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 6 décembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dias a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., ressortissant érythréen né le 15 juin 1987, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 25 octobre 2016. Par une décision du 6 août 2019, l'autorité consulaire à Kampala (Ouganda) a refusé de délivrer à Mme C... le visa d'entrée et de long séjour qu'elle sollicitait en qualité d'épouse de M. D.... Une décision implicite de rejet est née du silence gardé pendant plus de deux mois par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur le recours formé contre la décision consulaire du 6 août 2019. M. D... et Mme C... relèvent appel du jugement du 31 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ou le bénéficiaire ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".

3. Il ressort de la lettre du 22 avril 2020 par laquelle le président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a communiqué aux requérants les motifs de la décision implicite contestée que la commission de recours a refusé de délivrer un visa de long séjour à Mme C... en qualité de conjoint de réfugié au motif que la présence de M. D..., son conjoint résidant en France, représentait une menace à l'ordre public.

4. Il est constant que, par un jugement correctionnel du 30 mars 2017, M. D... a été condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement pour des faits de vol et de tentative de vol de véhicules automobiles et de dégradation volontaire de panneaux et d'arbustes. Si les faits présentent une gravité certaine, ils ont été commis plus de trois ans avant la décision contestée et sont demeurés isolés. En outre, les requérants produisent le contrat de travail à durée déterminée que M. D... a conclu, le 19 août 2019, avec une association, ainsi que des bulletins de paye émanant d'organismes de travail temporaire qui attestent de ses efforts de réinsertion. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions citées au point 2 en estimant que la présence en France de M. D... constituait une menace pour l'ordre public et en refusant de délivrer, pour ce motif, à Mme C..., son épouse, le visa de long séjour sollicité.

5. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur invoque devant la cour, dans son mémoire en défense communiqué à M. D..., deux autres motifs tirés, d'une part, de ce que le certificat de naissance produit par Mme C... est inauthentique et ne permet pas de justifier de son identité, d'autre part, de ce que le maintien des liens entre les époux n'est pas établi.

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

7. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

8. M. D... et Mme C... ont produit un certificat de mariage tenant lieu d'acte d'état civil établi à leurs noms, le 11 avril 2017, par le directeur général de l'OFPRA. En l'absence de mise en œuvre par le ministre de l'intérieur de la procédure d'inscription de faux, ce document fait foi s'agissant de l'existence du lien matrimonial les unissant. Pour établir son identité, Mme C... a également produit un certificat de naissance établi le 9 mai 2017 par la municipalité d'Asmara, en Erythrée. Le certificat mentionne que l'intéressée est née, le 11 janvier 1991, en Ethiopie, dans la ville de Jimma, et indique que la naissance a été enregistrée, le 23 mars 2010, soit 19 ans plus tard, à Asmara. Cependant, en se bornant à invoquer la date et le lieu de l'enregistrement de la naissance de Mme C..., sans citer les dispositions de droit local pertinentes de nature à faire regarder cet enregistrement comme une anomalie, le ministre de l'intérieur n'établit pas le caractère non probant du certificat de naissance du 9 mai 2017. En outre, Mme C... a produit une carte d'identité de réfugiée ainsi qu'un certificat, daté du mois de février 2021, établis par les autorités de l'Ouganda, pays dans lequel Mme C... a été accueillie après avoir quitté l'Erythrée. Le contenu de ces documents, dont le caractère probant n'est pas contesté par le ministre de l'intérieur, ainsi que celui du certificat de naissance du 9 mai 2017 précédemment analysé concordent, en tout point, avec les mentions figurant dans le certificat de mariage établi, le 11 avril 2017, par le directeur général de l'OFPRA. Il résulte de ce qui précède que Mme C... justifie de son identité et de son lien matrimonial avec M. D....

9. En second lieu, l'autre motif invoqué par le ministre, tiré de ce que les liens affectifs n'ont pas été maintenus entre les époux n'est pas au nombre des motifs d'ordre public ou énumérés à l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de nature à justifier le refus de délivrance d'un visa de long séjour au conjoint d'un réfugié.

10. Aucun des deux motifs invoqués par le ministre de l'intérieur n'étant de nature à fonder légalement la décision contestée, sa demande de substitution de motifs ne peut être accueillie.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. D... et Mme C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur délivre à Mme C... le visa de long séjour sollicité. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ce visa, dans un délai de deux mois à compter du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

13. M. D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Le Verger de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 31 mai 2021 est annulé.

Article 2 : La décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour présentée pour Mme C... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Le Verger une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 octobre 2023.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFETLa greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00393


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00393
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : LE VERGER

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-06;22nt00393 ?
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