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06/10/2023 | FRANCE | N°21NT03203

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 06 octobre 2023, 21NT03203


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... G... D..., M. I... F... C... et Mme J... I... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions du 14 février 2020 de l'autorité consulaire française en Ouganda refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à M. F... C... et à Mme I... E... au titre de la réunification familiale.

Par un jugement

no 2103303 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... G... D..., M. I... F... C... et Mme J... I... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre les décisions du 14 février 2020 de l'autorité consulaire française en Ouganda refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à M. F... C... et à Mme I... E... au titre de la réunification familiale.

Par un jugement no 2103303 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 novembre 2021 et 12 mai 2022, Mme G... D... et autres, représentés par Me Pollono, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à défaut, de réexaminer les demandes, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 800 euros au profit de Me Pollono en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- le jugement du 4 octobre 2021 est entaché d'irrégularités ; le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'erreur d'appréciation à avoir estimé que le lien familial n'était pas établi ; le caractère contradictoire de la procédure n'a pas été respecté dès lors que, pour rejeter leur demande, le tribunal s'est fondé sur un motif qui n'a pas été soumis au débat contradictoire ;

- la décision implicite de la commission de recours est entachée d'illégalité en ce qu'elle n'est pas suffisamment motivée ; les motifs de cette décision ne lui ont pas été communiqués en dépit de la demande faite en ce sens ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ; l'identité des demandeurs de visa et les liens familiaux invoqués sont établis par les actes délivrés par le Haut-Commissariat aux réfugiés et par la possession d'état ;

- elle est entachée d'une erreur de droit ; le droit de procéder, à titre dérogatoire, à une réunification familiale partielle, s'apprécie à l'aune de l'intérêt supérieur de l'enfant concerné par la réunification et non de celui qui reste au pays ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ; la réunification familiale partielle est justifiée par l'intérêt de ses enfants ; en outre, des démarches ont été entreprises pour faire venir leur fils B... ;

- la commission de recours a méconnu l'étendue de sa propre compétence ; elle s'est crue tenue de refuser de délivrer les visas au motif que la demande de réunification familiale ne concernait pas tous les membres de la famille ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par une décision du 15 février 2022, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nantes a accordé à Mme G... D... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- et les observations de Me Pollono, représentant Mme G... D... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Mme G... D..., ressortissante éthiopienne née le 1er janvier 1975, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 18 décembre 2015. M. F... C... et Mme I... E..., ressortissants éthiopiens, ont sollicité des visas de long séjour au titre de la réunification familiale auprès de l'autorité consulaire française en Ouganda, en qualité respectivement d'époux et de fille de Mme G... D.... Les visas sollicités ont été refusés, le 14 février 2020. Le recours formé contre ces décisions devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été implicitement rejeté, par une décision du 25 août 2020. Mme G... D..., M. F... C... et Mme I... E... relèvent appel du jugement du 4 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, le tribunal a précisé dans son jugement que, pour rejeter les demandes de visa de long séjour, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, d'une part, sur le motif tiré de l'impossibilité de déterminer l'identité des demandeurs ainsi que leur lien familial avec Mme G... D..., d'autre part, sur le motif tiré de ce qu'en l'absence de demande de visa présentée pour le jeune B... E..., la demande de réunification familiale litigieuse présente un caractère partiel qui n'est pas conforme à l'intérêt des enfants. Après avoir confirmé la légalité de ce dernier motif, il a neutralisé le premier motif de refus en jugeant qu'il résultait de l'instruction que la commission aurait pris la même décision en se fondant sur le seul motif tiré de la réunification partielle de la famille. Dans ces conditions, contrairement à ce qui est soutenu, le tribunal n'a pas omis de répondre au moyen tiré de l'illégalité du motif tiré de ce que l'identité des demandeurs et le lien familial n'étaient pas établis.

3. En second lieu, ainsi qu'il vient d'être dit, le tribunal administratif a jugé que la commission de recours avait pu légalement refuser la délivrance des visas sollicités au motif qu'à défaut d'avoir présenté une demande de visa pour le jeune B... E..., elle entrainerait une réunification partielle de la famille non justifiée au regard de de l'intérêt des enfants. Les premiers juges, qui n'ont pas procédé d'office à une substitution de motifs, se sont fondés au point 5 du jugement attaqué, sur les éléments produits par les requérants eux-mêmes devant le tribunal administratif notamment sur les pièces 19 et 25 jointes à leur demande. Par suite, le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient méconnu le caractère contradictoire de la procédure ne peut qu'être écarté.

4. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué n'est pas entaché des irrégularités alléguées.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. En premier lieu, le moyen tiré du défaut de communication des motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le tribunal administratif de Nantes au point 2 du jugement attaqué.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur (et jusqu'au 1er mai 2021): " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) "

7. Ainsi qu'il a déjà été dit, il ressort du mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur en première instance que, pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de l'absence de justification de l'identité des demandeurs et des liens familiaux les unissant à la réfugiée statutaire, d'autre part, sur l'absence de motifs tenant à l'intérêt de l'enfant de nature à justifier la réunification familiale partielle.

8. Pour établir leur identité et le lien familial qui les unit, Mme G... D... et M. F... C... ont produit le certificat de naissance tenant lieu d'acte d'état civil de Mme G... D..., établi par le directeur général de l'OFPRA, le 14 janvier 2016, qui comporte en mentions marginales : " mariée à Dhagahmado (Ethiopie) en 1995 avec M. I... F... C... ", ainsi que le certificat de mariage, tenant lieu d'acte d'état civil, des intéressés établi par le directeur général de l'OFPRA le 14 octobre 2016. En l'absence de mise en œuvre par le ministre de l'intérieur de la procédure d'inscription de faux, ces documents font foi s'agissant, notamment, de l'existence du lien matrimonial les unissant. Ils ont également produit des cartes d'identité de réfugié ainsi que des attestations établies par les autorités de l'Ouganda où les intéressés ont été accueillis après avoir fui l'Ethiopie. Il ressort du contenu de ces documents que M. F... C..., né le 1er janvier 1972, est bien la personne mentionnée comme étant l'époux de Mme G... D..., en marge du certificat de naissance et dans le certificat de mariage établis par le directeur général de l'OFPRA. Les documents établis par les autorités ougandaises mentionnent aussi le lien de filiation unissant M. E... C... et Mme H..., née le 1er janvier 2000. Leurs mentions précises permettent d'établir que cette dernière est bien l'enfant que, de façon constante et dès le dépôt de sa demande d'asile, Mme G... D... a déclarée aux autorités françaises comme étant le fruit de son union avec M. E... C.... Dans ces conditions, en estimant que ni l'identité des demandeurs de visa, ni les liens familiaux les unissant à Mme G... D... n'étaient établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Toutefois, pour refuser de délivrer les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est également fondée sur l'absence de motifs tenant à l'intérêt de l'enfant de nature à justifier la réunification familiale partielle.

10. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France se serait estimée en situation de compétence liée pour rejeter les demandes de visas.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " (...) Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants. ". Il résulte de ces dispositions que la réunification familiale doit concerner, en principe, l'ensemble de la famille du ressortissant étranger qui demande à en bénéficier et qu'une réunification partielle ne peut être autorisée à titre dérogatoire que si l'intérêt des enfants le justifie.

12. Il est constant qu'aucune demande de visa n'a été présentée pour l'enfant B... H..., né le 1er février 2007, mentionné par Mme G... D... dans la fiche familiale de référence qu'elle a transmise à l'OFPRA au mois de décembre 2015. Les requérants soutiennent que cet enfant, qui était atteint de la fièvre jaune, n'a pu accompagner son père et sa sœur en Ouganda pour y solliciter un visa et que ces derniers ont décidé de ne pas attendre sa guérison et de le confier, temporairement, aux soins de sa grand-mère, restée en Ethiopie, en raison de l'imminence de la majorité de Mme I... E.... Cependant aucun élément n'est produit par les requérants à l'appui de leurs allégations. S'il est établi que le jeune B... a déposé, à la fin de l'année 2021, une demande de visa, pour l'instruction de laquelle il a été convoqué, le 25 mai 2022, par l'autorité consulaire française à Addis-Abeba (Ethiopie), cette circonstance, postérieure à la décision contestée, s'avère sans incidence sur sa légalité qui s'apprécie à la date de son édiction. Dès lors, en refusant, par la décision contestée, les visas sollicités au motif que leur délivrance aurait pour effet de rompre l'unité familiale, la commission de recours n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit, ni fait une inexacte application des dispositions des articles L. 751-2 et L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision de refus si elle s'était fondée sur ce seul motif.

13. En troisième et dernier lieu, eu égard au caractère partiel de la réunification familiale sollicitée les moyens tirés de ce que la décision contestée serait intervenue en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ne peuvent qu'être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme G... D... et autres ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées dans leur requête par Mme G... D... et autres, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par ces derniers doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme G... D... et autres de la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme G... D... et autres est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... G... D..., à M. I... F... C..., à Mme J... I... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 octobre 2023.

Le rapporteur,

R. DIASLa présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT03203


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03203
Date de la décision : 06/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-10-06;21nt03203 ?
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