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15/09/2023 | FRANCE | N°22NT03556

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 15 septembre 2023, 22NT03556


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2210732 du 31 août 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 20 novembre 2022, 21 avri

l 2023 et 27 avril 2023, M. B... C... A..., représenté par Me Chamkhi, demande à la cour, dans le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 27 juillet 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2210732 du 31 août 2022, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 20 novembre 2022, 21 avril 2023 et 27 avril 2023, M. B... C... A..., représenté par Me Chamkhi, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

A titre principal :

1°) de prononcer un non-lieu à statuer dès lors que l'arrêté de transfert du 27 juillet 2022 est caduc ;

A titre subsidiaire :

2°) d'annuler ce jugement du 31 août 2022 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes ;

3°) d'annuler l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 27 juillet 2022 portant transfert aux autorités portugaises ;

4°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire, à titre principal, de lui remettre une attestation de demande d'asile en procédure normale dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation administrative dans le même délai et sous la même astreinte ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le préfet a méconnu les conditions de notification de l'arrêté du 27 juillet 2022 ; il n'a pas justifié de l'habilitation de l'agent notifiant et que l'information des principaux éléments de l'arrêté a été effectué dans une langue comprise, en méconnaissance du paragraphe 3 de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 et de l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet n'a pas justifié de la nécessité du recours à l'interprétariat par téléphone ; le premier juge a omis d'examiner " ces arguments " ;

- le premier juge a commis une erreur manifeste d'appréciation s'agissant de la vulnérabilité du requérant au sens de l'article L. 522-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du droit à un recours effectif en ne tenant pas compte de ses déclarations postérieures contenues dans sa demande qui font état d'un état dépressif sévère ;

- l'arrêté du 27 juillet 2022 est insuffisamment motivé ; il ne comporte pas le critère de détermination de l'Etat membre responsable au titre du règlement (UE) n° 604/2013 et ne précise pas le type de requête qui a été effectué auprès des autorités portugaises ;

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le préfet a méconnu l'article 13 du règlement général sur la protection des données (RGPD) ;

- le préfet a méconnu les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le préfet a entaché sa décision d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à l'application de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la décision contestée méconnaît les articles 4 de la Charte des droits de l'Union européenne, l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation personnelle ;

- son transfert vers le Portugal n'a pas été exécuté dans le délai de 6 mois prescrit par l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'arrêté en litige est en conséquence devenu caduc ; la France est devenue responsable de l'examen de sa demande d'asile ; il ne saurait être déclaré en fuite au motif qu'il ne s'est pas présenté à une convocation à la préfecture de Maine-et-Loire ; la préfecture ne justifie pas de l'accusé de réception " Dublinet " généré par le point d'accès national portugais concernant la prorogation du délai de transfert en raison de sa fuite alléguée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mars 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés et informe la cour de ce que le délai de transfert a été reporté au 29 février 2024 du fait de la fuite de l'intéressé.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet ;

- et les observations de Me Chamkhi, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant angolais né le 11 avril 1999 à Luanda (Angola), a déclaré être entré régulièrement en France le 29 janvier 2022. Il a déposé auprès des services de la préfecture de la Loire-Atlantique une demande d'asile qui a été enregistrée le 20 juin 2022. La consultation du fichier Visabio consécutive au relevé des empreintes digitales a révélé qu'il était en possession d'un visa délivré par les autorités portugaises valable du 25 janvier 2022 au 10 mars 2022. Saisies par les autorités françaises le 29 juin 2022, les autorités portugaises ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 30 juin 2022 sur le fondement du 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. M. A... relève appel du jugement du 31 août 2022 rejetant sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 juillet 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités portugaises, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Sur l'exception de non-lieu à statuer :

2. L'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui fixe les conditions de transfert du demandeur d'asile ayant introduit une demande dans un autre Etat membre, dispose, au paragraphe 1, que : " Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'État membre requérant vers l'État membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 de cet article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite ".

3. Il résulte de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 que le transfert peut avoir lieu pendant une période de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge ou, le cas échéant, de la décision définitive sur le recours contre la décision de transfert, cette période étant susceptible d'être portée à dix-huit mois si l'intéressé " prend la fuite ". Aux termes de l'article 7 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 : " 1. Le transfert vers l'Etat responsable s'effectue de l'une des manières suivantes : a) à l'initiative du demandeur, une date limite étant fixée ; b) sous la forme d'un départ contrôlé, le demandeur étant accompagné jusqu'à l'embarquement par un agent de l'Etat requérant et le lieu, la date et l'heure de son arrivée étant notifiées à l'Etat responsable dans un délai préalable convenu : c) sous escorte, le demandeur étant accompagné par un agent de l'Etat requérant, ou par le représentant d'un organisme mandaté par l'Etat requérant à cette fin, et remis aux autorités de l'Etat responsable (...) ". Il résulte de ces dispositions que le transfert d'un demandeur d'asile vers un Etat membre qui a accepté sa prise ou sa reprise en charge, sur le fondement du règlement du 26 juin 2013, s'effectue selon l'une des trois modalités définies à l'article 7 cité ci-dessus : à l'initiative du demandeur, sous la forme d'un départ contrôlé ou sous escorte.

4. Il résulte des dispositions mentionnées au point précédent que, d'une part, la notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. D'autre part, dans l'hypothèse où le transfert du demandeur d'asile s'effectue sous la forme d'un départ contrôlé, il appartient, dans tous les cas, à l'Etat responsable de ce transfert d'en assurer effectivement l'organisation matérielle et d'accompagner le demandeur d'asile jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination. Une telle obligation recouvre la prise en charge du titre de transport permettant de rejoindre l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile depuis le territoire français ainsi que, le cas échéant et si nécessaire, celle du préacheminement du lieu de résidence du demandeur au lieu d'embarquement. Enfin, dans l'hypothèse où le demandeur d'asile se soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert ainsi organisé, il doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 rappelées au point 2.

5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire a convoqué M. A... les 10 février et 17 février 2023 aux fins d'exécution de la décision de transfert prise à son encontre et qu'il ne s'est pas présenté aux différentes convocations. Par suite, le caractère intentionnel de la soustraction de l'intéressé à la convocation qui lui avait été adressée aux fins d'exécution de la mesure d'éloignement est établi. Ainsi, le préfet a pu à bon droit estimer que le requérant était en fuite et que le délai de transfert était par conséquent porté à dix-huit mois au maximum à compter de la date de notification du jugement entrepris, et prolongé jusqu'au 29 février 2024. En outre, il ressort des pièces du dossier que les informations relatives à la prolongation du délai de transfert ont été validées et certifiées par l'Unité Dublin lors de sa transmission via DubliNet. Dans ces conditions, l'accord initial des autorités portugaises autorisant le transfert de M. A... n'est pas caduc à la date du présent arrêt et il y a lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A....

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

6. En premier lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. (...) / 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'Etat membre responsable. (...) ".

7. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 26 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté comme inopérant dès lors qu'il ne concerne pas la légalité de l'arrêté en litige, les conditions de notification de l'arrêté préfectoral portant transfert aux autorités portugaises étant en elles-mêmes sans influence sur sa légalité.

8. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté contesté, que le requérant reprend en appel sans apporter aucun élément de fait ou de droit nouveau, doit être écarté par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge aux points 3 et 4 du jugement attaqué.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : /a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; /b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; /d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; /e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; /f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits (...). / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit se voir remettre l'ensemble des éléments d'information prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. La remise de ces éléments doit intervenir en temps utile pour lui permettre de faire valoir ses observations, c'est-à-dire au plus tard lors de l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du même règlement, entretien qui doit notamment permettre de s'assurer qu'il a compris correctement ces informations. Eu égard à leur nature, la remise par l'autorité administrative de ces informations prévues par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.

11. Il ressort des pièces du dossier que le requérant s'est vu remettre, le 20 juin 2022, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile dans les services de la préfecture, et à l'occasion de son entretien individuel, les brochures A et B conformes aux modèles figurant à l'annexe X du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014, qui contiennent l'ensemble des informations prescrites par les dispositions précitées. Ces documents, dont les pages de garde ont été signées par l'intéressé le 20 juin 2022, sont rédigés en langue portugaise, langue qu'il a déclaré comprendre ainsi qu'il ressort des termes du recueil des données. Le contenu de ces documents lui a également été communiqué oralement lors de son entretien du même jour où il était assisté d'un interprète en langue portugaise, via les services de l'association ISM, agréée par le ministère de l'intérieur, ainsi qu'en témoignent les cases cochées sur le compte-rendu d'entretien individuel par M. A..., qui a ainsi déclaré avoir compris les informations communiquées concernant la procédure de détermination de l'Etat responsable de sa demande d'asile. Dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait été privé d'une garantie au motif que l'information qui lui a été donnée par les services préfectoraux aurait dû l'être avant l'entretien individuel et le relevé de ses empreintes digitales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à l'information du demandeur d'asile énoncé à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

12. En quatrième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ". En outre, l'article L. 141-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Lorsque les dispositions du présent code prévoient qu'une information ou qu'une décision doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits dans cette langue, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur une liste établie par le procureur de la République ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".

13. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié de l'entretien individuel mentionné à l'article 5 précité du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui s'est déroulé le 20 juin 2022 à la préfecture de la Loire-Atlantique, mené avec le concours d'un interprète en langue portugaise. La circonstance que cet interprète n'ait pas été physiquement présent à ses côtés et soit intervenu par téléphone n'a pas privé le requérant, qui n'allègue aucune erreur de traduction de ses propos, de la garantie que constitue l'entretien prévu par les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. En outre, il a signé les brochures qui lui ont été remises ainsi que les comptes rendus d'entretien sans émettre la moindre observation quant aux difficultés qu'il aurait rencontrées pour comprendre les informations portées à sa connaissance. En outre, aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant la confidentialité et par une personne qualifiée en vertu du droit national. Par ailleurs, il ressort du compte rendu d'entretien, signé par l'intéressé, que M. A... a été interrogé de manière approfondie sur sa situation personnelle, notamment médicale et familiale, ainsi que sur son parcours migratoire et a ainsi eu le temps de s'exprimer sur sa situation. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

14. En cinquième lieu, les dispositions de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ont pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun, notamment par la remise de brochures d'information lors de l'entretien individuel. La méconnaissance de cette obligation d'information dans une langue comprise par le demandeur d'asile ne peut être utilement invoquée à l'encontre des décisions par lesquelles la France transfère un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande. Il en va de même de la méconnaissance de l'obligation d'information résultant des dispositions des articles 12, 13 et 14 du règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. Dans ces conditions, la circonstance que le requérant n'aurait pas reçu l'information prévue par ces dispositions avant le relevé de ses empreintes est sans incidence sur la légalité de la décision portant transfert auprès des autorités portugaises. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.

15. En sixième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A... et des conséquences de son transfert au Portugal au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile et la prise en compte de son état de santé.

16. En septième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

17. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

18. M. A... fait tout d'abord état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile au Portugal. Toutefois, les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités portugaises dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que le Portugal est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

19. Par ailleurs, M. A... invoque sa situation de vulnérabilité en ce qu'il souffre à la date de la décision contestée d'un grave traumatisme, de troubles anxio-dépressifs et de douleurs chroniques au bras gauche nécessitant une prise en charge médicale et médicamenteuse. Il précise qu'il est pris en charge en France par une association, qu'il suit activement des cours de français, et qu'il est suivi par l'unité psychiatrique du Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Nantes. Toutefois, les documents médicaux produits à l'appui de ses affirmations, faisant état de rendez-vous au CHU de Nantes pour des soins relevant de la médecine générale et de la psychiatrie, et de son état clinique dont un certificat du 6 janvier 2023 d'un médecin psychiatre du CHU de Nantes qui fait le lien avec sa situation sociale et administrative, ne suffisent pas à démontrer qu'il se trouverait dans une situation de particulière vulnérabilité imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Il ne ressort pas non plus de l'examen de ces pièces que l'état de santé de M. A... serait incompatible avec son transfert au Portugal. En tout état de cause, il n'est aucunement établi que M. A... n'aurait pas accès au Portugal aux traitements requis par son état de santé, alors surtout que les autorités portugaises ont expressément accepté de le reprendre en charge.

20. En outre, si M. A... soutient qu'il risque des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert au Portugal, et notamment des violences engendrées par un racisme systémique " anti-noirs et anti-africains ", il n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations.

21. Dans ces conditions, et en l'absence de tout autre élément de vulnérabilité, le requérant n'est fondé à soutenir ni que la décision de transfert méconnaîtrait le 2 de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ni que le préfet de Maine-et-Loire, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur sa situation personnelle.

22. En dernier lieu, il résulte des termes mêmes des articles 31 et 32 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et notamment de leur titre, qu'ils sont relatifs aux modalités d'exécution d'une décision de transfert. Leurs dispositions n'imposent pas que l'échange d'information ait lieu avant l'édiction de la décision de transfert, mais seulement dans un délai raisonnable avant le transfert effectif de la personne intéressée. Il en résulte que les autorités portugaises seront informées de l'état de santé du requérant lors de son transfert vers le Portugal dans le cadre de cet échange de données, contrairement à ce qu'il soutient.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché d'aucune omission à statuer, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes, a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... A..., à Me Chamkhi et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 29 août 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 septembre 2023.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03556


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03556
Date de la décision : 15/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : CHAMKHI

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-09-15;22nt03556 ?
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