Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... C... B... et Mme G... F... D... A... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 22 juillet 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision implicite de l'autorité consulaire française à Khartoum (Soudan) refusant de délivrer à Mme F... D... A... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié.
Par un jugement n° 2012787 du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 avril et 29 décembre 2022 (ce dernier non communiqué), M. E... C... B... et Mme G... F... D... A..., représentés par Me Malabre, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 22 juillet 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa demandé, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 400 euros au titre des frais de première instance et 2 400 euros au titre des frais de l'instance d'appel, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- il n'est pas établi que la décision contestée a été prise par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France régulièrement composée et réunie ;
- elle est entachée d'erreur dans l'appréciation du caractère probant des actes d'état civil produits ;
- elle ne respecte pas les dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est contraire au droit des réfugiés au rapprochement familial ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale garanti notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une ordonnance du 15 décembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 13 janvier 2023.
Un mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur et des outre-mer a été enregistré le 20 juin 2023 et n'a pas été communiqué.
M. C... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2022 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- et les observations de Me Pavy, substituant Me Malabre, pour M. C... B... et Mme D... A....
Une note en délibéré, enregistrée le 23 juin 2023, a été présentée pour M. C... B... et Mme F... D... A....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 14 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. C... B... et de Mme F... D... A... tendant à l'annulation de la décision du 22 juillet 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a refusé de délivrer à Mme F... D... A... un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugié. M. C... B... et Mme F... D... A... relèvent appel de ce jugement.
2. La décision de la commission de recours est fondée sur ce que l'acte de naissance produit par Mme F... D... A... a été établi tardivement, soit 25 ans après sa naissance, postérieurement à la date de son mariage allégué (non reconnu par l'OFPRA) et 5 mois après l'établissement de son passeport et ne permet pas d'établir l'identité de la demanderesse du visa.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) II. - (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, repris à l'article L. 811-2 : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il est constant que l'acte de naissance produit par Mme F... D... A... a été établi vingt-cinq ans après sa naissance, postérieurement à la date de son mariage allégué et cinq mois après l'établissement de son passeport. Si l'administration soutient que cette tardiveté ne respecte aucune règle du " Registry Act ", elle ne précise toutefois pas quelle disposition de droit local a été précisément méconnue. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pu légalement fonder sa décision sur le motif énoncé au point 2 pour refuser de délivrer à Mme F... D... A... le visa de long séjour demandé.
6. L'administration peut, toutefois, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a fait valoir, dans son mémoire en défense de première instance communiqué aux requérants, que le mariage de M. C... B... et Mme F... D... A... n'a pas été reconnu par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et que les intéressés n'apportent pas de preuve de la communauté de vie avant le départ du réfugié pour la France, non plus que du maintien de liens ou d'une relation stable après son départ.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. C... B... a quitté le Soudan en juillet 2015 et a déposé une demande d'asile en septembre 2015, dans laquelle il mentionne être marié avec Mme G... F... D... A..., née en 1993. Par décision du président de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 10 novembre 2015, M. C... B... s'est vu reconnaître le statut de réfugié. Il ressort également des pièces du dossier que l'Office a établi des certificats de naissance pour M. C... B... et a adressé à l'intéressé un courrier lui précisant qu'il n'avait pas pu prendre en compte son mariage religieux avec Mme F... D... A... célébré en février 2007 dans la mesure où cette dernière, âgée de 14 ans à cette date, n'avait pas l'âge minimal de 16 ans requis par la loi soudanaise. L'OFPRA ne remet ainsi pas en cause la réalité du mariage religieux mais constate que cette union n'est pas opposable en France. En outre, M. C... B... a toujours déclaré sa relation avec Mme F... D... A... et a produit un certificat de mariage établi par l'autorité judiciaire le 15 décembre 2016 et certifié par les affaires étrangères du Soudan le 19 décembre suivant, certificat qui comprend des indications correspondant aux déclarations constantes de M. C... B.... Il ressort également des pièces du dossier qu'à la date de la décision attaquée, les intéressés communiquaient régulièrement par téléphone et que M. C... B... avait envoyé de l'argent à Mme F... D... A.... Au surplus, il ressort des pièces du dossier que les intéressés ont passé plusieurs mois ensemble en Egypte de décembre 2020 à mars 2021 et que de ce séjour est né leur premier enfant en novembre 2021. Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'existence d'un lien de concubinage avant la date d'introduction de la demande d'asile doit être tenu pour établi. Par suite, le motif invoqué par le ministre de l'intérieur n'est pas de nature à fonder légalement la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. La substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut donc être accueillie.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... B... et Mme F... D... A... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa d'entrée et de long séjour soit délivré à Mme F... D... A.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. M. C... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Malabre dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 14 juin 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 22 juillet 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme F... D... A... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Malabre une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C... B..., à Mme G... F... D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 23 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juillet 2023.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
J. FRANCFORT
La greffière,
H. EL HAMIANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT01150