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13/07/2023 | FRANCE | N°23NT00503

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 13 juillet 2023, 23NT00503


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... B..., alias D... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2300394 du 24 janvier 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 février 2023, Mme C... A

... B..., représentée par Me Paugam, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 janvie...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... B..., alias D... A..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2022 par lequel le préfet de Maine-et-Loire a décidé son transfert aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2300394 du 24 janvier 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 février 2023, Mme C... A... B..., représentée par Me Paugam, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 janvier 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 14 décembre 2022 portant transfert aux autorités belges ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de l'admettre au séjour au titre de l'asile et de lui délivrer un livret OFPRA dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de lui délivrer une attestation de demande d'asile pendant la durée de l'examen de sa demande ;

4°) d'enjoindre, subsidiairement, au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de

1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît l'article 5 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- elle est entachée d'une erreur de fait et d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ;

- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... A... B... ne sont pas fondés.

Mme C... A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet ;

- et les observations de Me Le Gall, substituant Me Paugam, représentant Mme B... alias A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A... B..., ressortissante somalienne et djiboutienne selon ses dires, née le 6 janvier 1980 à Ajman (Emirats Arabes Unis), a déclaré être entrée sur le territoire français le 6 novembre 2022 et s'est présentée à la préfecture de la Loire-Atlantique le 16 novembre 2022 pour solliciter le statut de réfugiée. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'elle avait sollicité l'asile auprès des autorités belges, qui avaient enregistré ses empreintes digitales le 7 novembre 2019. Saisies par les autorités françaises le 24 novembre 2022, les autorités belges ont accepté explicitement leur responsabilité le 8 décembre 2022. Par un arrêté du 14 décembre 2022, le préfet de Maine-et-Loire a décidé de transférer l'intéressée aux autorités belges pour l'examen de sa demande d'asile. Mme C... A... B... relève appel du jugement du 24 janvier 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté du 14 décembre 2022, que la requérante reprend en appel sans apporter de nouveaux éléments, doit être écarté par adoption des motifs retenus au point 3 du jugement attaqué.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque : a) le demandeur a pris la fuite ; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé ".

4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a bénéficié de l'entretien individuel mentionné à l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui s'est déroulé le 16 novembre 2022 à la préfecture de la Loire-Atlantique, mené avec le concours d'un interprète en langue arabe. Aucun élément du dossier ne permet de tenir pour établi que cet entretien n'aurait pas été mené dans des conditions garantissant la confidentialité ou par une personne qualifiée en vertu du droit national. Par ailleurs, il ressort du compte rendu d'entretien, signé par l'intéressée, que Mme B... a été interrogée de manière approfondie sur sa situation personnelle, notamment médicale et familiale, ainsi que sur son parcours migratoire. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 doit être écarté.

5. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de Maine-et-Loire n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme B... et des conséquences de son transfert en Belgique au regard notamment des garanties exigées par le respect du droit d'asile.

6. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a déclaré, lors de son entretien individuel, avoir changé son état civil lors de son passage en Belgique, et notamment sa nationalité, puis a déclaré avoir deux nationalités, djiboutienne et somalienne, mais être partie des Emirats Arabes Unies où elle serait née. Dès lors, si l'arrêté contesté mentionne que Mme B... est de nationalité émiratie, cette erreur, à la supposer établie, est la conséquence des déclarations imprécises de la requérante. Elle n'a, en tout état de cause, eu en l'espèce aucune influence sur l'appréciation à laquelle s'est livré le préfet.

7. En cinquième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

8. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

9. La requérante fait tout d'abord état de l'existence de défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Belgique et de l'absence de prise en charge médicale au moment de son séjour dans ce pays. Elle soutient ainsi qu'après le dépôt de sa demande d'asile en Belgique, elle a été transférée dans un camp où elle a vécu dans une tente avec six autres femmes, que des hommes installés dans une tente voisine sont entrés dans les douches et les sanitaires où elle se trouvait et l'ont filmée, qu'elle a subi des faits de harcèlement sexuel, que sa plainte n'a pas été enregistrée et qu'elle a subi des remarques racistes. Elle précise en outre que les conditions matérielles de vie dans le camp étaient particulièrement dégradées. Toutefois, en l'absence de toute justification de tels faits et de précisions suffisantes permettant de les regarder comme établis, l'ensemble de ses dires ne permettent pas de considérer que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités belges dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Belgique est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, il n'est pas établi que la mesure d'éloignement prise à son encontre par les autorités belges serait exécutée à destination de la Somalie ou de Djibouti, ni que, en pareil cas, la requérante ne disposerait pas d'une voie de recours effective contre cette mesure, ni enfin, en tout état de cause, que les autorités belges procéderaient à son renvoi en Somalie ou à Djibouti sans examiner au préalable si elle y serait soumise à des risques pour sa vie ou sa sécurité ou à des traitements inhumains ou dégradants.

10. Par ailleurs, si la requérante invoque sa situation de vulnérabilité en ce qu'elle a été victime de violences verbales et physiques en Belgique, éprouve des douleurs constantes à l'estomac et présente une anémie sévère, aucun élément du dossier ne permet de démontrer que son état de santé la placerait dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. Il ne ressort pas non plus de l'examen de ces pièces que l'état de santé de la requérante serait incompatible avec son transfert en Belgique. En tout état de cause, il n'est aucunement établi qu'elle n'aurait pas accès en Belgique aux traitements éventuellement requis par son état de santé. La requérante ne démontre pas davantage qu'elle serait exposée au risque de subir en Belgique des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en se bornant à de simples affirmations telle que rappelées précédemment.

11. Dans ces conditions, en l'absence de tout autre élément de vulnérabilité, la requérante n'est fondée à soutenir ni que la décision de transfert méconnaîtrait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni que le préfet de Maine-et-Loire, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... B..., alias D... A..., à Me Paugam et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00503


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00503
Date de la décision : 13/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : PAUGAM

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-07-13;23nt00503 ?
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